Revendication autonomiste : mieux vaudrait jouer collectif !
Pour espérer devenir un jour « U Babbu di l’Autonomia », et ce la lumière de ce qu’ont enseigné les processus de Matignon puis d’instauration de la Collectivité de Corse, le Président du Conseil Exécutif devrait changer de méthode.
Revendication autonomiste: mieux vaudrait jouer collectif
Pour espérer devenir un jour « U Babbu di l’Autonomia », et ce la lumière de ce qu’ont enseigné les processus de Matignon puis d’instauration de la Collectivité de Corse, le Président du Conseil Exécutif devrait changer de méthode.
Quelques jours après que la liste conduite par Gilles Simeoni ait obtenu la majorité absolue à l’Assemblée de Corse et que ce dernier ait été réélu à la présidence du Conseil Exécutif, Jean-Félix Acquaviva prend la parole à l’Assemblée Nationale lors de la séance des questions au gouvernement. S’adressant à Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, la Madame Corse d’Emmanuel Macron, le député de la 2ème circonscription de Haute-Corse demande l’ouverture d’un « dialogue politique » dont la finalité serait, selon « un calendrier » et une « méthode partagée » avec le gouvernement, de mettre la Corse sur les rails d’une « autonomie de plein droit dans la République ». L’intéressé ajoute que, depuis 2017, les nationalistes n'ont cessé d'appeler au dialogue, évoque « une succession de rendez-vous manqués » et souligne la nécessité de « faire sauter les derniers verrous d'un blocage politique ».
La ministre répond que le gouvernement « est déjà dans le dialogue et le partenariat », « porte pour la Corse une ambition forte depuis le début du quinquennat » et que de nombreuses politiques vont en ce sens, notamment avec la mise en œuvre du PTIC [Plan de Transformation et d'Investissement pour la Corse). Elle ajoute que le gouvernement est « prêt à discuter plus, à avoir des calendriers de rencontres et à travailler avec toutes les forces politiques de l'île. » Cette réponse est dans la droite ligne de toutes celles apportées par l’État, depuis près d’un demi-siècle, à la revendication d’une véritable autonomie. D’une part, en éludant la demande de l’honorable parlementaire, Jacqueline Gourault rappelle implicitement l’existence d’une ligne rouge. Celle qu’avait mentionné, il y aura bientôt cinquante ans, le haut fonctionnaire Libert Bou, alors Président de la Mission interministérielle pour l’aménagement et l’équipement de la Corse et Délégué général du développement économique de la région Corse, le Monsieur Corse de Valéry Giscard d’Estaing, Président de la République d’alors : « Même 200 000 Corses autonomistes ne suffiraient pas à faire modifier la Constitution. »
D’autre part, en faisant état du PTIC ainsi que d’une « ambition forte depuis le début du quinquennat », Jacqueline Gourault définit un champ possible du dialogue qui rappelle celui qu’avait fixé Valéry Giscard d’Estaing dans une lettre de cadrage adressée le 12 juin 1978 au Premier ministre Raymond Barre. Dans ce courrier, le Président de la République insistait sur la nécessité de poursuivre la politique de développement économique de l'île en s’appuyant sur les responsables politiques et économiques en place : « Je vous demande de veiller à ce que les crédits d'équipement de l'État en faveur de la Corse permettent de poursuivre le rattrapage des besoins. Un effort particulier devra être fait en faveur de l'agriculture de la Corse intérieure et de l'artisanat, dans le cadre de programmes d'ensembles cohérents établis en concertation étroite avec les instances régionales et les responsables professionnels. »
La méthode Pierre Chaubon
Malgré la troisième victoire électorale territoriale nationaliste et aussi que la dernière en date ait montré que près de 70% des participants avaient opté pour un bulletin de vote couleur bandera, il apparaît nettement que l’Etat n’a pas fondamentalement changé sa façon d’appréhender le dossier Corse. Comme hier le pouvoir giscardien, le pouvoir macronien reste sourd à la revendication autonomiste et met en exergue le volet économique. Durant le septennat que viennent de lui offrir les électeurs, Gilles Simeoni parviendra-t-il à convaincre l’État d’effacer la ligne rouge qu’avait mentionnée Libert Bou et à laquelle Emmanuel Macron semble ne pas vouloir renoncer ? Rien n’est moins sûr.
Cependant il est quasiment certain que pour espérer devenir un jour « U Babbu di l’Autonomia », et ce la lumière de ce qu’ont enseigné les processus de Matignon puis d’instauration de la Collectivité de Corse, le Président du Conseil Exécutif devrait changer de méthode. En ne se la jouant plus solo ou presque face à l’État. En s’inspirant d’une méthode ayant été deux fois payante : celle de jouer collectif dont a usé Pierre Chaubon (décédé l’an passé). Quand le Premier ministre Lionel Jospin a pris l’initiative de lancer la démarche politique « Processus de Matignon », Pierre Chaubon a certes été un facilitateur qui a su jouer de l’écoute et la crédibilité que lui conféraient à Paris sa qualité de conseiller d’État, ses années de cabinets ministériels et ses entrées chez Olivier Schrameck et Alain Christnacht, deux conseillers de Lionel Jospin.
