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Musée de Bastia << Mare Furiosu >> jusqu' au 17 décembre

<< Mare Furiosu >> des peintures, des objets de navigation, des maquettes de bateau, traces mémorielles de pirates....
Musée de Bastia : « Mare Furiosu »


« Mare Furiosu », un titre excellent au fort pouvoir évocateur. « Mare Furiosu », appellation de la nouvelle exposition temporaire du Musée de Bastia… où quand l’imaginaire rencontre l’histoire. « Mare Furiosu » des peintures, des objets de navigation, des maquettes de bateau, traces mémorielles de pirates et de corsaires qui ont sévi du XIV è au début du XIX è siècle en Méditerranée.


Un sujet d’exposition peu ou mal connu, sur une scénographie intelligente. Résultat : on est passionné. Mine de rien… ou de tout, l’exposition donne matière non seulement à une exploration du passé mais soulève un voile interrogatif sur les tensions qui agitent encore la Méditerranée. La Croix contre le Croissant, quoi de plus simple, de plus facile à admettre, à assimiler. Si ce n’est, que sous le schématisme du conflit religieux, se camoufle une guerre économique fort prosaïque.

Infidèles contre mécréants, quelle devise, quel slogan plus que réducteur ! Sans rappeler le contexte de cette mer furieuse, on ne peut qu’effleurer la réalité. Or, le musée de Bastia met avec justesse l’accent sur la contextualisation qui épargne des faux jugements de valeur et mise sur la vérité historique. Le parcours de l’exposition est plein d’enseignements et nous projette en ces siècles rudes et ténébreux où primaient le fer et le sang. La visite commence par la découverte des ports du Mare Nostrum déterminants dans les réseaux commerciaux d’alors, où simultanément des armateurs organisaient la guerre de course. Alger, Constantinople, Tunis, Gênes, Marseille, Naples autant d’infrastructures portuaires capitales. De ces ports partaient petit et grand cabotage ainsi que les caravanes maritimes qui faisaient de longues traversées. À noter également le rôle des petites marines comme celles de Corse, qui participaient aussi au commerce et à la course de façon significative. Cela nous vaut d’admirer de magnifiques « Marines » de Vernet ou des scènes de combats navals impressionnants. On apprend encore à faire la différence entre tartane et chébec. Tartane, petit bateau de pêche ou de commerce. Chébec dédié à la course, se singularisant par sa maniabilité.

« Mare Furiosu », des objets de navigation, de superbes coffres de marins dits Cap Corsins… surtout fabriqués en Ligurie ! Des toiles de naufrage qui nouent les tripes ou un étonnant livre de cosmographie universelle, prêt de la BNF, en date de 1575. Des exvotos exprimant la religiosité prégnante des marins. Perpétuellement en guerre la Méditerranée durant ces siècles qui voient s’ajouter aux conflits inter-étatiques, les exactions des corsaires et les razzias à terre causant des dégâts humains et matériels.

Guerres de course et guerres tout court allaient cependant de pair avec diplomatie en direction de l’empire ottoman ainsi qu’avec des négociations pour le rachat des esclaves. Le Musée de Bastia a rassemblé 200 objets et peintures. Des prêts du Louvre, de la Galerie de Offices, du Mucem de Marseille, du musée Fesch, de Malte, de Lille et de bien d’autres institutions prestigieuses.


ENTRETIEN avec Sylvain Gregori, conservateur du Musée de Bastia


Pourquoi avoir choisi ce thème des pirates et des corsaires en Méditerranées du XVI è au début du XIX è siècle ?

Parce que c’est un thème traité pour la première fois dans une exposition. Généralement pirates et corsaires font penser aux Caraïbes. Mais ce phénomène est bien présent en Méditerranée. Corsaires et pirates ont forgé l’identité méditerranéenne et c’est une histoire qu’on a tous en partage.


Plus de trois siècles de course et de razzias. Quel impact dans la mémoire collective corse ? Est-ce l’origine d’un certain racisme anti-maghrébin ?

