• Le doyen de la presse Européenne

Il était une fois le corsisme

Le décès de Pierre Chaubon intervenu dernièrement incite à évoquer le corsisme. Une page de l’histoire politique dont l'intéressé a écrit bien des lignes;
A partir du début des années 1990, le vocable « corsiste » a communément été utilisé pour classifier des personnalités issues de différentes familles politiques mais ayant des positionnements communs : favoriser le dialogue entre la classe politique traditionnelle et les nationalistes ; faire reconnaître les spécificités économique, sociale, culturelle et linguistique de la Corse ; obtenir que la Corse soit dotée à l’échelle régionale d’une collectivité territoriale disposant d’importantes compétences et de pouvoirs autonomes au sein de la République. A la différence de celui d’A Cispra (1914) et d’A Muvra (années 1920 et 1930), ce corsisme qui a pris ses racines dans l’Après Aleria, s’est affirmé sans texte fondateur et n’a jamais été l’apanage d’un leader ou d’un parti. Les précurseurs ont d’ailleurs, comme Monsieur Jourdain le faisait avec la prose, fait du corsisme sans le savoir. En 1976, après les événements d’Aleria, des élus de gauche s’affichant « de progrès » (Vincent Carlotti, Toussaint Luciani, Xavier Colonna, Alex Alessandrini …) ont tendu la main aux autonomistes. En 1983, des élus de la première Assemblée de Corse issus de la droite (Jean Colonna, Paul Patriarche, Philippe Ceccaldi), du nationalisme (Lucien Felli, Jean François Ferrandi, Dominique Alfonsi) et de la gauche (Charles Santoni) ont constitué un intergroupe. Celui-ci préconisait un dialogue entre la classe politique traditionnelle et les nationalistes et l’adoption de certaines revendications nationalistes. Ces initiatives ont cependant fait long feu. François Giacobbi a réussi à faire rentrer dans le rang du statut quo jacobin et claniste la plupart des « élus de progrès ». Quant à la démarche de l’intergroupe, elle a été condamnée par un contexte conflictuel (répression policière conduite par Robert Broussard, radicalisation de la Lutte de Libération Nationale, création de la Corse Française et Républicaine) et du fait qu’en 1984 quatre des sept protagonistes n’ont pas été réélus à l’Assemblée de Corse.

Le temps de l’affirmation

A la fin des années 1980, la réélection de François Mitterrand à la présidence de la République, l’aval donné par ce dernier au ministre de l’Intérieur Pierre Joxe de dialoguer avec les nationalistes et d’ouvrir la porte à des évolutions institutionnelles ainsi que l’apport de nouvelles personnalités ont permis au corsisme de s’affirmer. La plus marquante de ces personnalités a été José Rossi. Ce dernier aurait pu se satisfaire d’être un acteur politique de premier plan. Ce qu’il a d’ailleurs été : membre de cabinets ministériels, ministre, député de la Corse-du-Sud, président du groupe Démocratie libérale à l'Assemblée nationale (43 députés), présidences du Conseil général de la Corse-du-Sud, de l’Assemblée de Corse et de l'Agence de développement économique de la Corse. Il n’en a rien été. Résistant à la colère et aux pressions de la plupart de ses amis politiques, l’intéressé a, durant plus de dix ans, choisi de chevaucher le vent de l’Histoire de son île. En 1991, il a accepté d’être le rapporteur du projet de loi relatif au Statut Joxe qui a donné naissance à la Collectivité Territoriale de Corse. Au début des années 2000, il a été un des acteurs majeurs du processus de Matignon initié par Lionel Jospin. Durant la même période, malgré la faiblesse et les divisions récurrentes de leur parti en Corse, deux personnalités de gauche ont-elles aussi porté haut les couleurs du corsisme : Laurent Croce et Claude Olivesi. Leader du Parti Socialiste en Haute-Corse, Laurent Croce a été un défenseur inlassable du Statut Joxe et du processus de Matignon, un autonomiste déclaré, un adversaire de la ligne jacobine défendue par les radicaux de gauche, un interlocuteur de la mouvance nationalistes dont il a souvent soutenu les initiatives et les revendications. Quant à l’universitaire Claude Olivesi, il a fortement contribué à populariser et crédibiliser, publiquement et en coulisses, les idées de gouvernance régionale, d’autonomie, de statuts spécifiques des îles et de reconnaissance des langues régionales, ainsi que contribué à l’élaboration du Statut Joxe et surtout à l’avancée du processus de Matignon.

Pierre Chaubon l’atypique

Mais venons en à Pierre Chaubon dont le récent décès a inspiré l’écriture du présent article. Alors que la plupart des acteurs du corsisme ont fait dans la flamboyance, il en a été un acteur aussi discret que majeur. Cela tenait certainement à ses traits de caractère. Cela résultait sans doute de son parcours de haut fonctionnaire, de membre de cabinets ministériels, de maître des requêtes puis de conseiller au Conseil d’Etat. Enfin l’intéressé a probablement toujours été en proie à un débat intérieur entre une approche poussant à soutenir l’unicité des institutions de la République au nom de l’égalité, une conscience que la Corse avait besoin d’une reconnaissance institutionnelle de ses spécificités et une connaissance de la culture jacobine de la Haute administration et de la majorité des décideurs politiques français.Tout ceci explique d’ailleurs peut-être son positionnement et son action, au début des années 2000, durant le processus de Matignon. Proche de deux hommes de confiance du Premier ministre Lionel Jospin (Olivier Schrameck, Alain Christnacht), Pierre Chaubon a joué les rôles-clé d’homme ressources, de relais, de modérateur et de facilitateur. En effet, après s’être opposé à l’octroi d’un pouvoir législatif de plein droit à la Collectivité Territoriale de Corse, il a travaillé à faire accepter l’idée de la suppression des conseils généraux et de l’instauration d’une collectivité unique, et s’est employé à susciter des consensus autour de cette idée. Ainsi, en 2010, avec le soutien de Paul Giacobbi qui venait d’accéder à la présidence du Conseil Exécutif et ce pour effacer le refus de ces propositions lors de la consultation populaire de juillet 2003, il s'est remis à l'ouvrage en présidant et animant, dans le cadre de l’Assemblée de Corse, la Commission des compétences législatives et est ainsi devenu l’architecte de la future Collectivité de Corse. Avec Claude Orivesi qui avait incité l’intéressé à participer, en 1998 en Finlande, à un séminaire consacré à l’autonomie des régions insulaires puis à soutenir le processus de Matignon, Pierre Chaubon a certainement beaucoup contribué à l’évolution corsiste de Paul Giacobbi. Ce qui a conduit celui-ci, entre 2010 et 2015, à inciter sa majorité à voter des motions en faveur du statut de résident et de la coofficialité de la langue corse et, en décembre 2014, à faire adopter un texte demandant l’inscription de la Corse dans la constituions et la fusion de la Collectivité Territoriale et des Conseils départementaux. Cette apogée du corsisme de l’AprèsAleria a cependant aussi été un chant du cygne car un an après, à l’issue des élections territoriales de décembre 2015, les électeurs ont porté les nationalistes aux commandes de la Collectivité Territoriale.
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