50 ans après . Que reste- t-il d'Aléria ? N°8
ALERIA ..... et puis
Aleria, 22 août 1975, le jour où la Corse a dit Non
L’histoire d’une Nation s’écrit parfois sur des rendez-vous auxquels nul ne s’attendait, de ces instants de réalité qui marquent à jamais un peuple dans son imaginaire.La résilience de quelques-uns qui refusent l’injustice, et qui, au nom de tous, réclament le droit légitime d’exister, et non de survivre.
Le 22 août 1975, à Aleria, ce moment a eu lieu, comme un acte de rupture, un acte de vérité. Ce jour-là, la Corse a dit NON, et l’onde de choc traversa la France entière. Non à la domination, Non à l’humiliation, Non à la colonisation intérieure que l’État français faisait peser sur cette terre depuis deux siècles. Mais Aleria, ce n’est pas forcément, ce que l’on a voulu lui faire dire dans l’histoire, car c’est avant tout une ligne de feu médiatique. Ce jour-là, un petit groupe d’hommes armés de simples fusils de chasse, a pris possession d’une cave viticole tenue par un pied-noir, sous la protection tacite de l’État. Au-delà du cas particulier, ils voulaient dénoncer un système, une économie pervertie, une justice à deux vitesses, un peuple écrasé sous les intérêts extérieurs. Et cette occupation pacifique a suffi pour déclencher la rage de Paris. Ce que la France a envoyé en réponse, ce n’est pas une délégation, ce n’est pas une table de négociation, ce sont 600 gendarmes armés comme pour une guerre. Des hélicoptères, des blindés, des soldats en uniforme prêts à tirer sur des hommes du peuple, des Corses, chez eux, devenus de véritables cibles, pour la seule volonté d’un état voulant conserver sa base. Au fond des regards d’Aleria, ce jour-là, il n’y avait ni peur, ni soumission. Il y avait la dignité. Une dignité que la France avait voulu enterrer sous des décennies de mépris, d’assistanat, d’effacement culturel. Mais une dignité qui a résisté, et qui a fini par exploser. Aleria, c’est le cri d’un peuple que l’on pensait mort. C’est le coup de poing sur la table d’une nation qu’on voulait oublier. Car oui, ces évènements marquent l’avènement du nationalisme corse moderne, aux yeux de tous, pourtant ils n’en sont pas fondateurs.
De A Muvra au FLNC
Des initiatives corsistes et autonomistes apparaissent dès 1914, et dans les années 1920, le mouvement A Muvra se développe, mais il succombe de ses amitiés irrédentistes. Au début des années 1960, les mouvements régionalistes sont à l’origine d’un important renouveau de la langue corse, et d’un travail identitaire et culturel. Les mouvements étudiants corses structurent déjà une idéologie sur la protection de la terre, et la réouverture de l’Université de Corti. A la signature des accords d’Évian, en 1962, la France orienta près de 20 000 pieds-noirs en exil, vers la Corse, où ils bénéficieront de subventions substantielles de l’Etat. L’Action Régionaliste Corse créée à la fin des années 1960 et porte alors des revendications identitaires fortes et claires. En parallèle, la lutte armée se structure dès 1973, avec un premier évènement de rupture, le plasticage du bateau italien responsable du déversement des « boues rouges » source de pollution au large du Cap Corse, site naturel, donnant écho à la mobilisation de masse. La suite, nous la connaissons. Le FLNC naît en 1976. Les années de lutte armée, de clandestinité, d’arrestations, de mensonges d’État. Et pendant ce temps, Paris continue d’acheter les consciences, de diviser, d’infiltrer, de menacer.
Un changement inéluctable
Aleria marque un changement inéluctable, le peuple corse a ouvert les yeux. Pour certains, ces évènements ont marqué le point de non-retour, la limite à ne pas franchir, avant la catastrophe. Edmond Simeoni, et avec lui, Max, et d’autres, ont été les curseurs de ces revendications.Pour d’autres, Aleria marquera l’utilité de la politique du bras de fer avec l’état français, un état qui ne cède que lorsqu’il est pris dans un engrenage de violence, une négociation sous pression. Aleria a eu le mérite de mettre en exergue la colonisation, et la nécessité de s’en dégager, comme une urgence vitale pour préserver l’avenir d’un peuple, et de sa langue, pour contrer l’exil forcé d’une jeunesse par nécessité économique, et pour empêcher la vente à tous azimuts des terres. Au fur et à mesure des années, les décisions nous échappent. Et l’État, cynique, continue de parler de décentralisation, d’autonomie, de “statut particulier”, pendant qu’il garde le pouvoir réel, l’économie, la justice, la force.
Une flamme que rien ne pourra atteindre
Aleria n’a rien promis, et pourtant ces évènements sont devenus une promesse, celle d’être debout, face à un destin, tel David contre Goliath, celle d’un peuple qui peut se lever, lorsque l’on ne s’y attend pas, et surtout qui ne se rend jamais. L’histoire récente de la Corse, et les émeutes ayant suivi l’assassinat d’Yvan Colonna par un djihadiste en prison, montrent qu'Aleria a allumé une flamme que rien, ni les armes, ni les prisons, ni les mensonges, ne peuvent éteindre.