Sauf la figure du Maure, le phénomène n’a guère laissé de traces dans les mémoires ! Toutefois cela fait partie de notre identité insulaire avec ces symboles que sont les tours génoises. Côté musulman le corsaire a une image très positive. Au Maghreb il existe, par exemple, des jeux dont les thématiques sont corsaires et pirates… mais on n’y parle jamais d’esclavage.


Rappelez-nous la différence entre pirate et corsaire ?

Le pirate n’est qu’un brigand qui opère à son compte. Prisonnier il est tué. Le corsaire détient une lettre de marque accordée par les autorités de sa nation (ville, royaume, république). Il cible les bâtiments marchands ennemis pour s’emparer de leurs cargaisons et de leurs équipages. Il reverse une part de ces gains à son autorité. Capturé il est fait prisonnier et peut être racheté.


Quels sont les navires utilisés pour la course ?

Le chébec, navire très maniable est typique de la Méditerranée. Il est utilisé par tous les marins du nord et du sud, par chrétiens et musulmans. Des deux côtés également on fait voguer des galères qui avance grâce à la force humaine… la chiourme.


Avez-vous essayé de trouver des objets provenant du monde musulman ?

On en a par l’intermédiaire des musées occidentaux. Mais des contingences monétaires ne nous ont pas autoriser de pousser plus loin nos recherches.


Pourquoi Pascal Paoli a-t-il tenu à disposer de navires de course ?

Parce que la guerre de course est une entreprise financière qui rapporte des recettes qui vont dans les caisses de l’Etat. La flotte de course insulaire, en grande partie privatisée, est la plupart du temps aux mains d’armateurs cap corsins. Elle pratique également l’esclavage.


Que sait-on des corsaires corses ?

Avant tout ce sont des marins du Cap, de Calvi, de Bastia, de Bonifacio. On trouve une cinquantaine de corsaires corses à Malte, en 1750. On en dénombre aussi à Gênes et à Livourne, mais on n’a que des traces parcellaires. Néanmoins on estime que les Corses ont joué un rôle assez important dans la guerre de course.


Qu’ont coûté les razzias à la Corse en destructions et en rachat d’esclaves ?

Nous n’avons que des sources ponctuelles, qui montrent que des familles se sont ruinées pour racheter les leurs. Si nous avons des sources fragmentaires, nous ne disposons pas d’études globales.


Les razzias n’ont pas épargné l’intérieur ?

Leur pénétration à l’intérieur est souvent le fait de renégats connaissant bien le terrain et misant sur l’effet de surprise. La topologie de certains villages du Fium’Orbu atteste de présences barbaresques durant plusieurs jours.


Pour quelles raisons la course se développe-t-elle tant au XVI è siècle ?

Avant la bataille de Lépante en 1571, qui voit la victoire sur les musulmans, ce sont eux qui sont responsables du gros de la guerre de course. Après Lépante nations et Etats européens s’y mettent, et c’est le summum du phénomène corsaire, qui disparait progressivement au début du XIX è siècle, quand des traités de paix sont signés et que le commerce rapporte plus que la course !


À
quand remonte la piraterie en Méditerranée ?


À l’Antiquité, la piraterie s’étale sur un temps long ! Elle témoigne de la difficulté des Etats de contrôler les espaces maritimes.


D’où vient le terme de Barbaresque ?

De Barbarie qui désignait l’Afrique du Nord. Cette dénomination vient d’Italie à partir de 1500.


Pourquoi la figure du Maure s’impose-t-elle ?

Après la bataille de Lépante avec la terreur barbaresque, la figure du Maure se substitue à celle de l’Hébreu, accusé d’avoir crucifié le Christ.

Le musulman incarne alors l’altérité négative, y compris dans les villages de l’intérieur.


Le commerce des esclaves pratiqué par chrétiens et musulmans concerne-t-il beaucoup de victimes ?

Du côté chrétien on évalue à un million le nombre d’européens réduit en esclavages pendant cette période. Côté musulman on pense que les esclaves constituaient 5 à 10 % des habitants des grands ports de Méditerranée. Les esclaves représentaient une véritable économie. En occident les rachats étaient organisés par l’Ordre de Malte et par l’Ordre toscan de Santo Stefano… Une économie prospère sous couvert… de guerre religieuse !



• Propos recueillis par Michèle Acquaviva -Pache
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