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Souveraineté et résistance : l'altra strada

Souveraineté et résistance, Corsica Libera et le FLNC ont désigné « l’altra strada » censée représenter l’alternative à l’autonomie de « la Corse dans la République » selon « une sorte de clause d’éternité » et au dialogue de Beauvau

Souveraineté et résistance : l’altra strada


Souveraineté et résistance, Corsica Libera et le FLNC ont désigné « l’altra strada » censée représenter l’alternative à l’autonomie de « la Corse dans la République » selon « une sorte de clause d’éternité » et au dialogue de Beauvau enserré dans des lignes rouges.



Corsica Libera peut être satisfait. Un peu comme l’alignement des planètes, celui des présences et des éléments contextuels a fait que la 41ème édition des Ghjurnate Internaziunale a été un réel succès. Durant trois jours (4 au 6 août), à Corti, les représentants de mouvements politiques indépendantistes venus de Catalogne, d’Écosse, du Pays Basque, de Martinique, de Guyane, de Sardaigne, de Polynésie et de Kabylie ont échangé leur expériences, constaté ou élaboré des convergences et pris la parole à la tribune lors d’interventions et de débats.
La délégation du FLNKS qui était annoncée n’a pu être présente car les responsables de ce mouvement sont actuellement confrontés à la situation d’interrogation et de tension ayant résulté des déclarations du président de la République lors de sa récente visite en Kanaky.
En effet, tout en entérinant le referendum d’autodétermination contesté et contestable du 12 décembre 2021 (scrutin ayant donné lieu à un non à l’indépendance mais ayant été organisé en pleine crise Covid alors que les indépendantistes kanakes, le peuple kanak étant durement frappé par la pandémie et devant respecter le deuil coutumier, n’étaient en mesure ni de faire campagne ni d’aller voter), Emmanuel Macron a exprimé la volonté de mettre fin au processus de décolonisation et ainsi conforté le camp « loyaliste ». Des centaines de militants et sympathisants Corsica Libera ainsi que de nombreux visiteurs ont été présents au fil des trois jours.
La couverture médiatique a été conséquente. L’attractivité de l’événement a bénéficié de trois éléments contextuels : l’intérêt pour les questions institutionnelles suscité par le processus Beauvau, le positionnement politique original de Corsica Libera (abstention de l’élue Josepha Giacometti-Piredda lors du vote du rapport Autonomia présenté par la majorité territoriale à l'Assemblée de Corse le 6 juillet dernier, et ce, alors que les autres forces nationalistes ont émis des vote favorables), le communiqué du FLNC rendu public quelques jours auparavant.
Qu’est-il principalement ressorti des échanges et interventions ? Réponse : une conviction commune que du fait du comportement des États la représentation institutionnelle et la voie électorale sont insuffisants pour arracher le respect des droits nationaux des peuples ; l’importance des mobilisations de terrain ; la nécessité d’une présence au sein des instances internationales, notamment l’ONU ; les pièges que comporte l’autonomie négociée sans être en position de force, ce que le député indépendantiste polynésien a ainsi évoqué : « L’autonomie peut être une étape vers la souveraineté à la double condition que vous en déterminiez vous-même le contenu et que vous n’y restiez pas enfermés longtemps ! ».


