Les ravages de l'urbanisme en Corse
Suite de contibution n°72 anonyme
Les ravages de l’urbanisme en Corse
Dans notre précédent numéro, nous avons publié la première partie de la contribution n°72, anonyme, qui a été déposée le 20 septembre 2024, lors de l’enquête publique relative au projet du Plan Local d’Urbanisme de Zonza (texte rendu public par U Levante). Voici la quasi intégralité de la seconde partie. Cette contribution ne reflète pas une analyse ou un prise de position de notre hebdomadaire, mais une place faite au débat. Nos colonnes sont ouvertes à quiconque (notamment la commune de Zonza) souhaiterait faire part d’observations, de critiques ou de mises au point.
Dès que la compétence en matière de délivrance des autorisations a été transférée au maire en 1982, élu de proximité accessible et préoccupé par l’intérêt de ses administrés pris collectivement et individuellement, il est progressivement apparu que chacun, à condition d’être propriétaire d’un bout de terrain ou d’avoir trouvé un terrain à acheter pas cher, pouvait obtenir pour lui-même un droit de construire assez facilement. La multiplication aveugle des investissements immobiliers résidentiels et touristiques, toujours aussi critiquable du point de vue de ses effets induits pour la collectivité, a été beaucoup mieux acceptée dès lors qu’elle s’est mise à profiter à tout un tas de petits opérateurs, à tout un chacun. Plutôt que quelques milliers de chambres réparties sur quelques sites, auxquels les Corses se sont massivement opposés et à juste titre comme à la Testa Ventilegne à Figari, la Corse a vu proliférer plus d’une centaine de milliers de logements sur la quasi-totalité de son littoral et de ses plaines, contructions étant totalement dispersées et encore plus impactantes. La Corse est devenu l’archétype du territoire mité. Et ce qu’il faut dire et redire, jusqu’à ce que cela devienne une évidence, c’est que ce phénomène peut paraître « subi » collectivement, mais qu’il est individuellement voulu et décidé par des Corses, qui en sont les initiateurs, pétitionnaires des autorisations de construire, propriétaires vendeurs ou loueurs, et qui en sont aussi les validateurs, puisque je ne connais aucune commune dont le maire et la majorité du conseil municipal ne seraient pas des Corses, et ce à aucun moment depuis 1982 date de la prise de compétence. Compte tenu des ressorts que j’ai décrits précédemment, il est donc compréhensible mais aussi normal que la progression du bétonnage de la Corse qui dessert l’intérêt général mais profite à une masse d’opérateurs économiques individuels (comme toutes les tragédies des biens communs), ait émergé à l’occasion de la « responsabilisation » des élus locaux, et se soit généralisée. Du moins jusqu’à un certain point… En effet, le modèle de la rente et de la colonisation immobilière en contexte de pression touristique se heurte théoriquement à deux limites.
La rente et la colonisation immobilière face aux régulateurs et au marché
La première de ces limites est la régulation car le fait que ce modèle soit contraire à l’intérêt général conduit le législateur à prendre des dispositions pour le limiter et en maîtriser les externalités. En France, la prise de conscience des dégâts de la décentralisation et du transfert de compétence aux maires en matière d’urbanisme dans les secteurs à fort attrait touristique a été quasi immédiate. Dans la même législature que les lois de décentralisation (1981-1986), le Parlement a élaboré et voté deux lois majeures : la loi Montagne en 1985 ; la loi Littoral en 1986. Malgré les différences de contextes géographiques, ces deux lois : d’une part, avaient les mêmes objectifs (préserver les biens communs, limiter le désordre urbain ainsi que préserver les ressources naturelles et productives au profit de la création de richesse durable) ; d’autre part, apportaient des solutions très voisines sous forme de règles limitant les possibilités de construire sur la base de critères strictement géographiques étant basés sur l’existant (on ne construit qu’en continuité de ce qui mérite d’être déjà là, et de ce qui mérite, compte tenu des qualités qu’on y trouve, d’être étendu, à savoir villages ou hameaux en montagne, agglomérations sur le littoral ; on construit en s’inspirant de ce qui est déjà là, en visant l’harmonie ; on ne se pose pas les questions « qui construit, pour qui, comment, ce qui est-il d’ici ou d’ailleurs ? » Depuis, bien d’autres limites ont été mises en place par les régulateurs à l’échelle nationale et européenne. En France : les lois SRU, ALUR, ELAN, etc. En Corse, la collectivité a elle-même un pouvoir de régulation et l’a exercé en théorie en approuvant le PADDUC qui poursuit des objectifs en tous points en ligne avec les préoccupations que j’exprime, et que le législateur avait déjà encadré, ou a encadré peu de temps après l’adoption du PADDUC.
