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Un syndicat pour défendre et pérenniser la profession de liègeur

André Serra , président di U sindicatu di i suvaraghji corsi .......

André Serra : « Un syndicat pour défendre et pérenniser la profession de liégeur »



Il y a deux semaines, u Sindicatu di i suvaraghji corsi a vu le jour à Porto-Vecchio. Une structure créée afin de défendre la profession, pérenniser une activité ancestrale et faire face à la concurrence des industriels italiens et portugais. Son président, André Serra, revient sur la création de cette nouvelle entité qui regroupe pour la première fois la quasi-totalité des liégeurs de l’île.



Le 7 novembre, vous avez été élu président du Sindicatu di i suvaraghji corsi. Quelle est la raison d’être de cette nouvelle entité ?


Depuis que l'on extrait du Liège en Corse, c'est la première fois que les liégeurs se regroupent au sein d’un syndicat afin de défendre leur profession. C’est donc historique. 90% des personnes qui font ce travail depuis des années sur l’île sont désormais réunis au sein d’une même structure. Comme d’autres professions du rural à petite échelle, celle de liégeur restait individuelle. Mais, jusqu’à présent, aucun liégeur de profession n’était par exemple représenté aux Assises de la forêt et du bois. Avec ce syndicat, on a donc plus de représentativité. On peut assister à des colloques ou encore participer à des ateliers de réflexion. Enfin, le syndicat permet aussi la mutualisation des moyens de production et d’information.


Vous avez aussi reçu le soutien de l’Office de développement agricole et rural de la Corse pour monter la structure…


Oui. L’Odarc nous a fortement appuyés dans notre démarche. Ses représentants sont venus aux réunions de préparation, nous ont aidés à choisir la forme juridique et peuvent assurer pour nous une veille technique concernant les nouveautés dans les pratiques du levage. L’appui de l’Odarc est important car, dorénavant, nous serons sollicités pour assister aux réflexions relatives à la forêt Corse et à la filière liège. De plus, l’Odarc peut aussi aider collectivement et individuellement les liégeurs.


Aujourd’hui, les liégeurs insulaires font face à une concurrence directe sur l’île. Elle vient surtout d’Italie et du Portugal. Ce syndicat a-t-il pour objectif d’essayer de la contrer ?


Oui. Depuis plusieurs années, les liégeurs corses font face à une concurrence des industriels directement sur les exploitations forestières. Auparavant, ces industriels italiens, portugais ou catalans venaient traiter ici avec nous afin d’acheter la matière première, sans leur faire de concurrence sur leurs exploitations. Aujourd’hui, c’est différent. On assiste à une intrusion massive d’équipes de démascleurs qui travaillent pour ces industriels. Ce syndicat est donc là pour défendre la profession sur l’île et aussi pour qu’elle se fasse davantage connaître.


Quels sont les leviers du syndicat pour faire évoluer la situation ?


En créant ce syndicat, on peut essayer de fixer des règles, notamment sur la période de démasclage ou sur le prix du liège. En nous unissant au sein d’une structure, on représente la majorité des subériculteurs en Corse. A ce moment-là, on peut dire « si vous voulez acheter notre liège, le prix doit être juste et correspondre à celui du cours international ». On peut alors davantage peser sur le prix et donc mieux valoriser notre matière première.

En Corse, la récolte du liège se fait dans certaines microrégions : Extrême-Sud, Sartenais, région ajaccienne, Fium’Orbu… A quelle période procède-t-on au démasclage ?


Il y a une période que les liégeurs appliquent : elle va de la mi-mai jusqu'à la fin août maximum, lorsqu’il y a la montée de sève. En Sardaigne, par exemple, il y a des lois : il est interdit de démascler hors saison. Il est aussi interdit de couper un chêne-liège. La réglementation y est plus forte que chez nous parce que l'industrie du liège y est plus importante. En Corse, il n’y a pas de loi pour ça. C’est aussi l’une des raisons d’être de ce syndicat : mettre en place à l’avenir des règles de bonne gestion de la suberaie. L’idée est de faire en sorte que l’on ne puisse pas faire n’importe quoi avec le liège en Corse. Les subériculteurs insulaires, qui vivent de cette activité, veulent la pérenniser. Dix ans après, un exploitant corse va retravailler la même forêt de chênes-lièges. C’est donc dans son intérêt d’avoir une gestion durable de cette suberaie. A l’inverse, l’entreprise étrangère qui vient démascler directement chez nous a un intérêt à court terme. Pour elle, il s’agit de réaliser un bénéfice rapidement, sans forcément respecter les règles de survie de l’arbre…


Comment trouvez-vous les terrains pour démascler ?


