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Majorité nationaliste : le vert vire au noir

Le régionalisme, l’autonomisme, le nationalisme ainsi ses compagnons de route ont toujours occupé avec bonheur le terrain de la protection de l’environnement. Les temps changent.
Depuis quelques jours, la majorité nationaliste qui gère la Collectivité de Corse est en situation d’échec concernant deux importants dossiers. Ce double échec est majeur. Il est d’autant plus à déplorer qu’il concerne la protection de l’environnement. Or, depuis les années 1960, le régionalisme, l’autonomisme, le nationalisme ainsi ses compagnons de route ont toujours occupé ce terrain avec bonheur et y ont fondé une grande part de leur légitimité et de leur popularité. Ces échecs consistent en la révélation de la gestion calamiteuse de la réserve naturelle de Scandola et en la nécessité qui s’est imposée de transférer précipitamment et à grands frais des milliers de tonnes de déchets ménagers insulaires vers des unités d’incinération du sud de la France. La majorité nationaliste peut difficilement affirmer qu’elle n’avait pas connaissance des menaces qui pesaient sur le classement du site de Scandola, à savoir le risque pour ce site remarquable de se voir retirer - du fait d’une fréquentation touristique trop forte et d’impacts non-maîtrisés sur la biodiversité - le label Espace européen protégé qu’avait décerné, en 1985, le Conseil de l’Europe. En effet, dès 2015, deux députés européens Europe Écologie Les Verts avaient écrit à Paul Giacobbi, alors encore président du Conseil Exécutif, pour l’alerter d’une dégradation de la situation : « Depuis des années, grâce à la gestion efficace de scientifiques et de techniciens engagés, compétents et dédiés, cette réserve a pu préserver, voire développer, son caractère exceptionnel. Pourtant depuis quelques mois des ombres menaçantes se profilent sur le respect de l’environnement de ce site (…) Certaines organisations internationales dont l’UNESCO et le Conseil de l’Europe émettent des inquiétudes concernant la fréquentation en forte hausse de la réserve qui peut constituer une menace pour la préservation de ce site vulnérable. » Il semble que cet écrit et d’autre signaux n’aient pas été pris en compte bien que la majorité nationaliste, et plus particulièrement sa composante Femu a Corsica qui compte dans ses rangs un député européen élu sur la liste Europe Écologie Les Verts à l’occasion du scrutin européen de juin 2019, entretienne des liens étroits avec le parti de Dominique Jadot. Les Verts de Corse ont d’ailleurs dénoncé un dysfonctionnement grave et invité la majorité nationaliste à réagir. Dans un communiqué au titre plus que cinglant « Scandola ou Scandalu », ils ont écrit : « Un bilan a été dressé l’année dernière par l’expert Olivier Biber mandaté à cet effet. Il est accablant pour tous ceux qui se sont succédés aux responsabilités locales et de l’Etat depuis 2010. Il se résume en quelques mots : « inaction, invasion, érosion, dégradation du milieu et des espèces, une seule cause, le lascia corre devant la recherche effrénée du profit marchand (…) Il reste à la Corse quelques mois pour chasser les marchands du temple, pour donner un signal fort, un coup de barre vigoureux pour redresser la trajectoire. »

Le poids de l’idéologie

Le deuxième échec de la majorité nationaliste concerne la gestion des déchets. Il est certes moins accablant que le premier car plusieurs acteurs, y compris beaucoup d’entre nous, ont une part de responsabilité. Les communes et les intercommunalités, individuellement ou dans le cadre du Syvadec (Syndicat de valorisation des déchets en Corse), ont péché. Les premières n’ont consenti que des efforts insuffisants dans les domaines de la mise en œuvre du tri. Le Syvadec s’est trop satisfait d’avoir mené à bien la fermeture des décharges à ciel ouvert et une gestion plutôt correcte de l’enfouissement ; d’avoir trop tiré sur la patience des populations riveraines des sites d’enfouissement et les dérogations préfectorales autorisant des augmentations de volumes enfouis ; d’avoir trop spéculé sur une baisse des tonnages non triés du fait d’un développement des comportement éco-responsables. Le Syvadec a aussi manqué d’une véritable courage politique susceptible de faire accepter par certains territoires très urbanises ou touristiques, en des années où c’était encore possible, l’accueil de nouveaux sites d’enfouissement. Communes, intercommunalités et Syvadec ont aussi négligé de vraiment motiver les habitants. En effet, ils se sont bornés à communiquer et aucune mise en place de fiscalité incitative n’a été tentée pour récompenser les « bons élèves » du tri. Au contraire, ces « bons élèves » ont pu constater qu’ils étaient soumis comme les « mauvais » à des alourdissements du poids de la TEOM (taxe d'enlèvement des ordures ménagères) et ont eu connaissance avec amertume que des entreprises privées réalisaient de juteux profits en occupant les marchés du transport et du traitement des déchets. Il ne faut pas non plus occulter l’incivisme d’une partie importante de la population qui continue à faire dans le dans le « Je paie donc je jette ce que je veux, où je veux, comme je veux, quand je le veux ». La majorité nationaliste doit bien sûr elle aussi battre sa coulpe. Depuis son accession aux responsabilités, ses messages et ses décisions concernant la prise en charge des déchets ont davantage été nourris par l’idéologie et le « prendre ses désirs pour des réalités » que par une réelle prise en compte des réalités. En effet, durant quatre ans, elle a fait sienne les prises de positions d’associations laissant entendre qu’il serait possible de passer en peu de temps de 15 % à 100 % de déchets ménagers triés. D’où l’affichage de l'objectif qu’elle affiché de parvenir à un taux de tri de 60% en cinq ans, sans tenir compte que les communes et les intercommunalités n’avaient, et n’ont encore à ce jour, pas les moyens les moyens d’y parvenir et que beaucoup d’habitants et de visiteurs n’ont pas encore pris conscience de la nécessité de trier ou acquis les fameux « bon gestes ». Plus grave, cet affichage s’est accompagné d’un manque criant d’anticipation de solutions alternatives telles que l’incitation active à la recherche de nouveaux sites d’enfouissements ou la quête de partenaires susceptibles de transporter ou traiter à un prix négocié sans la pression (pouvant donc être convenable) une partie des déchets de la Corse. La majorité territoriale a sans doute raison sur le fond quand elle se refuse à l’incinération, mais en n’anticipant pas un éventuel raté du défi démesuré qu’elle s’était lancé, elle a créé les conditions de devoir essuyer un échec aussi cuisant que ruineux consistant en l’expédition à la va-vite de 21 000 tonnes d’ordures à Nice, Fos-Sur-Mer et Vedène moyennant plus de 6 millions d’euros (près de 300 euros / tonne). Ces chiffres lui colleront assurément aux semelles quand sonnera l’heure électorale. Pour la majorité nationaliste, avec Scandola et les montagnes de déchets, le vert vire au noir.
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