Comme je l’ai indiqué plus haut, il est théoriquement deux limites au modèle de la rente et de la colonisation immobilière en contexte de pression touristique. La deuxième de ces limites est l’effet ciseau du marché lui-même. Avec l’atteinte, dans un univers fini, d’un niveau d’offre qui finit par excéder la demande potentielle (pas en termes strictement quantitatifs mais sur le plan qualitatif), on en vient à cela : toujours plus d’hébergements dispersés partout = toujours plus de béton visible = destination touristique de moins en moins plaisante et donc de moins en moins attractive… et des revenus qui finissent par baisser… C’est en effet parce que le béton illégal mais autorisé a abîmé la Corse que nous traversons un début de crise et, aussi, que le désamour des touristes pour la Corse commence à se faire jour. La même déception qui affecte les résidents corses dépités de voir leur île défigurée chaque année un peu plus, commence à sauter aux yeux de ceux qui y venaient en vacances il y a trente ans, vingt ans, dix ans. Ils en viennent à se dire qu’il faut désormais aller ailleurs, là où le béton n’est pas encore arrivé à recouvrir le paysage. Nos professionnels nous expliquent que c’est la faute au prix des transports, comme si la Corse avait été une destination facile d’accès et abordable au cours des 40 dernières années. Foutaise ! La Corse n’est déjà plus l’île de beauté, et ça commence à se (sa)voir.
La quasi impuissance de la régulation
Il est frappant que la régulation qui a été mise en place en 1985 et 1986, soit trois et quatre ans après l’apparition d’un fléau parfaitement identifié dès le début (la rente et la colonisation immobilière, ndlr), s’est révélée impuissante à prévenir ou juguler. La raison en est toute simple. La Corse a mis un point d’honneur à ne jamais appliquer les lois qui défendaient l’intérêt général. Elle a fait prévaloir les intérêts particuliers de ses enfants parce qu’ils étaient « de chez nous ». Et, aujourd’hui, nous sommes face à une situation très difficile à traiter, tant cette tendance a créé de dégâts pour notre pays, au sens physique du terme, mais aussi pour notre population, au sens humain. Que d’inégalités creusées par la distribution de droits à bâtir injustifiés, que iniquités, que d’injustices ! D’une part, on a des gens enfreignant la loi et s’enrichissant par la même occasion, pour la seule raison qu’ils avaient la chance d’être déjà propriétaires de terrains familiaux ; d’autre part, bien plus nombreux évidemment, on a des gens, qui ne peuvent que subir les conséquences sur leur cadre de vie (et le renchérissement des services publics !) du processus d’urbanisation désordonnée, et ce, sans en profiter le moins du monde puisqu’ils n’ont pas la ressource foncière qui est le support du déversement de droits à bâtir. Aujourd’hui encore, la commune de Zonza propose un PLU qui contrevient frontalement et extensivement à la loi, et au PADDUC évidemment. J’ai parcouru les avis de l’État et de la Région qui relèvent un certain nombre de ces illégalités, sans les réprimander vertement. En clair, si vous lisez bien son avis, la région voit tout, mais ne condamne pas, et trouve même des raisons pour laisser faire. Je vous renvoie à tous les « mais », « cependant », qui sont autant de circonstances atténuantes trouvées à la commune ou de moyens de nuancer des constats pourtant implacables : Taglio Rosso n’est pas un village et n’a donc pas à être constructible et encore moins étendu ; idem pour Pinarello ; idem pour Cirindinu et toute la zone de la plaine au-delà de l’hyper centre de Sainte Lucie qui n’est sûrement pas une agglomération mais au mieux un ancien hameau noyé dans une nappe de constructions diffuses et désordonnées.
