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1 er Salon du livre de Bastia

Marek Halter, invité d'honneur de la librairie bastiaise , Alma

1 er Salon du livre de Bastia
Marek Halter, invité d’honneur



A l’initiative de la librairie bastiaise, Alma, s’est tenu le premier Salon du livre de Bastia. 60 auteurs insulaires, des conférenciers reconnus dont Marek Halter au parcours reflétant toute la deuxième moitié du XX è siècle et les vingt trois années de notre siècle.


Dès le lancement d’Alma les libraires se sont fixés pour mission ce salon du livre.
Thème : la géopolitique. Un sujet essentiel ignoré des autres associations s’occupant de littérature. Cette thématique a l’avantage de nous pousser à questionner le monde où l’on vit, à nous intéresser à la planète, à notre Méditerranée, à la position internationale de la Corse au moment où l’interdépendance est de règle quoiqu’on le dise.

60 auteurs corses, le chiffre donne un peu le tournis.
Il englobe création littéraire, histoire, autobiographie, entreprenariat, un vrai florilège d’expressions très diverses. Les maisons d’édition de l’île, celles du continent ont vite été convaincues. Les sujets des conférences ont été élaborés avec Christophe Di Caro, cheville ouvrière de la manifestation. Ainsi Anna Moretti d’origine russe, historienne, professeur à Sciences Po Paris et à la Sorbonne a traité de « La Corse et de la Russie au XVIII è siècle. Didier Rey, docteur en histoire, professeur à l’université de Corse a abordé la géopolitique de l’île contemporaine : « Territoire subalterne ou position incontournable en Méditerranée ». Henri Malosse, 30 è président du Conseil économique et social de l’Europe a analysé la géopolitique de l’Union Européenne. Renaud Dély, journaliste chevronné, s’est interrogé sur la géopolitique de la France actuellement. Michel Vergé-Franceschi, historien, s’est attaché à creuser le rôle de la Corse dans la géopolitique de la France du XVI è au XVIII è siècle. Marek Halter, enfant du ghetto de Varsovie, évacué sur Moscou puis sur l’Ouzbékistan avant de rejoindre la France, a interpellé les consciences bastiaises avec « La troisième guerre mondiale aura-t-elle lieu ? »

Faut-il rappeler que Marek Halter est un infatigable militant des droits humains, qui a l’oreille des gouvernants… qui ne l’écoute pas toujours ! L’approche qu’a Halter de ce qui se passe en Ukraine ne s’inscrit pas trop dans le sillon de la pensée dominante. Il a l’art d’apporter des nuances. Conteur dans l’âme il sait susciter des références à la Bible pour trouver des concordances avec l’actualité. Il y a chez lui beaucoup de malice et d’humour ce qui confortent ses convictions et fait résonner ses propos de manière heureuse dans un auditoire. Pour lui la situation faite à l’Ukraine n’est pas désespérée mais désespérante. Poutine, il le connait depuis trente ans, du temps où il était maire adjoint de Saint Pétersbourg. Il l’a contacté. Il a aussi tenté de faire réfléchir Emmanuel Macron sur cette guerre qui a déjà entraîné la mort de 500 000 personnes, militaires et civils, des deux côtés. Le président français n’a pas poursuivi le dialogue avec le dirigeant russe et s’est rallié à la ligne de l’OTAN. De fil en aiguille, « Peut-il y avoir une troisième guerre mondiale ? Marek Halter ne veut pas le croire…

Michèle Acquaviva-Pache



                         ENTRTIEN AVEC MAREK HALTER


Si je dis qu’avant tout vous êtes un humaniste, êtes-vous d’accord ?
… Je n’aime pas tellement ce mot. Sous l’appellation d’humanisme on a exclu longtemps beaucoup de peuples. Les grandes puissances coloniales se sont, entre autres, partagées l’Afrique. Avant tout je respecte la vie comme le commande la Bible. Être enfermé dans un mot ça ne me plaît pas. Je suis né à un moment mal choisi, en 1936 à Varsovie, je connais bien le prix de la vie. Aucune idéologie ne vaut une vie humaine.

Peut-on vous qualifier d’homme d paix ?
Difficile à dire ! Peut-on vouloir la paix à tout prix, par exemple, quand on est agressé et qu’il est normal de résister… Il ne faut pas oublier cependant qu’on a toujours à disposition une arme absolue : la parole, avec le mot le plus subversif qui soit : Pourquoi. Dans « Si c’est un homme » Primo Levi rapporte qu’un nazi allait tuer un juif et que celui-ci lui demanda : Warum (pourquoi en allemand). Le nazi rengaina son arme et s’en alla. On doit laisser une chance à la parole. Avec cette guerre en Ukraine on n’a pas laissé une place à la parole !

