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U Riacquistu : le creuset culturel du nationalisme

Le Riacquistu a représenté une formidable synergie et une dynamique remarquable......
U Riacquistu : le creuset culturel du nationalisme

Le Riacquistu a représenté une formidable synergie et une dynamique remarquable entre toutes les formes possibles d’une démarche culturelle qui a nourri le régionalisme puis le nationalisme.

Tout commence. Le Riacquistu « la réappropriation » est lui aussi passé par le germination. Mais impossible d’attribuer une date et un lieu d’éclosion précis à ce mouvement culturel que Toni Casalonga a très justement défini comme ayant été « le grand récit de la Corse d’après-guerre» et comme restant « un repère fort ». En effet, il est indéniable que, durant au moins vingt ans, le Riacquistu a fortement contribué à ce que les Corses de la Diaspora et de l’Ile veuillent se réapproprier leur langue, leur histoire, leur héritage patrimonial, artistique et environnemental, leurs savoir-faire, leurs capacités de produire et de commercer, leurs droits historiques et politiques, et se soient investis non seulement dans des démarche de conservation, de transmission ainsi que d’affirmation identitaire mais dans la réalisation de projets individuels et collectifs ayant pris en compte l’innovation dans tous les domaines et l’ouverture au monde.
On peut toutefois identifier quelques moments forts du Riacquistu, qui ont représenté ce qui a fait sa particularité et sa force : une formidable synergie et une dynamique remarquable entre toutes les formes possibles d’une démarche culturelle qui a nourri le régionalisme puis le nationalisme.

Au Quartier latin et en Corse

Le Riacquistu a en partie germé à Paris. D’abord, à la fin des années 1950, dans une salle de mairie du 5ème arrondissement où quelques étudiants ont créé l’Union Nationale des Étudiants Corses (UNEC). Ensuite, au début des années 1960, dans un débit de boisson du Quartier latin, le bar du Panthéon, qui était devenu le lieu où des étudiants corses refaisaient le monde et plus particulièrement la Corse (notamment en commençant à envisager puis revendiquer la réouverture de l’Université de Corti qu’avait créée Pasquale Paoli et qui avait été fermée après la conquête française).
C’est une partie de ces étudiants qui, au milieu des années 1960, ont décidé, non plus d’ambitionner faire carrière et réussir socialement dans l’Hexagone mais de se réaliser en Corse : les uns, qui étaient nés sur l’île, en revenant où ils avaient toujours vécu ; les autres, qui étaient nés ailleurs, en faisant le choix d’assumer un changement de vie. ; tous ayant la ferme volonté de jeter les bases d’une renaissance corse qui associeraient les acquis du passé à des projets concrets et un peu d’utopie. La germination du Riacquistu a aussi eu lieu dans l’île. Elle s’est faite avec des Corses qui étaient déjà revenus « vivre et travailler au pays » (notamment issus des anciennes colonies françaises) et des Corse qui avaient la ferme volonté de « refuser l’exil ». Cette germination a certes été nourrie de la réalisation de projets individuels.
Mais ce qui a surtout permis que s’allongent les radicules et les tigelles du Riacquistu et que prennent force ses plantules a été la mise en place de projets collectifs inspirés par le mouvement coopératif, les aspirations à l’autogestion, un refus de passer sous les fourches caudines de la société de consommation et du profit, une aspiration à s’investir dans la vie de la cité. La réalisation de quatre de ces projets a particulièrement contribué à structurer le Riacquistu.

Quatre projets structurants

En 1964, a été créée la CORSICADA (Coopérative pour l’Organisation, le Regroupement, la Sélection et l’Indépendance Commerciale des Artisans D’Art). Quelques années après sa création, la CORSICADA comptait 50 artisans et gérait quatre boutique (enseigne Casa di l’Artigiani). En 1977, à son apogée, elle était forte de 185 artisans et onze points de vente. Outre favoriser la production et la vente, la CORSICADA a permis de former à l’utilisation de matériaux et de techniques, et été à l’origine d’un design qui permettait d’identifier et authentifier les productions de ses artisans. Enfin, la CORSICADA a entrepris de retrouver des savoir-faire traditionnels et d’en assurer la transmission. Le Centre de Promotion Sociale créé en 1968 en Balagna puis ayant été définitivement implanté à Corti, a aussi été au cœur d’une collecte et d’une transmission par la formation de savoir-faire traditionnels (coutellerie, tissage, poterie, pierre, sculpture, vannerie, ébénisterie, mosaïque, techniques agricoles) et de leur inclusion dans la modernité.
La création de Foyers Ruraux et leur organisation en réseau ont été à l’origine de nombreuses initiatives culturelles, économiques et citoyennes qui ont redonné du souffle à la vie rurale en la redynamisant et la valorisant. Enfin, la revue Rigiru et la création de Canta u Populu Corsu ont permis au Riacquistu la diffusion des aspiration et des valeurs dont ses acteurs de terrain étaient porteurs. Publiée pour la première fois en 1974, Rigiru, revue littéraire et poétique, a en effet fortement contribué à légitimer l’usage de l’expression écrite de la langue corse. Créé en 1974, Canta u Populu Corsu a incarné, et assumé en la popularisant à l’occasion de ses « Serate », l’intégration assumée de la revendication politique, d’abord régionaliste puis nationaliste, dans la démarche culturelle du Riacquistu.
Cette intégration est intervenue avec la publication de « Main basse sur une île » par le Front Régionaliste Corse (FRC). Produit de la prise de conscience politique que la Corse n’était pas une terre française car ayant sa propre histoire, y compris nationale, et que ses femmes et ses hommes avaient vocation à retrouver une place leur étant propre dans la vie des peuples, « Main basse sur une île » s’inscrivait dans la voie ouverte par le Riacquistu qui avait permis de retrouver les fondamentaux et la praxis d’une identité corse.



Pierre Corsi
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