Alexandre Santerian
crédit photo :JDC
L’histoire d’une Nation s’écrit parfois sur des rendez-vous auxquels nul ne s’attendait, de ces instants de réalité qui marquent à jamais un peuple dans son imaginaire.La résilience de quelques-uns qui refusent l’injustice, et qui, au nom de tous, réclament le droit légitime d’exister, et non de survivre.
Le 22 août 1975, à Aleria, ce moment a eu lieu, comme un acte de rupture, un acte de vérité. Ce jour-là, la Corse a dit NON, et l’onde de choc traversa la France entière. Non à la domination, Non à l’humiliation, Non à la colonisation intérieure que l’État français faisait peser sur cette terre depuis deux siècles. Mais Aleria, ce n’est pas forcément, ce que l’on a voulu lui faire dire dans l’histoire, car c’est avant tout une ligne de feu médiatique. Ce jour-là, un petit groupe d’hommes armés de simples fusils de chasse, a pris possession d’une cave viticole tenue par un pied-noir, sous la protection tacite de l’État. Au-delà du cas particulier, ils voulaient dénoncer un système, une économie pervertie, une justice à deux vitesses, un peuple écrasé sous les intérêts extérieurs. Et cette occupation pacifique a suffi pour déclencher la rage de Paris. Ce que la France a envoyé en réponse, ce n’est pas une délégation, ce n’est pas une table de négociation, ce sont 600 gendarmes armés comme pour une guerre. Des hélicoptères, des blindés, des soldats en uniforme prêts à tirer sur des hommes du peuple, des Corses, chez eux, devenus de véritables cibles, pour la seule volonté d’un état voulant conserver sa base. Au fond des regards d’Aleria, ce jour-là, il n’y avait ni peur, ni soumission. Il y avait la dignité. Une dignité que la France avait voulu enterrer sous des décennies de mépris, d’assistanat, d’effacement culturel. Mais une dignité qui a résisté, et qui a fini par exploser. Aleria, c’est le cri d’un peuple que l’on pensait mort. C’est le coup de poing sur la table d’une nation qu’on voulait oublier. Car oui, ces évènements marquent l’avènement du nationalisme corse moderne, aux yeux de tous, pourtant ils n’en sont pas fondateurs.
De A Muvra au FLNC
Des initiatives corsistes et autonomistes apparaissent dès 1914, et dans les années 1920, le mouvement A Muvra se développe, mais il succombe de ses amitiés irrédentistes. Au début des années 1960, les mouvements régionalistes sont à l’origine d’un important renouveau de la langue corse, et d’un travail identitaire et culturel. Les mouvements étudiants corses structurent déjà une idéologie sur la protection de la terre, et la réouverture de l’Université de Corti. A la signature des accords d’Évian, en 1962, la France orienta près de 20 000 pieds-noirs en exil, vers la Corse, où ils bénéficieront de subventions substantielles de l’Etat. L’Action Régionaliste Corse créée à la fin des années 1960 et porte alors des revendications identitaires fortes et claires. En parallèle, la lutte armée se structure dès 1973, avec un premier évènement de rupture, le plasticage du bateau italien responsable du déversement des « boues rouges » source de pollution au large du Cap Corse, site naturel, donnant écho à la mobilisation de masse. La suite, nous la connaissons. Le FLNC naît en 1976. Les années de lutte armée, de clandestinité, d’arrestations, de mensonges d’État. Et pendant ce temps, Paris continue d’acheter les consciences, de diviser, d’infiltrer, de menacer.
Un changement inéluctable
Aleria marque un changement inéluctable, le peuple corse a ouvert les yeux. Pour certains, ces évènements ont marqué le point de non-retour, la limite à ne pas franchir, avant la catastrophe. Edmond Simeoni, et avec lui, Max, et d’autres, ont été les curseurs de ces revendications.Pour d’autres, Aleria marquera l’utilité de la politique du bras de fer avec l’état français, un état qui ne cède que lorsqu’il est pris dans un engrenage de violence, une négociation sous pression. Aleria a eu le mérite de mettre en exergue la colonisation, et la nécessité de s’en dégager, comme une urgence vitale pour préserver l’avenir d’un peuple, et de sa langue, pour contrer l’exil forcé d’une jeunesse par nécessité économique, et pour empêcher la vente à tous azimuts des terres. Au fur et à mesure des années, les décisions nous échappent. Et l’État, cynique, continue de parler de décentralisation, d’autonomie, de “statut particulier”, pendant qu’il garde le pouvoir réel, l’économie, la justice, la force.
Une flamme que rien ne pourra atteindre
Aleria n’a rien promis, et pourtant ces évènements sont devenus une promesse, celle d’être debout, face à un destin, tel David contre Goliath, celle d’un peuple qui peut se lever, lorsque l’on ne s’y attend pas, et surtout qui ne se rend jamais. L’histoire récente de la Corse, et les émeutes ayant suivi l’assassinat d’Yvan Colonna par un djihadiste en prison, montrent qu'Aleria a allumé une flamme que rien, ni les armes, ni les prisons, ni les mensonges, ne peuvent éteindre.
Alexandre Santerian
crédit photo :JDC