Alors qu’il faudrait essayer de tout arrêter et de réparer au sein des espaces déjà bâtis pour essayer de les rendre praticables et agréables à vivre à l’année pour tous types de comportements et usages (à commencer par la promenade autour de chez soi, le passage de transports en commun...), chacun semble d’accord pour continuer à laisser faire.
En somme : « Continuer à ravager les abords de la route nationale à Sainte Lucie en ouvrant à la constructibilité une prétendue zone d’activité jusqu’à quasiment la limite de Lecci, c’est pas grave, nous allons faire un contournement qui nous permettra de regarder ailleurs. De toute façon, un immeuble défigure déjà le paysage de l’autre côté » Mais, Messieurs de la région, le contournement que vous proposez n’est pas légal car la Loi littoral interdit les nouvelles routes de transit dans la bande des 2 km du rivage, sauf cas de force majeure du fait de caractéristiques géographiques. Ce que l’on peut très bien concevoir dans la péninsule de Crozon, ou sur le littoral escarpé de la Réunion, mais pas dans un des rares secteurs de plaine de Corse où il est tout à fait possible d’éloigner la route de la côte !
Plein d’autres ont fait pareil…
Je conclurai en posant deux questions assez simples. Primo, pourquoi la mairie (et la collectivité complice, avec l’appui bienveillant du préfet) devrait-elle continuer sur la même voie que depuis 40 ans ? Secundo, pourquoi faudrait-il la laisser faire ? La réponse à la première question est assez facile à trouver, elle se trouve dans le registre d’enquête publique. Il suffit de lire les dizaines d’observations de gens qui demandent que leur terrain soit rendu constructible. Preuve que tout le monde n’a pas encore profité des illégalités, ou que ceux qui en ont déjà bien profité ne sont pas rassasiés. Le plus cocasse, et aussi le plus triste, ce sont les observations des propriétaires (directement ou via leur avocat) qui vous expliquent avoir construit (après 1986 évidemment) leur maison à tel endroit, en discontinuité des villages ou agglomérations, dont les voisins ont bénéficié plus ou moins des mêmes passe-droits, et qui ne comprennent pas pourquoi il ne serait pas possible qu’au même endroit, leurs enfants fassent de même à l’avenir. Ces observations, travesties par la subjectivité de leurs auteurs, je les reformule ainsi, en français compréhensible par tous et en toute objectivité : « Nous avons enfreint la loi il y a trente ans une première fois et avons pu grâce à ça nous construire une belle maison en site censément inconstructible. D’ailleurs, le maire de l’époque était d’accord ! Plein d’autres depuis ont fait pareil. La moindre des choses serait que nos enfants aient les mêmes passe-droits…»
Pour quelques dizaines de propriétaires déçus par ce projet de PLU, il faut bien prendre conscience qu’il y en a quelques centaines qui ne disent rien car leurs terrains, tout aussi inconstructibles en vertu de la loi, sont classés en zone U ou AU par ce PLU. Pourquoi la mairie maintient-elle un nombre de terrains constructibles en toute illégalité, alors qu’elle s’est faite élire sur un programme politique à l’opposé ? Probablement, parce que l’exercice de la compétence d’urbanisme dans le contexte que j’ai décrit plus haut est une gageure. Reste la seconde question (Pourquoi faudrait-il la laisser faire ?) A cette question, je ne trouve aucune réponse logique, et je me réjouis que, contrairement à la Région et à l’État, il reste encore quelques acteurs motivés, notamment dans le champ de l’écologie, pour tenter de défendre nos biens communs contre les appétits individuels. Madame la commissaire enquêtrice, je crois que, dès lors que vous vous trouvez face à un projet manifestement illégal, vous avez le devoir d’en tirer les conséquences en délivrant un avis défavorable.
