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Haut-Karabagh : nouvelle tragédie pour le peuple arménien

Quitter leur terre.......

Haut-Karabagh : nouvelle tragédie pour le peuple arménien


Les arméniens du Haut-Karabagh vont devoir renoncer à l'indépendance de l’enclave qu’ils avaient proclamée à l’issue d’un referendum organisé le 10 décembre 1991 et conservée avec le soutien de l’armée arménienne à l'issue de six années de combats. Pire encore, ils devront probablement quitter leur terre.



Le processus d’intégration à l'Azerbaïdjan de l'enclave du Haut-Karabagh, petit territoire montagneux de 4400 km², soit la moitié de la superficie de la Corse, comptant environ 120 000 habitants dont 99% sont arméniens, est désormais lancé. Les discussions en ce sens ont débuté le 23 septembre dernier. La partie arménienne va devoir renoncer à l'indépendance de l’enclave qu’elle avait proclamée à l’issue d’un referendum organisé le 10 décembre 1991 (dans des conditions conforme aux normes internationales ainsi qu’aux lois de l’URSS dont le Haut-Karabagh était une des composantes au sein de la République Socialiste Soviétique d’Azerbaïdjan) ; indépendance qu’elle avait conservée avec le soutien de l’armée arménienne à l'issue de six années de combats contre l’armée azerbaïdjanaise (Première guerre du Haut-Karabagh, 1988-1994). Pire encore, les arméniens du Haut-Karabagh devront probablement quitter leur terre. L’objet annoncé des pourparlers suggère d’ailleurs cette issue tragique. En effet, les discussions porteront sur « la procédure d'entrée et de sortie des citoyens » de l’enclave, en clair sur comment sera assurée et garantie la sécurité des arméniens en route vers l’exil. Certes, les autorités azerbaïdjanaises se veulent rassurantes. Le ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères a assuré que son pays considérait les habitants du Haut-Karabagh comme étant des citoyens à part entière. Le président azerbaïdjanais Ilham Aliev a promis que « les droits culturels, démocratiques et religieux » des habitants de l’enclave « seraient respectés ». De premiers convois d’aide humanitaire internationale ont été autorisés à pénétrer dans l’enclave. Mais, ayant en mémoire les violences anti-arméniennes de la fin années 1980 (notammment le pogrom de Soumgaït, 27 février 1988)) et les exactions de l’armée azerbaïdjanaise en 2020 durant et après la Seconde guerre du Haut-Karabagh (exécutions sommaires, tortures, viols, profanations ou destructions d’églises, de monastères et de sépultures, spoliations ou destructions de biens), il est quasiment certain que la plupart des arméniens du Haut-Karabagh choisiront l’exil. C’est la conviction des dirigeants du Haut-Karabagh. C’est aussi celle de l’Arménie dont le ministre des Affaires étrangères a réclamé « l’envoi immédiat de représentants de diverses agence de l’ONU dans le Haut-Karabagh pour surveiller et évaluer le respect des droits humains et la situation humanitaire et sécuritaire ». Un expert US ayant été interrogé par le quotidien italien La Repubblica, a pour sa part affirmé : « Bakou niera tout droit spécifique aux Arméniens, le but ultime étant de les faire partir ». le secrétaire d’État des USA Antony Blinken a exprimé sa « profonde inquiétude » lors d’un échange téléphonique avec le Premier ministre arménien. En mission parlementaire à la frontière entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan, un sénateur démocrate US a déclaré : « Le gouvernement azerbaïdjanais nous a dit qu’il n’y avait rien à voir, qu’il n’y avait rien à craindre, mais si tel est le cas, il faudrait autoriser les observateurs internationaux à venir voir par eux-mêmes ». Comment en est-on arrivé là ? Fin 2022 : l'Azerbaïdjan a quasiment fermé le corridor de Latchine où s’étire la seule route reliant le Haut-Karabagh à l'Arménie, provoquant ainsi de graves pénuries de nourriture et de médicaments. A partir de juin dernier, le blocus est devenu presque total. L’Azerbaïdjan a donc appliqué une stratégie d’isolement et d’étouffement qui a affaibli les capacités de résistance des civils et des forces armées du Haut-Karabagh. Le 19 septembre dernier, après neuf mois de blocus, alors que la population et les troupes du Haut-Karabagh manquaient de tout, l’armée azerbaïdjanaise est passé à l’offensive. Ayant en une journée perdu de nombreuses positions, les forces armées du Haut-Karabagh n’ont eu pour option que la reddition.


