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Une fille , un père et la voyoucratie
« Le Royaume », film de Julien Colonna
Une fille, un père et la voyoucratie
Avant sa sortie en salles, d’avant-premières en festivals « Le Royaume » de Julien Colonna s’est fait une renommée impressionnante tant le film a emballé les spectateurs. Sans doute par ses thématiques : les rapports père-fille avec en toile de fond une histoire de voyous dans un environnement de toute beauté et d’obscurité tourmentée qui se nomme la Corse !
Julien Colonna est corse et dès les premières images non seulement ça se voit mais ça se sent et ça se ressent. La nature avec son flamboyant maquis d’été est omniprésente et les recoins sombres de l’âme insulaire aussi. Colonna déploie une grammaire de l’île avec sa syntaxe cinglante au détour. Banale son histoire et pourtant unique et c’est là où l’on juge un cinéaste.
Lesia est une adolescente pour qui fleurit l’amour en la personne d’un jeune qui lui correspond. Un jeune ordinaire sans trop d’aspérités. Et puis une page se tourne et l’on va découvrir peu à peu les sentiments assez effacés puis de plus en plus forts qui lient Lesia et son père. Lesia a un tempérament rude à preuve la façon dont elle va dépecer un sanglier tué au cours d’une chasse à laquelle elle a participé. La scène est loin d’être anodine. Elle est révélatrice d’un tempérament bien trempé qui va la conduire à connaitre et appréhender l’entourage de son père dans lequel la précipite un hasard qui rime avec destin et qui va la sortir du tunnel de douceur de l’enfance. Elle s’engage alors sur la voie d’une vérité qui ne sera pas un parcours semé de roses parce qu’il sera synonyme d’épreuves aux contours parfois terribles.
Son père, Lesia le sait bon papa car ainsi doivent être tous les pères selon elle. Trop simple parce que Lesia a beaucoup à apprendre tant on lui a caché beaucoup de choses. Qu’en est-il de l’univers de Pierre Paul, son père ? Le voile que Lesia déchire lui fait découvrir à la fois combien elle peut aimer ce père et ses mystères, combien son monde est imprévisible hors la loi et enraciné dans sa terre. Truand de classe secondaire Pierre Paul va de caches en traques,de courses poursuites en haltes précaires. Son vécu c’est échapper à ses ennemis, des flingueurs de tous poils. Sans cesse à redouter la balle qui va envoyer ad patres un des siens, un de son clan. Sans cesse sur le qui-vive. Comment être l’enfant d’un tel homme ? En répondant à cette question l’histoire racontée par Colonna s’humanise… c’est là un atout maître !
Progressivement au contact de ce père d’abord énigmatique Lesia défriche les sentiments de celui auquel elle doit la vie et en même temps les liens qui en profondeur la lie à lui… Qu’importe apparemment ceux, qui membres du clan paternel, se font fumer mais l’engrenage la guette. On n’échappe pas au fatum !
Lesia, jouée par Ghjuvanna Benedetti, est d’un extraordinaire magnétisme. Elle porte le film sur ses épaules. Sa gueule rappelle celle de la toute jeune Sandrine Bonnaire dans « Sans toit ni loi » d’Agnes Varda. Non à cause d’une ressemblance physique mais par une manière d’être qui ne s’en laisse pas conter. Etonnant…
Saveriu Santucci, qui incarne Pierre Paul, a également une présence subjuguante. Si les comédiens sont pratiquement tous des amateurs, le réalisateur s’en tire haut la main et sa direction d’acteurs est des plus convaincantes. Le film épouse tour à tour un rythme énergique ou plus apaisant correspondant à des instants plus tendres, plus attendrissantes.
« Le Royaume », une réussite.
Michèle Acquaviva-Pache
• Sortie en salle ce mercredi 30 octobre.
ENTRETIEN AVEC JULIEN COLONNA
A l’évidence le thème majeur de votre film est celui des rapports père-fille. Pourquoi une fille plutôt qu’un fils ?
Avec ma coscénariste, Jeanne Herry, choisir une jeune fille nous a paru plus fort du point de vue dramatique. Mais au fond fille ou garçon nous n’avons pas genré son rôle. Lesia est une enfant sentinelle. Elle a un tempérament très tranché. Elle est raisonnable et frondeuse.
Le titre de votre film interpelle, « Le Royaume ». Quel sens précis lui donnez-vous ?