Crédit photo :Pexels -Photo d'illustration
Dans notre précédent numéro, nous avons publié la première partie de la contribution n°72, anonyme, qui a été déposée le 20 septembre 2024, lors de l’enquête publique relative au projet du Plan Local d’Urbanisme de Zonza (texte rendu public par U Levante). Voici la quasi intégralité de la seconde partie. Cette contribution ne reflète pas une analyse ou un prise de position de notre hebdomadaire, mais une place faite au débat. Nos colonnes sont ouvertes à quiconque (notamment la commune de Zonza) souhaiterait faire part d’observations, de critiques ou de mises au point.
Dès que la compétence en matière de délivrance des autorisations a été transférée au maire en 1982, élu de proximité accessible et préoccupé par l’intérêt de ses administrés pris collectivement et individuellement, il est progressivement apparu que chacun, à condition d’être propriétaire d’un bout de terrain ou d’avoir trouvé un terrain à acheter pas cher, pouvait obtenir pour lui-même un droit de construire assez facilement. La multiplication aveugle des investissements immobiliers résidentiels et touristiques, toujours aussi critiquable du point de vue de ses effets induits pour la collectivité, a été beaucoup mieux acceptée dès lors qu’elle s’est mise à profiter à tout un tas de petits opérateurs, à tout un chacun. Plutôt que quelques milliers de chambres réparties sur quelques sites, auxquels les Corses se sont massivement opposés et à juste titre comme à la Testa Ventilegne à Figari, la Corse a vu proliférer plus d’une centaine de milliers de logements sur la quasi-totalité de son littoral et de ses plaines, contructions étant totalement dispersées et encore plus impactantes. La Corse est devenu l’archétype du territoire mité. Et ce qu’il faut dire et redire, jusqu’à ce que cela devienne une évidence, c’est que ce phénomène peut paraître « subi » collectivement, mais qu’il est individuellement voulu et décidé par des Corses, qui en sont les initiateurs, pétitionnaires des autorisations de construire, propriétaires vendeurs ou loueurs, et qui en sont aussi les validateurs, puisque je ne connais aucune commune dont le maire et la majorité du conseil municipal ne seraient pas des Corses, et ce à aucun moment depuis 1982 date de la prise de compétence. Compte tenu des ressorts que j’ai décrits précédemment, il est donc compréhensible mais aussi normal que la progression du bétonnage de la Corse qui dessert l’intérêt général mais profite à une masse d’opérateurs économiques individuels (comme toutes les tragédies des biens communs), ait émergé à l’occasion de la « responsabilisation » des élus locaux, et se soit généralisée. Du moins jusqu’à un certain point… En effet, le modèle de la rente et de la colonisation immobilière en contexte de pression touristique se heurte théoriquement à deux limites.
La rente et la colonisation immobilière face aux régulateurs et au marché
La première de ces limites est la régulation car le fait que ce modèle soit contraire à l’intérêt général conduit le législateur à prendre des dispositions pour le limiter et en maîtriser les externalités. En France, la prise de conscience des dégâts de la décentralisation et du transfert de compétence aux maires en matière d’urbanisme dans les secteurs à fort attrait touristique a été quasi immédiate. Dans la même législature que les lois de décentralisation (1981-1986), le Parlement a élaboré et voté deux lois majeures : la loi Montagne en 1985 ; la loi Littoral en 1986. Malgré les différences de contextes géographiques, ces deux lois : d’une part, avaient les mêmes objectifs (préserver les biens communs, limiter le désordre urbain ainsi que préserver les ressources naturelles et productives au profit de la création de richesse durable) ; d’autre part, apportaient des solutions très voisines sous forme de règles limitant les possibilités de construire sur la base de critères strictement géographiques étant basés sur l’existant (on ne construit qu’en continuité de ce qui mérite d’être déjà là, et de ce qui mérite, compte tenu des qualités qu’on y trouve, d’être étendu, à savoir villages ou hameaux en montagne, agglomérations sur le littoral ; on construit en s’inspirant de ce qui est déjà là, en visant l’harmonie ; on ne se pose pas les questions « qui construit, pour qui, comment, ce qui est-il d’ici ou d’ailleurs ? » Depuis, bien d’autres limites ont été mises en place par les régulateurs à l’échelle nationale et européenne. En France : les lois SRU, ALUR, ELAN, etc. En Corse, la collectivité a elle-même un pouvoir de régulation et l’a exercé en théorie en approuvant le PADDUC qui poursuit des objectifs en tous points en ligne avec les préoccupations que j’exprime, et que le législateur avait déjà encadré, ou a encadré peu de temps après l’adoption du PADDUC.
