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Ghjuvanna Benedetti : une étoile en devenir

L'incandescence d 'une comédienne

Ghjuvanna Benedetti : une étoile en devenir



Tout jugement sur une œuvre est subjectif. Mais les éloges qui ont accompagné le Royaume, le film de Julien Colonna sont tels qu’on finit par croire à l’objectivité de ces louanges quasi unanime. Mais plus que la composition du film, le choix des comédiens, je voudrais insister sur l’un d’entre eux qui selon moi porte en grande partie le film : Ghjuvanna Benedetti qui joue le personnage de Lesia, la fille de Pierre Paul remarquablement interprété par Saveriu Santucci. Il est toujours injuste d’occulter les autres comédiens qui tous font honneur au film. Mais mon sujet est ici Lesia qui parvient à incarner avec une candeur et une incarnation extraordinaire cette mue d’une jolie petite chenille en un sombre papillon.


Une initiation universelle


Le Royaume est un film profondément tragique en ce sens qu’il est à la fois immensément corse et universel à la fois. Il est comme un diamant avec un cœur où se concentrent tous les rais de lumière. Et ici ce cœur est Lesia. Avoir choisi cette adolescente est un coup de génie. Elle incarne si bien son rôle qu’elle illumine le film tout entier. Colonna a choisi Lesia, son regard, son âge pour mesure de sa dramaturgie. Il a été aidé par cet immense regard tour à tour enfantin, sauvage. Lesia est une jeune Corse insouciante qui vit son premier amour avec la coquetterie des enfants de son âge. Son père semble absent de son univers au point qu’elle s’insurge lorsque sa tante la mène jusqu’à lui. Ghjuvanna Benedetti a gardé sa voix d’enfant et ça ne fait qu’ajouter au mystère lorsqu’elle découvre petit à petit le monde de son père, de son parrain, de tous ces hommes qui ont fait partie du cocon protecteur. On comprend alors que Lesia entame une initiation, celle du passage de l’insouciance vers l’inquiétude et parfois même l’angoisse, celui du soleil à une forme de pénombre et somme toute de l’innocence à la découverte du péché incarné ici par ceux qu’elle aime et qui ont ses protecteurs.

L’incandescence d’une comédienne


On le sait : un film est porté par un scénario, un scénariste, mais aussi et surtout des acteurs. Ils sont les musiciens d’une partition que dirige un chef d’orchestre invisible lui-même dépendant d’un drame et de dialogues qui doivent pouvoir s’harmoniser avec l’histoire. Dans Le Royaume, je dois avouer que l’histoire de voyous m’a moyennement intéressé. J’ai par contre été capté par le rapport de la fille et du père. Je l’ai volontairement écrit dans cet ordre. Car le film a pour diapason le regard de Ghjuvanna Benedetti, immense limpide au début et de plus en plus assombri par la peur de perdre ce père dont elle entame à peine la connaissance, presque la reconnaissance qui ne deviendra réellement effective quand ils seront seuls dans un camping, près de la mer. Le père n’a alors plus ses compagnons autour de lui et il s’ouvre à son enfant et lui exprime son amour. Le jeu de Ghjuvanna Benedetti agit alors un révélateur de lumière à la confession du père. Elle est en face de son père, un rien grotesque avec sa perruque qui le fait ressembler à Jango Edwards et elle qui s’imprègne de ses paroles qui la fait devenir réellement, intensément l’enfant de cet homme. Mais c’est l’incandescence de la jeune comédienne qui éclaire cette fusion sentimentale.

De la lumière au soleil noir


La dernière scène est saisissante. Lesia porte encore les stigmates de l’accident au cours duquel son père a été assassiné. Elle vise longuement le tueur qui est aussi un traître. C’est un beau jeune homme qui vient d’être père. Et lui qui incarne la vie naissante est à son tour exécuté par Lesia devenue une femme après cette terrible initiation qui a été la destruction de ce père qu’elle venait de découvrir. Il est une scène extraordinaire qui est celle de la pêche, un moment de bonheur d’une grande pureté transcendé par le rire enfantin de Lesia et qui soudain est brisé par la mort. La chenille est devenue un papillon sombre. Lesia a perdu son enfance et son innocence. Elle a tué. On ne sait pas ce que sera son avenir. Le film s’achève et on reste sur son siège, bouleversé par ce parcours emblématique si magnifiquement porté par cette surprenante comédienne. Elle porte en elle un talent et une fraîcheur qui rappellent ceux de Béatrice Dalle dans 37 ° 2 ou encore d’Adèle Exarchopoulos. Ghjuvanna Benedetti va devoir sortir de son cocon corse car il serait dommage qu’elle s’enferme dans ce particularisme aussi riche soit-il. Elle mérite bien mieux. Des fées se sont penchées sur son berceau en lui offrant ce magnétisme qui ne se trouve dans aucune école. Souhaitons-lui une belle longue carrière qui est de l’ordre du possible si elle est bien accompagnée. Les facettes de son talent sont telles qu’elle pourra passer du rire aux larmes, de la comédie au drame. Une étoile est née. Pour l'heure sa lumière est diffuse ! Il appartient à cette jeune fille de lui offrir toute sa puissance.

GXC
Photo: D.R
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