A la fin de la Guerre des 6 Jours vous fondez « Le comité international pour une paixnégociée au Proche Orient. Pour quelles raisons ?
D’un côté il y avait Israël, état juif, dont je me sentais solidaire. De l’autre côté il y avait des Palestiniens, des Arabes qui n’étaient pas mes ennemis. Je pensais qu’il fallait utiliser la parole. On est allé voir Nasser puis Sadate ainsi qu’Arafat car il faut apprendre à parler avec ses ennemis et ça a marché. Des négociations ont eu lieu. Sadate est venu à Jérusalem en 1977. Fin des hostilités entre l’Egypte et Israël. Puis par l’accord d’Oslo on aurait dû s’acheminer sur une solution pacifique avec les Palestiniens. Ça n’a pas été le cas. On ne réussit pas toujours en ayant recours à la parole mais on peut essayer.

Comment êtes-vous passé à l’écriture ?
A 14 ans j’arrive en France. A 15 ans j’aide le mime Marceau à installer ses décors. L’homme qui m’a appris le français est… un mime ! Ensuite je découvre la peinture au Louvre et je deviens peintre. Jusqu’à 40 ans je vis de ma peinture tout en m’engageant pour la paix en Algérie, au Proche Orient, au Vietnam. J’écris aussi des articles. Un jour, un responsable du « Monde » me dit : pourquoi ne rédiges-tu pas ton autobiographie avec tout ce que tu as vécu ? Je me lance dans l’écriture de mon premier ouvrage « Le fou et les rois », qui évoque mes débuts dans la lutte pour la paix. Puis j’écris, « La mémoire d’Abraham », qui conte 2000 ans d’histoire d’une famille juive. Sept millions d’exemplaires vendus et je suis devenu écrivain.

Votre premier souvenir ?
Le paradis dans la Bible où deux arbres fruitiers sont interdits. L’homme s’accommode de cette interdiction. La femme est curieuse. Elle arrache un fruit et le goûte. La curiosité, voilà l’important. C’est la base de ma réflexion.

Votre avis sur l’embrasement des banlieues ?
Voitures brûlées. Bâtiments incendiés… On oublie de se demander pourquoi ? La France est un pays de jacqueries. Lorsqu’on n’a pas appris aux gens, aux enfants des écoles à parler, à se parler ça déraille. Il faut prendre le temps de parler à ses enfants, à ses voisins. Parler ça désarme t ça créée de la complicité.

L’antisémitisme et le racisme sont-ils de plus en plus préoccupants en France ?
Pas plus qu’ailleurs ! Pas plus qu’hier ! Quand tout va mal on s’en prend aux autres. On cherche des boucs émissaires. Toutes les sociétés pour détourner leur colère ont des boucs émissaires. C’est pourquoi j’ai participé à la fondation de « SOS racisme ». Le racisme vise ceux qui sont différents. L’antisémitisme c’est la haine de ceux qui nous ressemblent, qui cachent ce qui les différencient et que l’on va traiter de fourbes. Le christianisme de Saint Paul est pour beaucoup dans la diabolisation du judaïsme. Nous devons rêver d’une société plus égalitaire et on se doit de respecter nos différences qui sont une richesse, qui doit stimuler notre curiosité. Rappelons-nous que nous sommes les enfants de Caïn et de sa pulsion de haine. Caïn, assassin de son frère Abel qui n’a pas eu de descendance.


Comment abordez-vous ce qui se passe en Russie avec Poutine à la tête de ce pays ?
Poutine n’est pas la pire des choses… Souvenons-nous combien les Bush, le père et le fils, ont menti pour accaparer l’Irak. C’était aux Irakiens de se débarrasser de leur dictateur, pas aux Américains. On n’apporte pas le bonheur à un peuple par la force. La Russie est cinq fois plus vaste que l’Europe et deux fois plus grande que la Chine. Personne n’a jamais occupé ce pays qui n’a jamais connu la démocratie. Lorsque Soljenitsyne a rencontré des intellectuels français il ne réclamait pas la démocratie mais la fin du goulag. Le malentendu a été total ! En Russie il y a 73 ethnies, trois régions musulmanes. Qu’est-ce qui les soude ? L’amour de la patrie. Les Russes constatant, que le monde se dresse contre eux, font bloc autour de Poutine. Au début de la guerre il était prêt à discuter. On a formé une caravane pluri-religieuse pour plaider la paix. Il nous a dit : « Venez » ! Mais les Américains voient en l’Ukraine le moyen de remplacer l’UE par l’OTAN, organisation militaire.

Depuis janvier des foules d’Israéliens manifestent contre le gouvernement d’ultra-droite de Netanyahu qui veut limiter les pouvoirs de la Cour Suprême. Etes-vous inquiet ?
Je le suis. La Bible recommande que chacun joue son rôle. Or, aujourd’hui les religieux, au lieu de prêcher, occupent des postes politiques. C’est une transgression de la séparation des pouvoirs. A ce sujet j’ai publié dans le quotidien, Maariv, une lettre ouverte à laquelle Netanyahu… n’a pas répondu !

Propos recueillis par M.A-P

Marek Halter vient de publier, « La juive de Shangaï » aux éditions, XO. L’épopée d’une jeune femme qui doit se réfugier en Chine pour se soustraire aux nazis.

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