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Le dernier livre de Pierre Poggioli

Images et "crits d'une lutte ( tome 1 )

Le dernier livre de Pierre Poggioli : Images et écrits

d’une lutte (tome 1)



Voilà donc le vingt-troisième ouvrage de Pierre Poggioli, ancien dirigeant du FLNC puis de l’Accolta naziunali corsa. Le format et le nombre de pages en font le poids : près de deux kilos avec un prix également lourd : 65 euros. C’est un ouvrage très complet sur la lutte nationaliste corse, un ouvrage qui comporte ses faiblesses (typiquement poggiolistes) et ses points forts sur lesquels je vais revenir.



Une mémoire acharnée

Pierre Poggioli possède un atout majeur dans une île qui brille souvent par sa pusillanimité : son endurance au travail. On ne sait trop s’il écrit pour ne pas perdre la mémoire ou pour offrir une mémoire aux générations futures. Car on oublie souvent qu’aucun jeune de la génération présente n’a connu les grandes heures du combat nationaliste. Il existe un documentaire très remarquable « Génération FLNC » auquel Poggioli, vraisemblablement pour des questions d’orgueil n’a pas voulu participer. Car c’est bien là une des faiblesses de l’auteur que de tout toujours ramener la lutte corse à la seule Corse — sans s’inquiéter de l’influence internationale — et de ramener la Corse à sa seule personne. Cela étant dit ce défaut originel ne saura obérer l’immense apport de la mémoire poggiolesque à celle plus vaste de la Corse. Sans lui, elle serait réduite à des mythes contraires, des suppositions. Cela a été le cas par exemple pour mai 1968 jamais analysé dans sa complexité internationale, nationale et temporelle. Les ouvrages de Pierre Poggioli se recoupent souvent. Ce sont des descriptions glacées, des relations de tabellion avec souvent une absence d’analyse sur le fond. Pourtant ce dernier ouvrage apporte de la chaleur et à l’ouvrage et à l’auteur. Il se raconte à l’aide d’encadrés et ce mélange de l’histoire et du témoignage personnel de l’un de ses principaux acteurs est une source de fraîcheur.

Les faiblesses et les forces du livre

Les faiblesses d’abord : elles proviennent d’un choix de l’auteur qui raconte tout à la fois la Corse, mais toujours à travers le prisme déformant du nationalisme ou de ce qu’il juge être les prémices du nationalisme. Un exemple : il consacre dix pages au phénomène muvriste de l’entre-deux-guerres.
Pourquoi pas après tout ? Mais jamais il n’analyse la composition sociale d’un mouvement qui ne bouleversa pas la Corse et qui, à partir des années trente verse dans un maurassisme antisémite et anti républicain (lire à ce propos le livre de Yvia Croce qui fut un irrédentiste et un collaborateur).
Poggioli prend le parti de dédouaner en des termes naïfs ceux qui penchaient outrageusement vers Mussolini et qui, à partir de 1938 (discours du comte Ciano, serment de Bastia, mais surtout conférence de Munich laissant les mains libres à Hitler) ne cachèrent plus ses proximités avec le fascisme. Mais le plus choquant est que Poggioli accorde généreusement une vingtaine de lignes à la Libération de la Corse par le Front national. Lorsqu’il aborde la période du FLNC, il a tendance à justifier sans arrêt ses prises de position comme si en politique avoir raison pouvait être différencié de savoir la fidélité des militants.
Malgré tous ces défauts, l’ouvrage est tout simplement remarquable. En dehors des passages personnels très touchants, c’est un extraordinaire outil de travail pour quiconque s’intéresse à la question corse. Bien souvent, c’est du matériau brut qu’il convient, encore une fois, de peaufiner et de replacer dans le contexte à la fois français et international. Mais quel travail ! Et lorsqu’on pense qu’un second volume va suivre.

La course de fond d’un solitaire

La démarche de Pierre Poggioli ressemble à ses ouvrages. C’est celle d’un homme qui est entré de plain-pied dans le troisième âge et qui paraît se demander si tout cela a vraiment servi à quelque chose. Ou tout au moins si ça a servi les objectifs qui étaient énoncés au début de la lutte. Lorsqu’on referme ce volumineux ouvrage, on ressent le paradoxe porté par tous les militantismes. Tous ces morts, toutes ces centaines d’années de prison, ces destructions étaient-ils réellement le juste prix à payer quand on observe ce qu’est devenue la Corse aujourd’hui. L’idée d’indépendance, fer de lance du FLNC, n’a jamais réellement pris au sein du peuple corse.
Les militants ont l’orgueil de croire que sans leurs actions, la situation serait bien pire. C’est possible, mais ça n’a jamais été prouvé.
Et il y a dans les pages de Poggioli, ces photos qui le représentent jeune à la fois la nostalgie d’une époque où les idéaux existaient encore, mais aussi l’étonnement devant les certitudes que nous portions alors en nous et qui n’ont jamais trouvé de concrétisation. En tous les cas, ce livre est une plongée passionnante dans une période qui s’éteint petit à petit, mais qui marqua une rupture historique dans l’histoire de la Corse puisqu’elle a signé l’agonie du vieux clanisme et vraisemblablement l’émergence d’un nouveau aux couleurs de l’autonomisme, mais toujours habité par cet esprit tribal qui nous anime depuis que la Corse est corse.

GXC
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