Côté corse, il a certes su faire avec deux difficultés : une classe politique très divisée, la pression nationaliste aussi bien publique que clandestine. Cependant le facteur-clé de sa réussite a été d’associer les principaux élus corses à l’élaboration des choses et au dialogue avec Paris. A la fin des années 1990 et au début des années 2000, cette méthode a permis que le Processus de Matignon aboutisse à un compromis gagnant-gagnant entre les élus qui étaient partisans d’une évolution institutionnelle allant jusqu’à la reconnaissance d’un pouvoir législatif de plein droit et d’un élargissement des domaines de compétences de la Collectivité Territoriale de Corse, et les élus qui voulaient s’en tenir à un aménagement des institutions pouvant néanmoins aller jusqu’à à la suppression des départements et l’instauration d’une collectivité unique.
De 2010 à 2015, Pierre Chaubon l’ayant actionnée en étant la tête de la Commission des compétences législatives et réglementaires de l’Assemblée de Corse, cette méthode a grandement contribué à l’acceptation fortement majoritaire de la suppression des départements et de l’instauration d’une collectivité unique.
Aujourd’hui cette méthode permettant que les principaux élus corses puissent trouver des compromis et présenter une large union face à Paris pourrait encore s’avérer très utile. D’autant que le dossier Corse n’est plus jugé prioritaire, qu’Emmanuel Macron revient au jacobinisme, que l’aiguillon de la clandestinité a disparu et que Laurent Marcangeli, le principal opposant à la majorité siméoniste, même s’il ne s’est jamais déclaré favorable à une autonomie de plein exercice, n’est pas foncièrement hostile à une évolution institutionnelle.
Comme l’a récemment déclaré un élu indépendantiste peu soupçonnable de confondre compromis et compromission : « On peut trouver par la méthode, l'argumentation et le travail, les voies d'un consensus sur une étape assez simple au vu du reste de l'Europe, avec un statut d'autonomie à la Sarde qui pourrait trouver, y compris dans les autres groupes politiques non nationalistes, dont ceux qui ne sont pas élus à l'Assemblée de Corse, une volonté d'unanimité afin de permettre une consultation locale de validation qui passerait par la grande porte».
Pierre Corsi
Pour espérer devenir un jour « U Babbu di l’Autonomia », et ce la lumière de ce qu’ont enseigné les processus de Matignon puis d’instauration de la Collectivité de Corse, le Président du Conseil Exécutif devrait changer de méthode.
Quelques jours après que la liste conduite par Gilles Simeoni ait obtenu la majorité absolue à l’Assemblée de Corse et que ce dernier ait été réélu à la présidence du Conseil Exécutif, Jean-Félix Acquaviva prend la parole à l’Assemblée Nationale lors de la séance des questions au gouvernement. S’adressant à Jacqueline Gourault, ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, la Madame Corse d’Emmanuel Macron, le député de la 2ème circonscription de Haute-Corse demande l’ouverture d’un « dialogue politique » dont la finalité serait, selon « un calendrier » et une « méthode partagée » avec le gouvernement, de mettre la Corse sur les rails d’une « autonomie de plein droit dans la République ». L’intéressé ajoute que, depuis 2017, les nationalistes n'ont cessé d'appeler au dialogue, évoque « une succession de rendez-vous manqués » et souligne la nécessité de « faire sauter les derniers verrous d'un blocage politique ».