Comme je l’ai indiqué plus haut, il est théoriquement deux limites au modèle de la rente et de la colonisation immobilière en contexte de pression touristique. La deuxième de ces limites est l’effet ciseau du marché lui-même. Avec l’atteinte, dans un univers fini, d’un niveau d’offre qui finit par excéder la demande potentielle (pas en termes strictement quantitatifs mais sur le plan qualitatif), on en vient à cela : toujours plus d’hébergements dispersés partout = toujours plus de béton visible = destination touristique de moins en moins plaisante et donc de moins en moins attractive… et des revenus qui finissent par baisser… C’est en effet parce que le béton illégal mais autorisé a abîmé la Corse que nous traversons un début de crise et, aussi, que le désamour des touristes pour la Corse commence à se faire jour. La même déception qui affecte les résidents corses dépités de voir leur île défigurée chaque année un peu plus, commence à sauter aux yeux de ceux qui y venaient en vacances il y a trente ans, vingt ans, dix ans. Ils en viennent à se dire qu’il faut désormais aller ailleurs, là où le béton n’est pas encore arrivé à recouvrir le paysage. Nos professionnels nous expliquent que c’est la faute au prix des transports, comme si la Corse avait été une destination facile d’accès et abordable au cours des 40 dernières années. Foutaise ! La Corse n’est déjà plus l’île de beauté, et ça commence à se (sa)voir.
La quasi impuissance de la régulation
Il est frappant que la régulation qui a été mise en place en 1985 et 1986, soit trois et quatre ans après l’apparition d’un fléau parfaitement identifié dès le début (la rente et la colonisation immobilière, ndlr), s’est révélée impuissante à prévenir ou juguler. La raison en est toute simple. La Corse a mis un point d’honneur à ne jamais appliquer les lois qui défendaient l’intérêt général. Elle a fait prévaloir les intérêts particuliers de ses enfants parce qu’ils étaient « de chez nous ». Et, aujourd’hui, nous sommes face à une situation très difficile à traiter, tant cette tendance a créé de dégâts pour notre pays, au sens physique du terme, mais aussi pour notre population, au sens humain. Que d’inégalités creusées par la distribution de droits à bâtir injustifiés, que iniquités, que d’injustices ! D’une part, on a des gens enfreignant la loi et s’enrichissant par la même occasion, pour la seule raison qu’ils avaient la chance d’être déjà propriétaires de terrains familiaux ; d’autre part, bien plus nombreux évidemment, on a des gens, qui ne peuvent que subir les conséquences sur leur cadre de vie (et le renchérissement des services publics !) du processus d’urbanisation désordonnée, et ce, sans en profiter le moins du monde puisqu’ils n’ont pas la ressource foncière qui est le support du déversement de droits à bâtir. Aujourd’hui encore, la commune de Zonza propose un PLU qui contrevient frontalement et extensivement à la loi, et au PADDUC évidemment. J’ai parcouru les avis de l’État et de la Région qui relèvent un certain nombre de ces illégalités, sans les réprimander vertement. En clair, si vous lisez bien son avis, la région voit tout, mais ne condamne pas, et trouve même des raisons pour laisser faire. Je vous renvoie à tous les « mais », « cependant », qui sont autant de circonstances atténuantes trouvées à la commune ou de moyens de nuancer des constats pourtant implacables : Taglio Rosso n’est pas un village et n’a donc pas à être constructible et encore moins étendu ; idem pour Pinarello ; idem pour Cirindinu et toute la zone de la plaine au-delà de l’hyper centre de Sainte Lucie qui n’est sûrement pas une agglomération mais au mieux un ancien hameau noyé dans une nappe de constructions diffuses et désordonnées.
