• Le doyen de la presse Européenne

La chosification de nos âmes

La ferveur des Corse pour les célébrations pascales est importante,.......
La chosification de nos âmes

La ferveur des Corses pour les célébrations pascales est importante, les offices religieux voient souvent une affluence importante. Pour autant la société dans son ensemble reste-t-elle imprégnée de ce calendrier chrétien qui scandait les vies de nos anciens il n’y a pas si longtemps ? La question doit être posée. Elle s’inscrit dans celle relative au vaste mouvement de recul de la spiritualité que l’on constate présent partout sur le territoire national et dont il est utile de mesurer l’importance sur notre île.


D’un point de vue général, il est constant que sous prétexte de laïcité et de modernité, on a voulu nous vendre un retour vers le matérialisme et toujours plus de société de consommation. L’être devait se transformer en paraître permanent et l’action de vie devait se résumer, pour que nous soyons au monde, nous a-t-on dit, en acte de consommation. Tristes perspectives mais qui, hélas, irriguent nos sociétés depuis plusieurs dizaines d’années. Tout cela est venu progressivement, a été mis en place par petites touches, pour n’être pas trop visible. Nous en sommes aujourd’hui à une sorte d’acmé. Le roi est nu. On ne trouve plus que des foules errantes abruties par les jeux télévisés et les émissions de divertissement, hypnotisées par de faux débats qui ne sont que pugilats sans pensée construite, car l’objectif est juste de faire du bruit. Les émissions qualifiées faussement de « téléréalité » ne sont en fait que mise en scène de vastes projets d’exacerbation de ce qu’il y a de plus vil et de plus bas en nous : le calcul retors, la fourberie, l’abaissement de l’autre, le tout pour tenter de l’éliminer du « jeu ». On est loin des valeurs de solidarité et de respect mutuel qui doivent nourrir une société civilisée. Tout cela crée un climat, délétère s’entend, de chosification de tout, des hommes comme des sentiments, dans un cadre général d’utilitarisme.

La Corse y échappe-t-elle ? On voudrait tant le croire mais, hélas, et malgré notre « forte identité » nous sommes bien pris dans le maelström de cette société de consommation et de marché. Il suffit de noter que, pendant cette Semaine sainte, d’aucuns n’ont pas eu de scrupules à organiser des galas de danse et autres réjouissances de toutes natures, comme si aucune symbolique pour des civilisations chrétiennes n’était en cause quand se tiennent les rites fondateurs, lesquels auraient pu justifier que l’on chasse quelques jours les marchands du temple. Ce qui est symptomatique c’est que cela ne vient même pas à l’esprit de ceux qui sont concernés, tant le spirituel et les traditions sont éloignés de leurs « réflexes » ordinaires. Cela témoigne d’un recul dans la civilisation et se paiera au prix fort un jour ou l’autre.

D’autres éléments accréditent, si besoin était, ce basculement sociétal majeur, ce sont ceux relevant de l’ostentation dans la possession de biens matériels. Notre parc automobile, dans une île où, semble-t-il, la précarité augmente, illustre une appétence pour la société de l’apparence que nos anciens auraient sans nul doute réprouvé. C’est aussi l’étalage des vies sur les réseaux dits sociaux, illustration de la « société du spectacle » consubstantielle à celle de consommation à laquelle on n’échappe pas. On sait ainsi qui mange quoi et souvent avec qui dans tel ou tel restaurant, ce qui devrait nous laisser de marbre si nous étions raisonnablement pourvus d'un cerveau. Ne parlons pas des lieux fréquentés et des choses achetées dont on nous informe, pour nous dire sans doute que l’on vit, car on « profite ». Toujours, ce sont les mots du « marché » qui sont utilisés. Tout cela ne peut qu’entraîner le désarroi des esprits, car si certes l’homme vit de pain, il vit aussi d’espérance, et de ce qui constitue ainsi sa vie intérieure que l’on fait tout pour réduire à néant. Il est certain qu’un individu qui n’est plus qu’un consommateur est plus malléable et plus facile à contrôler dans la frénésie permanente de l’acte d’achat qui seul, pour beaucoup, donne le sentiment d’exister.

Si, face à des mouvements de populations notables, notre société est incapable d’agir pour conserver ce qui faisait son identité, notre singularité disparaîtra dans les eaux de la mondialisation « heureuse »…

Jean-François Poli
Partager :