Les temps forts Laura Borràs



Comme tout événement, ces Ghjurnate Internaziunale ont été marquées par des temps forts. Les premiers ont été les interventions de Laura Borràs, invitée d’honneur, à la tête du parti Junts, ancienne présidente du Parlament de Catalunya, proche de Carles Puigdemont, ancien président de la Generalitat de Catalunya qui est en exil depuis six ans. Laura Borràs s’est d’abord exprimée en répondant aux questions de Jean-Guy Talamoni, ancien leader de Corsica Libera, ancien président de l’Assemblée de Corse. Ce dernier l’a d’abord interrogée sur la situation politique en Catalogne. Il est ressorti des réponses les éléments d’information suivants : l’État espagnol n’a pas mis fin à la répression contre les indépendantistes (4200 personnes seraient concernées dont certaines ayant été condamnées à des peines de prison ou étant menacées de l’être) ; le gouvernement socialiste espagnol de Pedro Sánchez ne fait rien pour aller vers une solution politique, il s’emploie à faire croire aux Catalans, aux Espagnols et à la communauté internationale que la page Indépendance de la Catalogne est tournée ; il enferme la gauche indépendantiste catalane qui dirige la Generalitat dans un interminable dialogue sans ligne directrice ; à ce jour, la démarche de Pedro Sánchez s’avère payante car elle contribue à diviser les indépendantistes et aussi à les décourager du fait d’une absence d’unité stratégique de leurs partis, ce qui conduit une partie des indépendantistes à ne plus faire confiance à la mouvance indépendantiste et à ne plus voter pour ses candidats.
Laura Borràs considère que tout cela devrait inciter les partis indépendantistes à remettre sur le métier la question de l’indépendance et à élaborer une une stratégie commune pour l’arracher. Jean-Guy Talamoni a aussi demandé ce que feraient les sept députés Junts lors de l’élection devant soit permettre à Pedro Sánchez de rester au pouvoir, soit à la droite d’y accéder. Laura Borràs a répondu qu’il ne s’agissait pas de savoir ce que feront les députés Junts mais de savoir ce que fera Pedro Sanchez pour obtenir leur soutien. Ce qui l’a conduite à préciser que Junts était dans l’attente de deux engagements, l’un relatif à une amnistie totale ; l’autre relatif à une reprise du processus d’autodétermination. Laura Borràs a conclu en résumant ainsi ce qu’est aujourd’hui la ligne directrice de Junts : « insister, persister, résister » car « le peuple catalan n’a pas tourné la page. »
Le débat « Des limites de l’autonomie aux opportunité de la pleine souveraineté » a été le cadre d’un autre temps fort de Laura Borràs. Elle a affirmé : « L’autonomie peut être un principal obstacle pour l’indépendance. Avec l’autonomie, on reste espagnol. On ne veut plus d’autonomie, on n’acceptera que l’indépendance. »


Les trois péchés originels du consensus autonomiste



Le discours de clôture prononcé par Petr’Antò Tomasi a représenté une autre séquence de temps forts. Le porte-parole de Corsica Libera a fait le point sur le processus Beauvau, précisé le positionnement de son parti et indiqué les projets de celui-ci. Concernant le processus, il a d’abord accusé l’Etat de faire dans la duplicité : « Nous pouvons faire semblant de discuter de tout, mais sans jamais négocier sur rien de ce qui constitue pour les Corses l’essentiel : leur langue, leur terre, leur identité singulière, leurs droits en tant que peuple.
En somme, sous la pression, l’Etat français peut bien consentir à octroyer quelques pouvoirs supplémentaires à ce qu’il considère comme une collectivité territoriale à statut particulier, mais au fond il n’entend nullement transiger sur ce qui est fondamentalement le cœur du problème : l’aspiration d’un peuple à sa pleine liberté. » Petr’Antò Tomasi a ensuite énuméré « les trois péchés originaux consensus autonomiste » qui ont conduit Josepha Giacometti-Piredda, l’élue Corsica Libera, à ne pas voter la délibération du 5 juillet pourtant sur l’autonomie.
Premier péché, la confiscation du débat au sein de la sphère institutionnelle dès le début du processus Beauvau : « Tous ceux qui ont contribué activement à la lutte nationale ont été tenus soigneusement à l’écart […] Au lieu de conserver la cohésion de tout ce que la Corse compte de forces vives, et ainsi maintenir un rapport de force politique efficace,le débat a été consciemment limité au cénacle institutionnel, sans débat préalable, sans travail préparatoire, sans dénonciation de la répression. »
Deuxième péché, l’acceptation des deux lignes rouges :
« Ces « lignes bleu-blanc-rouge » concernaient la co-officialité de la langue corse, la citoyenneté corse et donc le statut de résident, la corsisation des emplois, la constitution d’un corps électoral légitime, la reconnaissance du peuple corse et de ses droits nationaux. Malheureusement on se souvient que ces lignes rouges ont été formellement avalisées par le Président du conseil exécutif de Corse, au moment de la signature du Protocole Darmanin-Simeoni le 17 mars 2022 […] Malheureusement, cette erreur politique est devenue une faute à partir du moment où, le Président du conseil exécutif de Corse a lui-même affirmé, dans son rapport « Autonomia » présenté à l’Assemblée de Corse et transmis à Paris, que son projet pour la Corse avait été élaboré « tout en respectant les deux principes « intangibles ».
Troisième péché, la négation du droit du peuple corse à l’autodétermination : « La première « ligne rouge » présente en effet « la Corse dans la République » comme un « principe intangible ». Une sorte de clause d’éternité. Un « serment de Bastia » revisité et légitimé par un vote formel des représentants de la Corse. »