Chez nous, la majorité des forêts est privée. On établit donc un accord commercial avec le propriétaire du terrain qui vend sur pied le liège à l’exploitant forestier en fonction du cours de celui-ci. L'accessibilité, la qualité du liège, la propreté de la suberaie sont autant de facteurs qui peuvent faire varier le prix. En fin de compte, le subériculteur va exploiter le terrain avec l’autorisation du propriétaire. Souvent, ça se fait de manière traditionnelle et sur plusieurs générations. J’exploite par exemple des parcelles sur lesquelles mon père démasclait déjà par le passé.


Sur les 4000 tonnes de liège produites chaque année en France, environ 2000 proviennent des suberaies corses. Actuellement, l’essentiel de ces 2000 tonnes insulaires est vendu au Portugal, en Italie, en Espagne et un peu sur le continent. L’île ne possède plus d’usine de transformation depuis les années 1970. L’objectif est-il d’en créer une nouvelle
?

On commence un peu à transformer une petite partie de notre récolte dans l’artisanat (coupes, plateaux, sacs…). Après, c’est une affaire d'économie d'échelle. Il est difficile de mettre en place une unité de transformation, mais c'est aussi le but du syndicat d’y réfléchir afin de défendre la profession et de faire face à la concurrence. Collectivement, on peut résoudre une grande partie des problèmes qui se posent à nous. En étant unis, on va par exemple peser davantage avec les 20 000 quintaux de toute notre production annuelle. Et là, le problème d’économie d’échelle peut être résolu : car avec un tonnage important on peut envisager de transformer nous-mêmes notre matière première. A court terme, l’objectif du syndicat est de s’unir, de pérenniser notre activité dans de bonnes conditions, de valoriser notre matière première et de former les jeunes à ce métier. A long terme, cela peut être la création d’une usine de transformation. En effet, si nous voulons produire des bouchons de liège, de l’isolant phonique ou thermique, il faudra une usine. Mais cela ne pourra se faire que si nous sommes regroupés.


Quid des décisions que pourraient prendre les élus insulaires concernant la filière liège ?



En Corse, on trouve du chêne-liège sur une superficie de plus de 60 000 hectares, dont 30 000 hectares de suberaie directement exploitable. Ce n’est pas négligeable. Dans la perspective d’une autonomie de la Corse, nous pensons que le liège constitue une possibilité de mener une politique industrielle concernant une matière première importante. La production de liège au niveau national représente 1 à 2% de la production mondiale. La Corse fournit à elle seule 50% de cette production nationale : le développement de cette filière est donc un enjeu stratégique pour notre île. Dans le cadre d’une autonomie qui favoriserait une politique d’industrialisation, les filières liège et bois sont des axes privilégiés qu’il serait regrettable de négliger. On ferait alors en sorte de ne pas vendre pas notre matière brut à 98 %, mais de la travailler et de la transformer en grande partie. Et on réaliserait de surcroit un produit moderne, écologique et propre.


Le liège en Corse
L’île compte une douzaine de liégeurs, dont 90% sont regroupés au sein du Sindicatu di i Suvaraghji Corsi.La Corse compte plus de 60.000 hectares de forêt où est présent le chêne-liège (sur les 550 000 hectares qui composent la forêt corse).L’île produit environ 20 000 quintaux de production annuelle (sur les 40 000 quintaux récoltés en France).Aucune usine de transformation. La Corse en a compté jusqu’à cinq par le passé.Le liège est un matériau imputrescible, de faible densité, imperméable aux liquides mais perméable aux gaz, fortement compressible, doté d’un grand retour élastique et d’un coefficient de friction très élevé lui conférant un fort pouvoir d’adhérence. Il est utilisé principalement dans la fabrication de bouchons pour la viticulture et de panneaux d’isolation pour le bâtiment. Cependant on le retrouve également dans les grands ouvrages (barrages, ponts, stades, aéroports), l’architecture, l’automobile, la décoration (murs, tapis, objets) l’environnement (éoliennes) ou encore le textile.




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