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Homère et les yokaï

Un défi de la 6 ème jaune et de la 6 ème bleu du Collège Saint Joseph de Bastia
6 è du Collège Saint Joseph
Homère et les Yokaï



Imaginez une rencontre entre Ulysse, le rusé, le subtil héros de l’Odyssée d’Homère et des Yokaï de la tradition populaire japonaise !... La 6 è jaune et la 6 è bleu du Collège Saint Joseph de Bastia ont relevé le défi. Pari gagné haut la main et concrétisé par une superbe BD mêlant récits, dessins, poèmes en corse et en français avec en prime un enregistrement à écouter grâce à un QR-code.



Maestra et guide de l’aventure Agnès Maupré, autrice de bandes dessinées et illustratrice, entourée dans le périple par les enseignants de français, d’arts plastiques, de corse des collégiens et par l’équipe d’Una Volta avec comme timonière, Juana Macari, la directrice du Centre culturel bastiais.

Le voyage transcontinental, la traversée des mythologies de la Grèce Antique et de l’Empire du Soleil Levant a duré tout au long de l’année scolaire 2020 – 2021. Au final une remarquable et inédite exploration où seul a compté l’enrichissement de l’imaginaire des enfants.

Les Yokaï, quels petits ne les connaissent pas aujourd’hui ? Ne font-ils pas partie du merveilleux des mômes qui dès trois – quatre ans serinent les adultes avec les Pokémons ? Pour ceux qui ne seraient pas tarabustés, harcelés par la passion dévorante des gamins pour les dessins animés, les mangas, les « Princesse Zelda » et autres imageries japonisantes , précisons que les Yokaï sont des esprits de tous les jours, parfois grincheux ou horripilants, pargois mignons ou espiègles mais dans l’ensemble souvent teigneux.

Les collégiens ont inventé leurs Yokaï en s’amusant au jeu du cadavre exquis qui dans la fantaisie la plus fantasque les a progressivement amenés à dessiner leurs traits et à croquer leurs caractères. Ils portent un nom rigolo, se présentent dans l’album par ordre alphabétique, sont au nombre d’une cinquantaine comme les élèves d’ailleurs. Leurs attributs, leurs qualités, leurs défauts sont d’une variété joyeuse avec par ci par là une pointe d’autodérision.

Akaï, mi-chat mi-souris a un grouin de cochon et vole la nourriture des touristes. Chut Ninja a des écailles, un chapeau de paille, se faufile partout et cogne dur. Hortanza a trosi yeux bleus, une calvitie et pratique … la philanthropie. L’Ombre du Mordor a six bras, deux ailes et déploie… une gentillesse réconfortante. Tanjirazaki dix fois plus grand qu’un éléphant expédie de grosses claques… au méchant. Voilà quelques spécimens de Yokaï surgis du cerveau fertile des collégiens et il y en a bien d’autres aussi méritoires !

Chaque élève a raconté en une planche comportant six vignettes les prouesses (ou les faiblesses) de son Yokaï en l’introduisant dans une étape du parcours d’Ulysse… Mention spéciale au Yokai dénommé « Filip Etzebset », qui s’assure que tout le monde mange à sa faim sans sombrer dans l’enfer de la « malbouffe » !

L’Odyssée revisitée par des Yokaï ou une navigation heureuse !




Agnès Maupré est autrice de plusieurs BD qui portent l’accent sur le sexisme et le genre. Elle est également illustratrice et scénariste.

Parmi ses œuvres citons deux tomes remarquables évoquant Milady de Winter, dont Alexandre Dumas- père donne une description peu amène et même venimeuse dans « Les trois mousquetaires » alors qu’Agnès Maupré la dépeint comme une femme que le sort n’a pas épargné dans une société phallocratique qui la condamne d’emblée. Dans « Le chevalier d’Eon » la bédéaste traite du genre puisque le personnage use de vêtements féminins pour être meilleur -e espion-ne. Avec « La vie mystérieuse, insolente, héroïque du Docteur James Barry » l’autrice nous révèle le parcours audacieux d’une femme qui doit se déguiser en homme pour exercer sa mission de médecin.



« La mythologie grecque a ses monstres qui ont un comportement humain ce qu’on retrouve chez les Yokaï qui sont marqués du sceau du fantastique et du quotidien. »

Agnès Maupré

Quel souvenir va-vous laisser votre expérience de bédéaste avec deux classes de 6 è de Saint Joseph ?

Je vais garder le souvenir de beaucoup de joie. A Saint Joseph les enseignants se sont impliqués et le projet a pris de l’ampleur puisque certains professeurs se sont joints à nous pour former une belle équipe avec Vanina Mazzoni (français), Christine Sturlese (arts plastiques », Gghjuvan Francescu Mattei (corse) ainsi que Julien Véronneau, médiateur culturel d’Una Volta et Juana Macari, pilote de la démarche. Quant aux élèves ils ont fait preuve de bonne volonté et ceux qui étaient un peu réfractaires au début se sont bien investis. Tous sont fiers du résultat.


