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A Tirana, une mobilisation sans précédent en soutien à l'UCK

La capitale albanaise a connu le 17 octobre dernier, l’une des plus vastes mobilisations populaires depuis des décennies.

À Tirana, une mobilisation sans précédent en soutien à l’UÇK

La capitale albanaise a connu le 17 octobre dernier, l’une des plus vastes mobilisations populaires depuis des décennies. Sur la place Skënderbej, cœur symbolique de Tirana, des dizaines de milliers de personnes se sont rassemblées pour exprimer leur soutien aux anciens dirigeants de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), actuellement jugés par le Tribunal spécial pour le Kosovo à La Haye.


Il s’agit, de l’avis de nombreux observateurs, de la plus grande manifestation pro-UÇK depuis la fin de la guerre du Kosovo en 1999. Une démonstration de force qui dépasse largement le cadre judiciaire pour toucher aux questions sensibles de mémoire collective, de souveraineté nationale et d’identité albanaise.

Une mobilisation inédite à l’échelle régionale

Dès l’aube, des convois de bus en provenance du Kosovo, de Macédoine du Nord et du Monténégro ont franchi les frontières pour converger vers Tirana. À ces bus se sont ajoutées des centaines de voitures particulières, formant de longues files sur les axes menant à la capitale. Les autorités albanaises avaient exceptionnellement suspendu les frais de péage sur l’autoroute reliant l’Albanie au Kosovo, facilitant ainsi l’afflux massif de participants.

Sur la place Skënderbej, les bataillons de vétérans venus des quatre coins de la région ont défilé au milieu d’une mer de drapeaux rouges et noirs. Les chants patriotiques, repris en chœur par une foule compacte, donnaient à la manifestation une dimension quasi cérémonielle.

Les slogans « Drejtësi për çlirimtarët » (Justice pour les libérateurs) et « Liria ka emër » (La liberté a un nom) dominaient les pancartes brandies au-dessus des têtes. « Je n’avais jamais vu autant de monde réuni pour une cause albanaise depuis plus de vingt ans », témoigne un participant, encore ému par l’ampleur du rassemblement.

Un soutien politique de part et d’autre de la frontière

L’importance de l’événement s’explique en partie par le large appui reçu de personnalités politiques albanaises et kosovares. Le Premier ministre Edi Rama a publiquement exprimé sa solidarité envers les anciens dirigeants de l’UÇK, saluant une mobilisation « qui rappelle notre histoire commune ».

À Pristina, la présidente du Kosovo, Vjosa Osmani, a qualifié la manifestation de « démonstration d’unité nationale et de mémoire historique ». Sur place, plusieurs figures politiques et militaires étaient présentes, dont l’ancien président Alfred Moisiu et le leader macédonien-albanais Ali Ahmeti. Leur participation a renforcé le caractère pan-albanais du rassemblement, marqué par une forte diversité régionale et confessionnelle.

Un message adressé au Tribunal spécial pour le Kosovo

Au centre des revendications : la dénonciation des procès en cours à La Haye. Quatre anciens dirigeants de l’UÇK, Hashim Thaçi, Kadri Veseli, Jakup Krasniqi et Rexhep Selimi, sont accusés de crimes de guerre et de crimes contre l’humanité.

Les manifestants jugent ces procédures injustes et politiquement motivées. « L’UÇK n’était pas une organisation criminelle, mais une armée de libération », a affirmé l’un des orateurs sur scène. « Ce procès vise notre histoire, pas seulement nos dirigeants. »

Un autre intervenant a évoqué la mémoire de Sainte Mère Térésa, rappelant son intervention personnelle auprès du président américain Bill Clinton durant la guerre du Kosovo, symbole, selon lui, du soutien moral et spirituel dont bénéficiait la cause kosovare.

Une ferveur patriotique intacte

Vingt-six ans après la fin du conflit, l’UÇK continue d’occuper une place centrale dans l’imaginaire collectif albanais. Pour beaucoup, la manifestation de Tirana est la preuve que l’héritage de la lutte pour l’indépendance reste un ciment identitaire puissant.

« Aujourd’hui, Tirana parle d’une seule voix », résume un vétéran. « Nous avons montré que, malgré le temps qui passe, l’esprit de l’UÇK demeure vivant. »

Si la mobilisation n’aura pas d’effet direct sur les procédures judiciaires, elle rappelle la dimension sensible et profondément politique de la mémoire de la guerre du Kosovo, une mémoire qui continue de façonner les relations entre Tirana, Pristina et les capitales internationales, en cette période conflictuelle post-sovietiquede redistribution des cartes.

Alexandre Santerian
Photo : Alexandre Santerian
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