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Saveria Luciani, Conseiller Executif en charge de la langue Corse

Langue corse : entre crainte et espoir
Langue corse : entre crainte et espoir

Malgré des moyens conséquents au niveau de l’Education Nationale, l’investissement de nombreux formateurs ou la création d’associations dédiées à la langue, le développement de la langue corse est loin de donner les résultats escomptés. Généraliser l’enseignement bilingue, le rendre obligatoire, multiplier les équipes pédagogiques bilingues, « sortir » le corse du milieu scolaire où, bien souvent, les élèves sont des locuteurs passifs, promouvoir la formation dans tous les domaines de la société pour la muer en véritable « lingua di u pane », tel seront les enjeux à court terme pour tous les acteurs institutionnels ou non, concernés. Mais chaque jour qui passe est perdu…

Combien la Corse compte-t-elle de locuteurs ? Près de 100000 avanceront les plus optimistes qui comptent, sans doute les locuteurs passifs (qui comprennent mais ne parlent pas ou peine à s’exprimer en corse), entre 60000 et 90000 pour les plus pessimistes. Quoiqu’il en soit, le sujet fait depuis longtemps couler beaucoup d’encre. Sans compter sur les polémiques qu’il suscite en venant même s’inviter sur le plan politique avec, il faut le reconnaître, un consensus des élus de tout bord que ce soit au sein de l’Assemblée de Corse ou dans chacune des 360 communes de l’île.

Si l’on s’y penche véritablement, il y aurait trois positions vis-à-vis de la langue corse. La première tendrait à dire que, bon gré mal gré, les voyants sont au vert, étayés par certains chiffres (pas toujours représentatifs de la réalité du terrain en milieu scolaire), la deuxième que la situation est critique entre l’essor démographique de l’île et le « départ » périodique de nos anciens, bien souvent avec un savoir non transmis. Entre les deux, une troisième catégorie avance qu’il faudra sans doute « sacrifier » une génération avant d’obtenir des résultats. Même si elle est loin, à l’heure actuelle, de faire l’unanimité, la coofficialité reste une éventualité mais elle nécessite, en amont, une volonté politique au plus haut sommet de l’État. Et n’est donc pas à l’ordre du jour. Pour s’en convaincre, les dernières attaques frontales contre la loi Molac déposée à l’Assemblée Nationale début avril, suffisent. Une éventualité qu’il faut donc écarter pour l’heure. Pas sûr, pour autant, qu’elle constitue, à court terme, la solution idéale.


À vrai dire, quelle est-elle ? Difficile de résoudre le problème pour divers paramètres dont les plus importants seraient le nombre de locuteurs non corsophones dans l’île et le nombre de primo-arrivants non corsophones chaque année. Une équation peu évidente à résoudre. Pour autant, on ne peut pas écarter que l’État met le paquet dans l’île et sans doute plus que dans d’autres régions.

Investir tous les domaines de la société

Que reste-t-il donc ? Le triptyque « compétence-militantisme-pédagogie » au niveau de l’enseignement où en dépit des moyens, les résultats ne sont pas à la hauteur. Ce qui n’empêche pas une grande majorité des 48000 élèves de l’Académie de bénéficier d’un enseignement. Mais le corse en tant que discipline reste, on le sait, insuffisant. D’autant que tous les enseignants ne jouent pas le jeu et que beaucoup d’élèves refusent de prendre l’option au sortir de la sixième. Des mesures sont préconisées par les responsables de la Collectivité (voir par ailleurs). En attendant, l’enjeu majeur à court terme va consister à renforcer l’acquis scolaire et favoriser la transmission du corse en dehors.
Pour l’heure, 2 % des jeunes reçoivent cette transmission, d’où la nécessité de mettre en place d’autres solutions « (e case di a lingua, praticalingua, diverses associations ou organismes de formation, feste di a lingua…) de manière à investir toutes les couches de la société corse. Une stratégie à long terme, que ce soit au niveau de l’enseignement ou de la société, sans oublier des efforts à faire pour les corsophones sans attendre forcément une manne financière pour ceux qui y voient un intérêt pécunier. Il y va de l’avenir de la langue corse et avec elle de la notion de peuple. En clair, patience et longueur de temps. Mais le temps presse quand on sait le corse compte parmi les langues menacées de disparition…
          Saveriu Luciani, Conseiller Exécutif en charge de la langue corse


« La langue corse, c’est une construction patiente qui devra, à terme, nous conduire vers un statut»


Conseiller Exécutif dédié à la langue corse, Saveriu Luciani dresse le bilan du dernier Contrat de Plan Etat-Région (2015-2020) et évoque le prochain qui court jusqu’en 2027. En toile de fond, un développement de l’enseignement et de la formation dans tous les secteurs de la société corse.


