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Irlande du Nord : le Sinn Fein aux commandes

Un évènement historique !
Irlande du Nord : le Sinn Fein aux commandes


Un événement historique ! Pour la première fois, le gouvernement d’Irlande du Nord aura à sa tête une personnalité politique républicaine. En effet, depuis le 3 février dernier, Michelle O’Neill, leader du Sinn Fein, a accédé au poste de Premier ministre.


Michelle O’Neill, âgée de 47 ans, est issue d’une famille ayant toujours été très impliquée dans le combat républicain. Son père a été emprisonné pour appartenance à l’IRA (Irish Republican Army) puis a exercé un mandat d’élu local sous l’étiquette du Sinn Fein. Un de ses oncles était un collecteur de fonds de l’IRA. Un de ses cousins, lui aussi membre de l'IRA, a été tué en 1991 lors d’un embuscade tendue par l'armée britannique. Michelle O’Neill est pour sa part investie depuis trente ans ans au service de la cause républicaine. Elle a toujours milité au sein du Sinn Fein, parti à la tête duquel, en 2017, elle a succédé à Martin McGuinness, une grande figure républicaine (prisonnier politique, haut responsable de l’IRA, principal négociateur du l’accord du Vendredi saint qui a mis fin au conflit nord-irlandais, vice-président du gouvernement d’Irlande du Nord entre 2007 et 2017). Michelle O’Neill a toujours affiché sa solidarité politique avec l’IRA. Ainsi, en 2017, après avoir rendu hommage à huit combattants qui, trente ans auparavant, avaient été tués par des militaires britanniques alors qu’ils préparaient une attaque contre un commissariat, elle a déclaré être « une républicaine irlandaise » qui « toujours » commémorerait « les patriotes morts ». Ainsi, en 2022, lors d’un podcast réalisé par la BBC, elle a soutenu que la violence de l’IRA avait été nécessaire et qu’il n’y avait « aucune alternative ». Enfin, Michelle O’Neill a toujours affirmé que la réunification de l’Irlande était une revendication irrévocable.
En 2019, lors du congrès annuel du Sinn Fein, elle a d’ailleurs déclaré : « La question n’est plus de savoir si, mais quand se tiendra le référendum sur la réunification ». Républicaine déterminée et convaincue, Michelle O'Neill est cependant aussi une réaliste. Cette personnalité lui a permis, tout en conservant la confiance de la plupart des plus farouches partisans de la réunification de l’Irlande, de prolonger et mettre en œuvre la démarche pragmatique que Martin McGuinness avait inspirée et fait partager au Sinn Fein.
En effet : en signant l’accord de Saint-Andrews (octobre 2006), Martin McGuinness avait accepté le gel de la réunification de l’Irlande et ouvert la voie à une cogestion de l’Irlande du Nord par les Unionistes et les Républicains ; en ayant accédé à la vice-présidence du gouvernement de l’Irlande du Nord (2007), Martin McGuinness avait affiché un travail en commun et une réconciliation avec le pasteur Ian Paisley, leader des unionistes protestant, longtemps ennemi juré de l’IRA et des républicains, notamment en déclarant en 2008 : « Ian Paisley et moi n’avions jamais parlé de rien, pas même de la météo, et maintenant nous travaillons très étroitement depuis sept mois, sans qu’il n’y ait eu de paroles de colère. Cela montre que nous sommes dans une nouvelle ère. »


