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Quand la Corse accueillait des Russes

Au début des années 1930, le ministère de l'intérieur demanda que soient répertoriés les étrangers vivant en Corse.

Quand la Corse accueillait des Russes


Au début des années 1930, le ministère de l’Intérieur demanda que soient répertoriés les étrangers vivant en Corse. Il en fut dénombré 18 874, dont 16 379 Italiens. Et curiosité de l’époque, on apprit que 330 Russes habitaient désormais notre île. La population corse s’enrichit ainsi de patronymes tels Amolsky, Baranovsky, Bikodoroff, Birokoff, Borissof, Denisoff, Dimitrieff, Ganjoueff, Ivanenko, Mairoboda, Mazaeff, Mestchersky, Mironenko, Pimenoff, Serdukoff, Taczanowski, Tarassenko, Voronine, ou encore Voropaieff. La plupart étaient des réfugiés politiques, chassés de leur pays par la révolution bolchévique.

La peur du bolchévisme

Le Riom, avait quitté le port d’Odessa, en Crimée au début mai 1921. Il avait à son bord 37 militaires français venant de Cilicie, et 3 800 soldats de l’armée Wrangel, une des armées contre-révolutionnaires de Russie. Ils avaient été rejetés de port en port. Constantinople, mais aussi Messine les avait repoussés au large. Pourquoi alors la Corse ? C’est que dans la ville impériale un comité s’est formé à l’initiative de François Lanzi, consul de Russie et il est présidé par Mme Levie-Andreau, présidente de la Croix-Rouge. On y trouve le capitaine Livrelli, MM. P Poletti et P. Siciliano


Une réaction immédiate, généreuse, mais inquiète

« Les conditions d’existence de ces victimes du bolchevisme à bord d’un bateau qui ne saurait décemment les contenir en aussi grand nombre sont la chose la plus lamentable », rapporte La Nouvelle Corse du 29 mai. Un point de stockage des aides de toutes sortes se trouve à la librairie Muraccioli, alors installée au 2 cours Napoléon. Très vite, Ajaccio demande à ne pas être la seule ville à supporter le poids de la solidarité.

« Les réfugiés russes ne doivent, ne peuvent rester à Ajaccio parce qu’ils sont trop nombreux pour un centre démographique et économique aussi peu important que le nôtre. Nos ressources alimentaires de production locale (les seules dont il faille parler) sont, presque toutes, proportionnées aux besoins de la localité. Nous ne faisons pas d’exportation. Un surnombre inopiné d’habitants occasionne donc un déséquilibre du marché. »
Des centaines de réfugiés décident de rester sur place et s’intègrent sans difficulté notamment comme travailleurs agricoles. Et pour témoigner leur reconnaissance, les Russes organisèrent un dépôt de gerbe au pied de la statue de Napoléon, place du Diamant.

Corse-Russie : une histoire ancienne ;


C’est que la relation entre la Russie et la Corse ne date pas d’hier. Charles-André Pozzo di Borgo avait été ambassadeur de Russie en France au lendemain de la chute de Napoléon à laquelle il avait puissamment contribué. On se rappellera qu’il avait fui son île natale après la disparition de l’éphémère royaume anglo-corse (1794-1796), pour se réfugier à Londres et avant de rejoindre Saint-Pétersbourg pour se mettre au service du Tsar. En 1800, quatre-vingt-quatorze Corses émigrés en Toscane et opposés à la France avaient débarqué dans le Fiumorbu, armés et nantis de brevets d’officiers russes et brandi l’étendard de la révolte au nom de Paul 1er, Tsar de toutes les Russies. Ils s’étaient ensuite rendus après l’intervention du consul russe de Livourne et le désaveu londonien de Pasquale Paoli.

L’escadre russe à Ajaccio


En novembre 1893, le comte Multedo, chef du parti bonapartiste, les louanges de la Russie, du tsar Alexandre, de l’alliance franco-russe que l’on vient de fêter à Paris tandis que l’escadre russe entre dans le golfe d’Ajaccio. Recevant l’amiral Avellan, commandant de la flotte russe en Méditerranée, le maire d’Ajaccio, Petreto, déclare : « Oui, la Ville d’Ajaccio aime la Russie et son vœu le plus cher serait de voir, même au prix des plus grands sacrifices qu’elle ferait volontiers, son beau port devenir le port d’attache de votre nation dans la Méditerranée.

Les couleurs franco-russes flottent sur la cathédrale. Les cloches sonnent. Dans la nuit, ce ne sont que retraites aux flambeaux, guirlandes de lanternes vénitiennes, feux d’artifice, feux de Bengale, batailles de fleurs, confetti et serpentins. Ces festivités mettent dans la rue 10 000 à 15 000 des 20 000 habitants d’Ajaccio.

Au troisième jour, l’escadre appareille sans rejoindre Bastia ce qu’avait pourtant demandé son maire, Augustin Gaudin. Puis la cité impériale retrouva son calme, pour ne pas dire sa nonchalance coutumière laissant le souvenir d’un curieux mariage : celui de Napoléon et de la nation qui avec la Grande-Bretagne avait largement contribué à sa perte.
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