Alors qu’il faudrait essayer de tout arrêter et de réparer au sein des espaces déjà bâtis pour essayer de les rendre praticables et agréables à vivre à l’année pour tous types de comportements et usages (à commencer par la promenade autour de chez soi, le passage de transports en commun...), chacun semble d’accord pour continuer à laisser faire.
En somme : « Continuer à ravager les abords de la route nationale à Sainte Lucie en ouvrant à la constructibilité une prétendue zone d’activité jusqu’à quasiment la limite de Lecci, c’est pas grave, nous allons faire un contournement qui nous permettra de regarder ailleurs. De toute façon, un immeuble défigure déjà le paysage de l’autre côté » Mais, Messieurs de la région, le contournement que vous proposez n’est pas légal car la Loi littoral interdit les nouvelles routes de transit dans la bande des 2 km du rivage, sauf cas de force majeure du fait de caractéristiques géographiques. Ce que l’on peut très bien concevoir dans la péninsule de Crozon, ou sur le littoral escarpé de la Réunion, mais pas dans un des rares secteurs de plaine de Corse où il est tout à fait possible d’éloigner la route de la côte !
Plein d’autres ont fait pareil…
Je conclurai en posant deux questions assez simples. Primo, pourquoi la mairie (et la collectivité complice, avec l’appui bienveillant du préfet) devrait-elle continuer sur la même voie que depuis 40 ans ? Secundo, pourquoi faudrait-il la laisser faire ? La réponse à la première question est assez facile à trouver, elle se trouve dans le registre d’enquête publique. Il suffit de lire les dizaines d’observations de gens qui demandent que leur terrain soit rendu constructible. Preuve que tout le monde n’a pas encore profité des illégalités, ou que ceux qui en ont déjà bien profité ne sont pas rassasiés. Le plus cocasse, et aussi le plus triste, ce sont les observations des propriétaires (directement ou via leur avocat) qui vous expliquent avoir construit (après 1986 évidemment) leur maison à tel endroit, en discontinuité des villages ou agglomérations, dont les voisins ont bénéficié plus ou moins des mêmes passe-droits, et qui ne comprennent pas pourquoi il ne serait pas possible qu’au même endroit, leurs enfants fassent de même à l’avenir. Ces observations, travesties par la subjectivité de leurs auteurs, je les reformule ainsi, en français compréhensible par tous et en toute objectivité : « Nous avons enfreint la loi il y a trente ans une première fois et avons pu grâce à ça nous construire une belle maison en site censément inconstructible. D’ailleurs, le maire de l’époque était d’accord ! Plein d’autres depuis ont fait pareil. La moindre des choses serait que nos enfants aient les mêmes passe-droits…»
Pour quelques dizaines de propriétaires déçus par ce projet de PLU, il faut bien prendre conscience qu’il y en a quelques centaines qui ne disent rien car leurs terrains, tout aussi inconstructibles en vertu de la loi, sont classés en zone U ou AU par ce PLU. Pourquoi la mairie maintient-elle un nombre de terrains constructibles en toute illégalité, alors qu’elle s’est faite élire sur un programme politique à l’opposé ? Probablement, parce que l’exercice de la compétence d’urbanisme dans le contexte que j’ai décrit plus haut est une gageure. Reste la seconde question (Pourquoi faudrait-il la laisser faire ?) A cette question, je ne trouve aucune réponse logique, et je me réjouis que, contrairement à la Région et à l’État, il reste encore quelques acteurs motivés, notamment dans le champ de l’écologie, pour tenter de défendre nos biens communs contre les appétits individuels. Madame la commissaire enquêtrice, je crois que, dès lors que vous vous trouvez face à un projet manifestement illégal, vous avez le devoir d’en tirer les conséquences en délivrant un avis défavorable.
Crédit photo :Pexels -Photo d'illustration