Lâchés par leurs amis



Cependant les causes majeures du terrible revers subi par les arméniens du Haut-Karabagh ont résidé en dehors de l’enclave. La première de ces causes est que leurs amis les ont lâchés. Il y a eu d’abord le manquement de la Russie. Ses troupes stationnées sur place qui auraient dû jouer un rôle d'interposition, ne sont pas intervenues. Ses diplomates ont signifié aux autorités arméniennes d’Erevan (capitale de l’Arménie) et Stepanakert (capitale du Haut-Karabagh) qu'il leur faudrait accepter les exigences de l'Azerbaïdjan. Pourquoi ce lâchage ? Réponse : devant faire face aux sanctions économiques, commerciales et diplomatiques que lui imposent les USA et leurs alliés depuis son entrée en guerre contre l’Ukraine, la Russie a au moins trois raisons de faire de bonnes manières à l'Azerbaïdjan. Ce pays est une voie de passage pour son gaz et ses marchandises. Ce pays est un intermédiaire commercial peu regardant. Ce pays est un obligé de la Turquie (ennemie historique du peuple arménien) qui partage des intérêts avec Moscou mais est toujours prompte à marchander son soutien ou sa complaisance. Le manquement russe a été vivement dénoncé par le Premier ministre arménien Nikol Pachinian, le 24 septembre dernier, lors d’une allocution télévisée : « L’analyse de la situation montre que les systèmes de sécurité et les alliés sur lesquels nous comptons depuis longtemps, se sont fixés pour tâche de montrer notre vulnérabilité et l’incapacité du peuple arménien à avoir un État indépendant ». Mais l’Arménie n’a guère de leçons à donner. Elle aussi a lâché les arméniens du Haut-Karabagh. Pourquoi ce lâchage ? Erevan qui d’ailleurs n’a jamais officiellement reconnu l’indépendance du Haut-Karabagh, ne s’est pas engagé militairement afin d’éviter de revivre le coûteux revers de 2020 (Seconde guerre du Haut-Karabagh). En effet, à la suite d’une offensive azerbaïdjanaise qui avait duré six semaines (27 septembre au 9 novembre), et ce, après avoir subi d’énormes pertes humaines et matérielles et selon les conditions d’un cessez-le-feu sous l’égide de la Russie, l’Arménie avait du renoncer à des territoires dont elle s’était emparée en 1994 (Première guerre du Haut-Karabagh). Erevan n’a pas montré les dents diplomatiquement car, en 2020, comme l’avait exigé la Russie lors de sa médiation en vue d’aboutir à un cessez-le-feu durable, l’Arménie avait accepté trois conditions : respecter l’intégrité territoriale de l’Azerbaïdjan selon des frontières incluant le Haut-Karabagh ; ne pas intervenir dans d’éventuelles discussions entre les arméniens du Haut-Karabagh et l’Azerbaïdjan ; s’en tenir à demander des garanties de sécurité internationale pour la population arménienne du Haut-Karabagh. Enfin, Erevan n’était pas en mesure de demander à la Russie de s’interposer. En effet, le Premier ministre arménien Nikol Pachinian n’a plus la confiance de Vladimir Poutine à la suite de déclarations plus que maladroites et d’un manquement grave au devoir d’allié. Le 1er
septembre dernier, dans le quotidien italien La Repubblica, l’intéressé a affirmé que confier la sécurité de son pays à la Russie était « une erreur stratégique ». Le 13 septembre, dans une interview accordée à un média US, l’intéressé a ouvertement critiqué la politique russe : « L’invasion catastrophique de l’Ukraine par la Russie signifie que l’Arménie ne peut plus compter sur Moscou comme garant de sa sécurité ». Bien qu’étant militairement liée à la Russie dans le cadre de l’Organisation du traité de sécurité collective (au même titre que d’autres anciennes républiques soviétiques), l’Arménie a récemment participé à des exercices militaires avec les USA.


