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Corse : dépossession programmée par les géants de la finance et du tourisme

Un processus silencieux de dépossession économique en Corse

Corse : dépossession programmée par les géants de la finance et du tourisme ?


Depuis plus d’un demi-siècle, certains observateurs avertis s’inquiètent d’un processus silencieux de dépossession économique en Corse. En 1970 déjà, le Hudson Institute envisageait un scénario de « mise en valeur » de l’île par des investissements extérieurs massifs, sous-entendu : sans les Corses. Aujourd’hui, ce que l’on présentait alors comme une hypothèse stratégique semble devenue une réalité rampante. Banque, hôtellerie, assurance : les géants continentaux avancent méthodiquement, remplaçant le tissu familial par des structures opaques, centralisées, standardisées. Et le vide laissé par la fragilisation des acteurs locaux, la crise aidant, n’en est que plus facilement comblé.

Banques : une domination hors-sol

Le Crédit Agricole, par sa filiale CEPAC, règne sans partage sur le financement insulaire. Mais peut-on parler de finance insulaire quand les décisions se prennent à Marseille ou à Paris ? Sanctionnée en 2017 pour sa gestion défaillante de la connaissance client, la CEPAC n’en poursuit pas moins son expansion. BNP Paribas, elle, a tenté d’introduire des prêts immobiliers réservés aux non-résidents, preuve d’une logique où l’île est avant tout perçue comme une opportunité d’investissement, non comme un territoire vivant. L’indignation populaire a stoppé cette offensive, révélant une résistance encore vivace, mais de plus en plus minoritaire.

Hôtellerie : la Corse sous franchise étrangère

Dans le tourisme aussi, le rouleau compresseur avance. Derrière des façades locales, ce sont des chaînes internationales qui imposent leurs standards. Plus de touristes, oui, mais moins de racines : les petits hôtels familiaux ferment ou survivent à peine. Les marges partent ailleurs, les saisons raccourcissent, les emplois se précarisent. Le paysage change. Ce n’est plus la Corse qui accueille, ce sont des enseignes, des logos, des investisseurs. La beauté devient produit, l’hospitalité se sous-traite, et les Corses glissent en périphérie de leur propre île.

Assurances : dépendance, uniformisation, exclusion

Comme souvent, banques et assurances marchent main dans la main. Les grandes compagnies, en particulier celles adossées à des banques, verrouillent le marché. Produits standardisés, coûts élevés, peu d’adaptation aux réalités locales : le sentiment d’étrangeté se renforce. Le scandale autour des primes d’insularité — que LCL tenta un temps de supprimer — a réveillé une colère sourde. Mais au fond, combien savent encore à qui ils versent leur argent ? Et ce capital qui s’échappe du territoire, où va-t-il ? Certainement pas dans le développement de l’économie corse.

Résidences secondaires : l'autre bombe à retardement

Avec près de 40 % de résidences secondaires, la Corse n’est plus simplement une île habitée : c’est un décor prisé pour investisseurs, désirée par les grands groupes à la recherche de placements « rentables ». Et chaque crédit immobilier, chaque assurance contractée, chaque impôt versé sur le continent accentue l’érosion. La propriété devient un objet de spéculation et les logements, des biens à rentabiliser à tout prix. Les affaires profitent également à une nouvelle bourgeoisie qui n’hésite pas à jouer contre les intérêts de leur île. L’habitat corse se déconnecte de ses habitants. Les profits s’envolent, les loyers montent, les jeunes partent.

Des élites extérieures, des communes sous tutelle

Les postes à responsabilité dans les banques, les compagnies d’assurance ou les hôtels ne sont, pour la plupart, pas occupés par des Corses. On importe les cadres, on exporte les décisions. Les communes, elles, vivent sous perfusion de taxes touristiques et immobilières, dépendantes d’un modèle imposé de l’extérieur. Quel maire peut encore résister à un grand groupe ? Qui peut dire non à la manne d’un hôtel de luxe, même si le prix à payer est la disparition du tissu local ?

De l’investissement au dessaisissement

Certains se réjouiront de voir « l’île attirer les investisseurs ». Mais l’investissement sans maîtrise, c’est le dessaisissement. Et l’on ne peut ignorer ce qui se joue en creux : une dépossession douce, mais implacable. Une dépossession déguisée en modernisation, en attractivité, en rationalisation. Les mots sont polis, les mécanismes froids. Mais l’effet est bien là : une Corse que ses propres enfants n’ont plus les moyens d’habiter, ni de gérer.

Un dernier rempart ?

Des élus, quelques syndicats, quelques PME locales tentent de faire barrage. Mais face aux milliards des grands groupes, face à l’inertie des politiques publiques, face à l’indifférence des technocrates, ces efforts ressemblent à des digues de sable. La volonté existe. Mais elle se heurte à une mécanique bien huilée. Et si l’on ne veut pas que l’hypothèse du Hudson Institute devienne une prophétie accomplie, il est temps de parler non plus de développement, mais de souveraineté économique.

GXC
Illustration : D.R
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