Le thème choisi, « Je suis collégien et auteur », a-t-il séduit les élèves ?

Personnellement j’ai conservé ce thème en tête mais je ne voulais pas être trop dirigiste et je me suis contenté d’indications de base sur la BD. Par contre, pour les poèmes et la métrique je les ai plus encadrés. Je leur ai aussi projeté des films dans l’esprit des Yokaï.


Les élèves ont-ils préféré l’écriture ou le dessin ?

Tout a avancé en même temps, l’invention de leur Yokaï et le dessin. L’écriture de la chanson, elle, a été participative : on s’y est mis ensemble. Grâce au dessin, à l’histoire, à la chanson, à la BD les Yokaï des collégiens ont pu vivre à plein leur existence !


A quelles difficultés se sont heurtés des enfants ?

Ce qui a pu paraitre fastidieux à certains c’est de devoir recommencer dessin ou récit pour améliorer leur travail ! Mais l’état d’esprit de l’équipe encadrante était si chouette que cette étape peu agréable a pu être surmontée avec succès. Enfants et adultes on visait tous le même but en une démarche collective respectant les individualités de chacun.


A votre avis pourquoi le folklore japonais et les mangas ont-ils autant la cote chez les jeunes quel que soit leur âge ?

Lire des mangas est addictif car il y a beaucoup de tomes, c’est peu cher et souvent aux versions papier s’ajoutent des dessins d’animation. Certains albums sont en outre fort beaux et les personnages sont fréquemment assez lisses pour que les gens s’y reconnaissent, même s’ils ne sont pas japonais. J’ai pensé intéresser les 6 è de Saint Joseph aux Yokaï car les enfants connaissent en général ces petits esprits du quotidien et qu’il me paraissait amusant de les introduire dans l’Odyssée qui est à leur programme… Et puis le Japon fait rêver par le dépaysement qu’il procure et par la richesse de son iconographie présente et passée.


Le lien Yokaï – Odyssée a-t-il été vraiment facile à établir ?

Pas si difficile que ça ! La mythologie grecque a ses monstres qui ont un comportement humain ce qu’on retrouve chez les Yokaï qui sont marqués du sceau du fantastique et du quotidien à la fois. On est certes en face de deux imageries qui n’ont rien à voir, sans être pour autant incompatibles !


Homère fait-il toujours rêver les petits ?

Je pense que oui, comme les mythes de l’ancienne Egypte, comme Tristan et Yseult ou les chevaliers de la Table Ronde…


Ces Yokaï des collégiens quelles formes ont-ils ? Humains ou objets ? Masculins ou féminins ?

Ce ne sont pas tellement des objets. Ce sont parfois des animaux, des filles, des garçons. Parfois ils sont gentils. Parfois agressifs.


Dans vos BD vous abordez le sexisme et le genre. Cette sensibilité a-t-elle de l’écho chez les collégiens ?

Ce sont plutôt les lycéens qui sont réceptifs à ces sujets. Je suis intervenue dans un lycée où ces problématiques étaient très présentes. Dans l’ensemble les jeunes d’aujourd’hui me semblent plus ouverts. Je crois qu’une série soap telle « Friends », homophobe, sexiste, grossophobe n’aurait plus le succès qu’elle a rencontré. Moi, j’ai grandi en un âge d’or de la naïveté où l’on estimait que les combats féministes et antiracistes étaient gagnés… et après quelle déconvenue ! Quelle claque avec « MeToo » ! J’avais enfoui au fond de moi plein de comportements impossibles à laisser passer. Il fallait réagir… Pour ce qui est du genre rien qu’aux rayons vêtements de bébé on stagne aux couleurs filles et aux couleurs garçons… Comme si on marquait les petits dès la naissance avec l’estampille « sois fort » et « sois douce » alors que chaque individu a besoin de frivolité et de sérieux.


Quels sont vos projets personnels ?

Avec mon groupe, « Esprit chien » nous travaillons à un projet intitulé, « Les bâtards de Zeus » qui raconte l’histoire d’une fille qui croit que le dieu des dieux de l’Olympe est son père. Notre thématique ? Comment se construit-on quand on a des parents absents ou monstrueux. Ce projet se décline en livre, en disque, en concert dessiné. Dans le groupe je suis parolière et chanteuse, Philippe d’Albret est le compositeur, Singeon est, lui, le dessinateur. Lucie Killoffer s’occupe de la mise en scène.

Propos recueillis par M.A-P
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