Abandonnés de tous




La Russie et l’Arménie ne sont pas les seuls à s’être lavés les mains. A y bien regarder, il apparaît que les arméniens du Haut-Karabagh ont été abandonnés de tous. Les USA s’en sont tenus à demander à l’Azerbaïdjan de cesser immédiatement ses opérations militaire et à communiquer que le président azerbaïdjanais Ilham Aliev avait « exprimé la volonté » de mettre fin aux hostilités et souhaitait « organiser une réunion » avec les représentants du Haut-Karabagh. L’Azerbaïdjan étant l’allié et le protégé de la Turquie, membre de l’OTAN aussi turbulent que puissant, sans doute importait-il de ne pas indisposer Recep Tayyit Erdogan, l’irritable premier ministre turc. L’Union Européenne est restée sur la réserve car il lui faut ménager l’Azerbaïdjan. En effet, en raison de l’arrêt des importations de gaz et de pétrole russes, l’Azerbaïdjan est devenu un fournisseur indispensable de ces sources d’énergie. D’autant plus qu’au gaz azerbaïdjanais vient se mêler du gaz russe. « L’Azerbaïdjan n’avait pas les moyens de produire autant de gaz.
Donc ils importent du gaz russe et l’exportent ensuite vers l’Europe. Mais tout le monde ferme les yeux. Cette situation permet au dirigeant azerbaïdjanais d’être en position de force à la fois vis-à-vis de Vladimir Poutine puisqu’il exporte en partie son gaz, mais aussi face à l’Europe puisque l’Europe ne peut plus dire grand-chose à Ilham Aliev, vu qu’elle doit passer par lui pour avoir du gaz » précise Élodie Gavrilof-Dernigorossian, chercheuse au CERCEC (Centre d’études des mondes russe, caucasien et centre-européen), rattaché à l’EHESS (École des hautes études en sciences sociales). Bien que toujours prompte à dénoncer la politique russe et tout manquement aux sanctions imposées à la Russie, l’Ukraine reste coite. Et, dans ce pays, on fait plus qu’abandonner les arméniens du Haut-Karabagh. En effet, on y est ouvertement pro-Azerbaïdjan. La presse salue la légitimité de l’intervention armée azerbaïdjanaise. Ainsi un titre assure que « conformément à toutes les règles du droit international, le Karabagh est un territoire inséparable de l'Azerbaïdjan »,affirme que « L'Azerbaïdjan est dans son droit car il s'agit de son territoire légitime » et établit un curieux parallèle : « Une certaine partie de la population du Karabagh ne veut pas vivre en Azerbaïdjan (… ) une certaine partie de la population de Crimée ne veut pas vivre en Ukraine. Donc, il faudrait accepter l'annexion de la Crimée ukrainienne ? Bien sûr que non ! » Pourquoi ce sentiment pro-Azerbaïdjan ? L’Ukraine et l’Azerbaïdjan ont des liens militaires et économique très forts. Entre 1991 et 2020, de nombreux azerbaïdjanais ont intégré des écoles militaires ukrainiennes, l’Ukraine à fourni de l’artillerie, des blindés et des missiles, des officiers ukrainiens ont formé l'armée azerbaïdjanaise à la maintenance et à l’usage des matériels fournis. Selon le président de la Commission des affaires étrangères du Sénat US, l’Ukraine à « malheureusement » vendu les bombes au phosphore blanc que l’Azerbaïdjan a utilisées contre l’armée arménienne durant la seconde guerre du Haut-Karabagh. En 2011, l’Ukraine et l’Azerbaïdjan ont signé un mémorandum qui prévoyait notamment la création d'une société commune pour l'acheminement de gaz. Enfin, pour l’Ukraine, soutenir l’Azerbaïdjan signifie aussi ne pas froisser la Turquie qui l’approvisionne en drones et s’emploie à convaincre la Russie de permettre le libre passage en Mer noire des navires ukrainiens chargés de céréales.


Vieille haine



Avant l’arrivée au pouvoir des Bolcheviques en 1917, il y avait déjà des tensions entre azéris et arméniens. Au niveau des revendications territoriales, les graines du conflit actuel ont été semées lors de « la politique soviétique des nationalités » alors que l’Arménie et l’Azerbaïdjan étaient des républiques de l’URSS. En effet, en 1921, Staline a incrusté le Haut Karabagh, territoire presque exclusivement peuplé d’arméniens, au cœur du territoire de la République Socialiste Soviétique d’Azerbaïdjan. A la fin des années 1980, la veille de la désagrégation de l’URSS, le conflit a germé. Dès 1988, le soviet suprême du Haut-Karabagh a adopté une résolution de rattachement du territoire à l’Arménie. Cette même année, des violences ont été perpétrées par des azéris contre des arméniens. Parmi celles-ci : le pogrom de Soumgaït qui a donné lieu à des spoliations et des destructions de biens et surtout à la mise à mort d’une trentaine d’arméniens. Cette même année, la Première guerre du Haut-Karabagh a éclaté. Elle a duré six ans (1988-1994). Alors soutenus par le tout nouveau État arménien et la Russie, les arméniens du Haut-Karabagh l’ont emporté.
Bilan : près de 40 000 morts, des milliers de disparus, plus de 70 000 blessés, exode de 724 000 azéris et 413.000 arméniens, indépendance de facto du Haut-Karabagh (non reconnue par la communauté internationale, pas même par l’Arménie) ; occupation par l’Arménie de territoires azerbaïdjanais). L’écrasante victoire arménienne a créé un terreau favorable à un sentiment d’humiliation et à une volonté de revanche chez les azerbaïdjanais. Durant près de trente ans, alors que l’Arménie se reposait sur sa victoire et l’appui de la Russie, l’Azerbaïdjan a travaillé à sa revanche en réorganisant et professionnalisant son armée et en acquérant un armement moderne à partir des revenus de ses ressources en gaz et en pétrole. En septembre 2020, l’offensive massive des forces azerbaïdjanaises a défait celles du Haut-Karabagh et de l’Arménie en quelques semaines (Seconde guerre du Haut Karabagh). Bilan : plus de 5000 morts, des dizaines de milliers d’arméniens déplacés, exactions de l’armée azerbaïdjanaise (exécutions sommaires, tortures, viols, profanations ou destructions d’églises, de monastères et de sépultures, spoliations ou destructions de biens), perte par l’Arménie des territoires qu’elle occupait depuis 1994.


Pierre Corsi
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