Déchets en Corse : une politique publique en crise
La Corse fait face à une crise persistante dans la gestion de ses déchets.
Déchets en Corse : une politique publique en crise
La Corse fait face à une crise persistante dans la gestion de ses déchets. En avril 2024, la Chambre régionale des comptes (CRC) a publié un rapport alarmant soulignant l’inefficacité de la planification, le coût exorbitant du service et la dépendance excessive à l’enfouissement. À cela s’ajoute une gouvernance morcelée entre la Collectivité de Corse, le SYVADEC et les intercommunalités, freinant les réformes pourtant urgentes.
Une production massive, une valorisation minimale
En 2018, l’île a généré près d’un million de tonnes de déchets, dont 75 % issus du secteur économique, principalement le BTP. En matière de déchets ménagers et assimilés (DMA), chaque Corse en a produit 629 kg en 2023, bien au-dessus de la moyenne nationale (547 kg). Le tourisme, l’insularité et la structure économique expliquent en partie ce surcroît. Malgré les alertes répétées, 63 % des DMA corses étaient encore enfouis en 2022, contre 22 % dans l’ensemble du pays. La région ne dispose ni d’un centre de sur-tri, ni d’unité de valorisation énergétique, malgré un projet à Monte, en Haute-Corse, aujourd’hui très contesté.
Une planification longtemps absente
Jusqu’en juillet 2024, la Corse était la seule région à ne pas disposer d’un plan territorial de prévention et de gestion des déchets (PTPGD). La plupart des intercommunalités ne sont toujours pas dotées de programmes locaux obligatoires, bien que la loi l’impose depuis 2012. L’Office de l’environnement de la Corse (OEC), chargé de suivre les gisements de déchets, n’a pas pleinement assuré cette mission, laissant persister une méconnaissance inquiétante, notamment des déchets du BTP, souvent abandonnés dans la nature.
Un coût démesuré
Le service public des déchets a coûté 104 millions d’euros en 2022, soit 299 € par habitant, contre 103 € en moyenne nationale. Plusieurs raisons expliquent cette inflation : fréquence de collecte élevée (jusqu’à 21 passages par semaine dans certaines zones), points de collecte saturés, collecte en porte-à-porte coûteuse, absentéisme des agents, et surtout, un système de financement incomplet. En effet, les trois outils de financement (TEOM, REOM, redevance spéciale) ne couvrent que 80 % du coût du service, contre 103 % en métropole. Le reste pèse directement sur les budgets locaux : jusqu’à 80 % des dépenses de fonctionnement pour certaines petites communautés de communes. La redevance spéciale, censée refléter le service rendu, est encore mal calibrée. Quant à la tarification incitative, elle reste à mettre en œuvre concrètement malgré une prise en compte récente par les autorités insulaires.
Une concurrence inexistante
Autre facteur de blocage : l’absence de réelle concurrence. Selon le rapport, certains entrepreneurs locaux disposent de positions quasi monopolistiques dans le secteur. Les appels d’offres sont rares, souvent sans réelle mise en concurrence, limitant la capacité des élus à optimiser les coûts ou à comparer les prestations. L’éloignement géographique décourage les entreprises continentales à soumissionner, renforçant un entre-soi délétère.
Vers une impasse ?
La situation est d’autant plus préoccupante que les deux centres d’enfouissement actuels approchent de la saturation. Le coût de ce traitement, déjà en hausse de 18 % entre 2019 et 2022, risque d’augmenter encore avec les hausses de fiscalité environnementale. Les conflits locaux, les blocages et les fermetures de sites n’arrangent rien. Deux projets de centres de tri sont en cours : à Ajaccio et à Monte. Si le premier est incertain, faute de financements et d’autorisations, le second fait déjà l’objet d’un bras de fer juridique. L’absence d’infrastructures locales risque d’obliger la Corse à exporter de nouveau ses déchets vers le continent, avec des conséquences financières et écologiques majeures.
Une transition encore à inventer
La gestion des déchets en Corse cristallise des tensions profondes entre impératifs environnementaux, faiblesse des moyens publics et logiques de rente. Sans clarification des responsabilités, sans planification ambitieuse ni rupture avec les pratiques en vigueur, la région continuera de payer cher un service inefficace. La transition écologique, ici plus qu’ailleurs, ne peut se passer d’un sursaut politique et d’une volonté collective affirmée.
GXC
Crédit illustration : GXC