Appel de Corti et référence au FLNC



Petr’Anto Tomasi a ensuite fait le constat d’un processus Beauvau en état de coma dépassé ou au moins de pronostic vital engagé : « Personne en Corse n’est dupe quant à l’issue de cette séquence politique […] Nous assistons à une politique de l’illusion de la part du pouvoir autonomiste et à une impasse politique pour le peuple corse. Politique de l’illusion, car elle consiste à afficher dans une délibération totalement fictive des revendications que l’on a déjà accepté de sacrifier sur l’autel d’une quelconque « avancée ». Impasse politique, car le pouvoir français n’a pas changé de position. Et, si tant est qu’il ait les moyens d’une révision constitutionnelle, ce qui reste à démontrer, il entend bien de noyer la question nationale corse au milieu d’une nouvelle phase de décentralisation ».
Au passage, le porte parole de Corsica Libera a mentionné en quoi l’autonomie pouvait aussi relever de l’illusion et surtout du piège : « Lors de ces Ghjurnate, nous avons pu de nouveau observer que dans la longue marche vers la souveraineté, d’autres peuples représentés ont déjà accompli plus de chemin que le peuple corse. Leurs statuts sont plus avancés que le nôtre. Sur le papier, leurs réalités nationales, leurs langues, sont parfois reconnues et leurs assemblées disposent théoriquement du pouvoir de faire la loi. Néanmoins leur « autonomie » constitue toujours un horizon indépassable et le droit de décider en pleine liberté de leur avenir une ligne rouge infranchissable. » Petr’Anto Tomasi a conclu en fixant les objectifs de Corsica Libera, à savoir regrouper les forces patriotiques afin de mettre en place un nouveau cycle de mobilisation populaire et de résistance : « L’heure est donc venue de franchir une nouvelle étape dans le combat national […]
Nous voulons depuis Corti lancer un appel à tous ceux qui partagent l’essentiel de ce constat pour créer les conditions d’un regroupement des forces patriotiques, prélude à un nouveau cycle de mobilisation populaire et de résistance. » Cette nouvelle étape doit se construire, a précisé Petr’Anto Tomasi, en mettant au cœur du combat : « la reconnaissance du peuple corse et de ses droits et l’instauration d’une citoyenneté corse, avec notamment une refonte du corps électoral et la reconnaissance de droits d’accès à la terre et à l’emploi. »


Les recettes de la résistance



En préconisant la mobilisation populaire et la résistance, Petr’Anto Tomasi a fait écho au récent communiqué du FLNC dont il salué le combat en évoquant « ces militants qui ont choisi d’autres moyens d’expression au profit de la cause nationale ».
En effet, ce communiqué, outre mentionner la revendication de 16 attentats, a particulièrement insisté sur la nécessité de la mobilisation populaire et de la résistance. Cette nécessité, le FLNC l’a cependant expliquée d’une part, après avoir renvoyé dans les cordes le processus Beauvau : « Aucun accord entre la Corse et la France ne pourra être qualifié d'historique tant qu'il n'entérinera pas la reconnaissance des droits du peuple corse sur sa terre comme seule communauté de droit » ; d’autre part, après avoir désigné qui, avec l’État, figure au rang d’ennemis majeur du Peuple Corse. Les clandestins ont mentionné les « nouveaux promoteurs » pour lesquels « la Corse est à vendre au plus offrant » et « tous ceux qui s'enrichissent sur le dos de notre extinction », qui se font « complices de la Terminaison du Peuple corse » et qui contribuent, en vendant « à des Français », à « la colonisation de peuplement ». Pour faire face à cette situation qu’il juge très grave, le FLNC a appelé à la mobilisation et assuré que chacun est en mesure d’apporter sa pierre : « Chacun peut aider la lutte, en être l'acteur du quotidien, en résistant de manière active ou passive ».
Quant à la résistance, il l’a définie selon trois formes et aussi en suggérant des modes d’action.
Première forme, résister individuellement. Le FLNC a invité l'agent mobilier à mettre « le dossier d'un patriote sur le dessus de la pile » ; le Corse à préférer « vendre sa terre à un jeune couple de son village plutôt qu'à un promoteur » ; l’employeur à privilégier « un candidat corse », l’enseignant à continuer « de parler corse aux enfants au-delà du quota permis » ; l’agriculteur à freiner « la prédation de notre terre ».
Deuxième forme, résister collectivement avec la création d'une « plateforme de résistance patriotique » qui aura pour vocation de « transcender les partis politiques, les associations, les syndicats et tous les patriotes qui s'y retrouveront » et de jeter les bases « d'une véritable alternative politique, seule garante de la sauvegarde du peuple corse ». Troisième forme, résister clandestinement comme les « nouveaux militants qui ont désormais fait le choix d'intégrer le FLNC ». Souveraineté et résistance, Corsica Libera et le FLNC ont désigné « l’altra strada » censée représenter l’alternative à l’autonomie de « la Corse dans la République » selon « une sorte de clause d’éternité » et au dialogue de Beauvau enserré dans des lignes rouges.


Pierre Corsi
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