Le nouveau Contrat de Plan Etat-Region va être mis en place. Comment se décline-t-il pour ce qui concerne la langue corse ?


Lors du précédent, le montant s’élevait à 17,4 millions d’euros. Nous sommes en phase de négociation avec le Gouvernement pour un montant de 24 millions d’euros auquel nous ajoutons 6,2 millions au titre de l’aspect sociétal. Pour un montant total de 30,2 millions d’euros sur la période. Nous avons souhaité ajouter un plan sociétal au plan Education que nous considérons trop limité.


En effet, la langue corse n’est pas seulement une discipline enseignée en milieu scolaire mais une des composantes d’un projet de société. Cet aspect nous paraît primordial, il concerne les tous petits (crèches, garderie), un plan dédié aux médias et une formation des adultes dans tous les secteurs. C’est une stratégie qui va nous conduire à un plus grand développement de la langue corse au sein de notre société. Sur le principe, l’État serait favorable, il attend les prochaines élections afin de se pencher de manière plus précise sur le dossier, notamment en ce qui concerne le volet financier.


Quel bilan pour la langue corse concernant l’actuelle mandature ?

Nous avons obtenu des points essentiels : le concours d’agrégation, le Grand Plan de Formation du Primaire, qui nous a permis de former 360 enseignants, dont 128 certifiés et 126 habilités. Une initiative qui va se poursuivre lors du prochain CPER. Pour ce qui est des filières bilingues, les chiffres sont à la hausse. En sixième, nous avions 18,8 % des élèves en 2016 et 30 % à la dernière rentrée.


Pour les troisièmes, les chiffres sont aussi à la hausse (13,7 % en 2016 et 24 % cette année). Le seul recul que l’on constate concerne les 1ères et Terminale en raison de la réforme du lycée (15 % soit une baisse de 3%). À cela s’ajoute la formation extra-scolaire à travers « E case di a lingue » et toutes les formations pour adulte.


Quelles perspectives pour la prochaine convention ?

Nous avons défini une stratégie répartie sur quatre axes : la formation, le fonctionnement des centres immersifs, la production d’outils pédagogiques et l’aide au développement des sites immersifs et bilingues.

Concernant le milieu scolaire, nous allons demander, pour le secondaire l’élaboration d’un plan identique à celui du primaire avec un plan pour les disciplines non linguistiques et le développement des filières bilingues. Il faudra respecter cette convention et pour cela combler certains manques par une traçabilité et un cahier des charges. Ainsi qu’une structure pédagogique d’accompagnement. il y aura des objectifs à remplir, notamment celui d’obtenir réellement le niveau B2 en fin de 3e pour les filières bilingues.

On ne pourra pas éternellement investir des millions d’euros sans demander des résultats. Pour mener à bien ces nouvelles tâches, nous misons sur les articles 7 et 11 du statut de la Corse et demandons une co-gestion avec le Rectorat de Corse de manière à avoir un suivi de la convention. Il y aura des appels à projets pour les filières immersives, le premier et le second degré. Enfin, à l’occasion de la rentrée prochaine, trois sites bilingues ouvriront leurs portes en Corse-du-Sud (Alta Rocca et Ajaccio et en Haute-Corse (Alesgiani).


La langue corse vous paraît-elle menacée ?

De par son statut de langue minoritaire, je dirais que oui. Ceci étant, on ne peut négliger, même si tout n’est pas parfait, l’impact de la présence du corse en milieu scolaire où il touche plusieurs dizaines de milliers de jeunes. Il y a quarante ans, on en était bien loin.


Au vu des efforts effectués depuis des années, on entrevoit tout de même un grand espoir. On ne peut pas se projeter à court terme, c’est une construction patiente qui devra, à terme, nous conduire vers un statut.


Interview réalisée par Philippe Peraut
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