La ministre répond que le gouvernement « est déjà dans le dialogue et le partenariat », « porte pour la Corse une ambition forte depuis le début du quinquennat » et que de nombreuses politiques vont en ce sens, notamment avec la mise en œuvre du PTIC [Plan de Transformation et d'Investissement pour la Corse). Elle ajoute que le gouvernement est « prêt à discuter plus, à avoir des calendriers de rencontres et à travailler avec toutes les forces politiques de l'île. » Cette réponse est dans la droite ligne de toutes celles apportées par l’État, depuis près d’un demi-siècle, à la revendication d’une véritable autonomie. D’une part, en éludant la demande de l’honorable parlementaire, Jacqueline Gourault rappelle implicitement l’existence d’une ligne rouge. Celle qu’avait mentionné, il y aura bientôt cinquante ans, le haut fonctionnaire Libert Bou, alors Président de la Mission interministérielle pour l’aménagement et l’équipement de la Corse et Délégué général du développement économique de la région Corse, le Monsieur Corse de Valéry Giscard d’Estaing, Président de la République d’alors : « Même 200 000 Corses autonomistes ne suffiraient pas à faire modifier la Constitution. »
D’autre part, en faisant état du PTIC ainsi que d’une « ambition forte depuis le début du quinquennat », Jacqueline Gourault définit un champ possible du dialogue qui rappelle celui qu’avait fixé Valéry Giscard d’Estaing dans une lettre de cadrage adressée le 12 juin 1978 au Premier ministre Raymond Barre. Dans ce courrier, le Président de la République insistait sur la nécessité de poursuivre la politique de développement économique de l'île en s’appuyant sur les responsables politiques et économiques en place : « Je vous demande de veiller à ce que les crédits d'équipement de l'État en faveur de la Corse permettent de poursuivre le rattrapage des besoins. Un effort particulier devra être fait en faveur de l'agriculture de la Corse intérieure et de l'artisanat, dans le cadre de programmes d'ensembles cohérents établis en concertation étroite avec les instances régionales et les responsables professionnels. »
La méthode Pierre Chaubon
Malgré la troisième victoire électorale territoriale nationaliste et aussi que la dernière en date ait montré que près de 70% des participants avaient opté pour un bulletin de vote couleur bandera, il apparaît nettement que l’Etat n’a pas fondamentalement changé sa façon d’appréhender le dossier Corse. Comme hier le pouvoir giscardien, le pouvoir macronien reste sourd à la revendication autonomiste et met en exergue le volet économique. Durant le septennat que viennent de lui offrir les électeurs, Gilles Simeoni parviendra-t-il à convaincre l’État d’effacer la ligne rouge qu’avait mentionnée Libert Bou et à laquelle Emmanuel Macron semble ne pas vouloir renoncer ? Rien n’est moins sûr.
Cependant il est quasiment certain que pour espérer devenir un jour « U Babbu di l’Autonomia », et ce la lumière de ce qu’ont enseigné les processus de Matignon puis d’instauration de la Collectivité de Corse, le Président du Conseil Exécutif devrait changer de méthode. En ne se la jouant plus solo ou presque face à l’État. En s’inspirant d’une méthode ayant été deux fois payante : celle de jouer collectif dont a usé Pierre Chaubon (décédé l’an passé). Quand le Premier ministre Lionel Jospin a pris l’initiative de lancer la démarche politique « Processus de Matignon », Pierre Chaubon a certes été un facilitateur qui a su jouer de l’écoute et la crédibilité que lui conféraient à Paris sa qualité de conseiller d’État, ses années de cabinets ministériels et ses entrées chez Olivier Schrameck et Alain Christnacht, deux conseillers de Lionel Jospin.
Côté corse, il a certes su faire avec deux difficultés : une classe politique très divisée, la pression nationaliste aussi bien publique que clandestine. Cependant le facteur-clé de sa réussite a été d’associer les principaux élus corses à l’élaboration des choses et au dialogue avec Paris. A la fin des années 1990 et au début des années 2000, cette méthode a permis que le Processus de Matignon aboutisse à un compromis gagnant-gagnant entre les élus qui étaient partisans d’une évolution institutionnelle allant jusqu’à la reconnaissance d’un pouvoir législatif de plein droit et d’un élargissement des domaines de compétences de la Collectivité Territoriale de Corse, et les élus qui voulaient s’en tenir à un aménagement des institutions pouvant néanmoins aller jusqu’à à la suppression des départements et l’instauration d’une collectivité unique.
De 2010 à 2015, Pierre Chaubon l’ayant actionnée en étant la tête de la Commission des compétences législatives et réglementaires de l’Assemblée de Corse, cette méthode a grandement contribué à l’acceptation fortement majoritaire de la suppression des départements et de l’instauration d’une collectivité unique.
Aujourd’hui cette méthode permettant que les principaux élus corses puissent trouver des compromis et présenter une large union face à Paris pourrait encore s’avérer très utile. D’autant que le dossier Corse n’est plus jugé prioritaire, qu’Emmanuel Macron revient au jacobinisme, que l’aiguillon de la clandestinité a disparu et que Laurent Marcangeli, le principal opposant à la majorité siméoniste, même s’il ne s’est jamais déclaré favorable à une autonomie de plein exercice, n’est pas foncièrement hostile à une évolution institutionnelle.
Comme l’a récemment déclaré un élu indépendantiste peu soupçonnable de confondre compromis et compromission : « On peut trouver par la méthode, l'argumentation et le travail, les voies d'un consensus sur une étape assez simple au vu du reste de l'Europe, avec un statut d'autonomie à la Sarde qui pourrait trouver, y compris dans les autres groupes politiques non nationalistes, dont ceux qui ne sont pas élus à l'Assemblée de Corse, une volonté d'unanimité afin de permettre une consultation locale de validation qui passerait par la grande porte».
Pierre Corsi