Une démarche pragmatique et gagnante


Quels éléments ont-ils conduit Michelle O'Neill à s’inscrire dans la continuité de la démarche pragmatique de Martin McGuinness et déterminent que cette dernière et le Sinn Fein s’y inscrivent encore aujourd’hui ? On peut en identifier au moins quatre. Primo, la plupart des républicains et des unionistes ne veulent pas vivre ou revivre les affrontements destructeurs et sanglants des trois dernières décennies du siècle passé. Deuxio, le Sinn Fein reste minoritaire. Pour preuve, en mai 2022, sa victoire électorale à l’occasion du renouvellement de l’Assemblée d’Irlande du Nord, ne lui a apporté qu’une majorité relative. Tertio, de nombreux nord-irlandais se situent aujourd’hui en dehors du clivage communautaire et confessionnel Catholiques / Protestants et de l’antagonisme politique Républicains / Unionistes. Ce qui a été confirmé, lors des élections de mai 2022, par le résultat du parti centriste Alliance. Celui-ci a obtenu 17 sièges et est arrivé en troisième position. Quarto, Michèle O’Neill et le Sinn Fein perçoivent les évolutions de la société nord-irlandaise (déclin du confessionnalisme et du communautarisme, aspirations à une paix durable, demande forte que des solutions soient apportées aux problèmes quotidiens, sentiment pro-Union Européenne), ce qui les a conduit, aujourd’hui comme hier, à remettre à plus tard l’exigence de réunification de l'Irlande, à privilégier la recherche de réponses aux problématiques économiques, sociales et sociétales (emploi, pouvoir d'achat, santé, logement, interruption volontaire de grossesse…), à s’opposer au Brexit. La démarche pragmatique a porté ses fruits. Elle s’est avérée gagnante. En effet, étant confrontés à l’adéquation du positionnement des républicains avec l’évolution de la société, les unionistes ont pâti d’en être resté à un message confessionnel et communautariste, de ne pas s’être écartés d’une ligne politique socialement et sociétalement conservatrice, d’avoir soutenu le Brexit. Ce qui a été sanctionné par l’électorat.
En mai 2022, à l’issue des élections portant renouvellement de l’Assemblée d’Irlande du Nord, le Sinn Fein a devancé de 2 sièges le Democratic Unionist Party, principal parti unioniste. L’an passé, à l’occasion des élections dans les onze circonscriptions communales nord-irlandaises, le Sinn Fein est arrivé en première position en totalisant 144 sièges sur 462 à pourvoir, a obtenu 39 sièges de plus qu’en 2019 et a réalisé des percées dans des bastions unionistes. Ce qui lui a permis de renforcer son ancrage local. Enfin, ces derniers jours, Michelle O’Neill a accédé au poste de Premier ministre du gouvernement nord-irlandais et a ainsi pu annoncer que survenait « un moment significatif de changement » et que s’ouvrait « une nouvelle ère ».


Alexandra Sereni


Conflit, Accord du Vendredi saint, Accord
de Saint-Andrews...



L'Irlande est divisée en deux entités depuis 1921 : la République d'Irlande ; l’Irlande du Nord qui est rattachée au Royaume-Uni. A la fin des années 1960, en Irlande du Nord, la minorité catholique, plutôt favorable à la rupture avec le Royaume Uni et à la réunification de l’Irlande (républicaine) a, dans le cadre du Mouvement des droits civiques, remis en cause les discriminations politiques, économiques et sociales que lui imposait la majorité protestante au pouvoir, fidèle à la couronne britannique (unioniste). La violente répression de ce mouvement par la police nord-irlandaise essentiellement composée de protestants unionistes à laquelle l’armée britannique a prêté main forte, la constitution de l’Armée Républicaine Irlandaise (IRA) qui est passée de la protection de la population catholique à une lutte nationaliste, et enfin la création de groupes para-militaires protestants, ont conduit à un conflit sanglant entre protestants unionistes et catholiques républicains. Ce conflit a duré près de trois décennies. En 1998, les républicains (principalement représentés par le Sinn Fein) et les loyalistes (principalement représentés par le Democratic Unionist Party) se sont entendus pour mettre fin au conflit (Accord du Vendredi saint). En 2006, ils ont convenu d’administrer conjointement l’Irlande du Nord en respectant le fait majoritaire issu des urnes (Accord de Saint-Andrews). Le Brexit (retrait du Royaume-Uni de l’Union Européenne) a compromis cet équilibre.
En avril 2021, deux Premiers ministres unionistes ont successivement démissionné pour marquer leur désaccord avec le rétablissement de contrôles douaniers entre les ports nord-irlandais et le continent britannique, y voyant d’une part, la création de facto d’une frontière excluant l’Irlande du Nord du Royaume-Uni ; d’autre part, un pas vers une réunification de l’Irlande du fait qu’elle est membre de l’Union Européenne. Ces démissions ont entraîné la paralysie des institutions régionales nord-irlandaises et un retour à la gestion britannique. Le boycott unioniste a duré deux ans.
Ces derniers jours, le principal parti unionistes (Democratic Unionist Party) a annoncé mettre fin au boycott, vouloir reprendre la gestion conjointe avec le Sinn Fein et respecter le fait majoritaire en acceptant l’accession de la républicaine Michelle O'Neill au poste de Premier ministre du gouvernement d’Irlande du Nord.
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