Dans un royaume naissent tous les drames, les jalousies, les trahisons… Un royaume peut connoter un territoire et comprendre un même peuple. Un royaume peut être convoité ou non. Dans mon film le royaume est partage de souvenirs, d’odeurs, de moments forts. « Le Royaume », Lesia s’en souviendra plus tard comme d’un paradis perdu.
Sur quels critères avez-vous déterminé qui jouerait Lesia ?
Il nous fallait trouver quelqu’un de très taiseux, qui écoute beaucoup, très fragile et très solide. Le casting global s’est étalé sur huit mois. Ghjuvanna Benedetti qui interprète Lesia nous l’avons rencontrée et sélectionnée au bout de trois mois !... Ghjuvanna est fascinante par son regard, par ses silences. Dans la vie elle a la tête sur les épaules. Elle fait son école d’infirmière et est sapeure volontaire. Le film a représenté pour elle une aventure particulière. C’est tout à fait remarquable la manière dont elle a collé immédiatement à son personnage. Elle n’a pas eu beaucoup à composer. Face à la caméra elle est restée… ce qu’elle est… Elle a 22 ans.
Quel style de personne cherchiez-vous pour incarner Pierre Paul, le père de Lesia ?
Trouver qui allait jouer Pierre Paul a été le plus difficile. Il nous fallait un personnage qui soit dur et tendre et qui puisse incarner un chef de clan. Or, sur ce point on était dans une zone grise ce qui n’était pas évident !...
Dans quels endroits de Corse avez-vous tourné ?
Aux deux tiers « Le Royaume » a été filmé dans le Valinco, un endroit où il n’y avait jamais eu de tournages… Et puis cet endroit je le connais bien et j’aime que mes personnages évoluent dans des lieux que je connais. Nous avons aussi fait des images sur la rive sud d’Ajaccio et quelques-unes en centre-ville.
La nature avec le maquis, les arbres, les cours d’eau, les bords de plage isolés sont très importants. Est-ce pour venir en contrepoint de l’histoire de truands ?
La Corse est un personnage à part entière. Je l’ai filmé en été pour qu’on ressente la chaleur sur la peau des personnages, pour qu’il y ait confrontation entre la beauté de l’île et la masse des touristes en vacances. Mais cette allusion à la saison touristique n’est qu’une piqûre de rappel pour mentionner la frénésie des vacanciers qui s’oppose à la nature et à la gravité des Corses.
Sur quels points l’intrigue de votre film reflète-elle une réalité vécue ?
La relation parent-enfant que je dépeins est proche de ce que j’ai vécu tout en étant de la pure fiction. Mon film n’est pas autobiographique. Avec ma coscénariste notre idée était de refuser de fantasmer la voyoucratie. Nous voulions raconter notre vérité à nous : celle de nos émotions… D’ailleurs il n’y a selon moi qu’une vérité, c’est celle de la fiction.
Comment êtes-vous venu au cinéma ?
J’ai commencé par la photo. A 5 ans je me suis exercé sur l’appareil de ma mère. Puis j’ai écrit des histoires. Si je suis devenu cinéphile c’est parce que j’ai été initié par mes parents. Ma mère, qui aurait voulu être actrice m’a beaucoup montré des films de grands comédiens. Mon père, lui, adorait les westerns. Adolescent je me suis forgé mon propre univers cinématographique.
La musique a beaucoup d’importance dans « Le Royaume » !
C’est évident… La musique y côtoie en permanence la vie et la mort. A la compositrice Audrey Ismaël nous avons demandé de faire cohabiter les tonalités douces et cristallines du piano avec la gravité plus texturée du violoncelle qui devait s’élever tel un chant de la terre. La musique est devenue ainsi un personnage à part. Elle accompagne les phases de l’histoire sans jamais les devancer. Nous la voulions sobre et sans effet. Sur la fin du film les sonorités de bossa nova sont là quand le père évoque ses souvenirs du Venezuela… Pour moi la partie musicale devait prendre le contrepied des chansons corse qu’on entend partout.
Allez-vous continué à tourner en Corse ?
Je ne peux le dire… Je suis en pleine réflexion.
Qu’est-ce que la caméra pour vous ? Un outil pour dire le vrai ?
C’est un moyen, pas une fin. Le son est aussi très important et surtout le montage qui est, pour moi, une étape mystique car le montage peut dicter ce qu’il veut ! D’où une vigilance à exercer…
Propos recueillis par M. A-P
Photos transmises par le service de presse