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Exposition "Les Iles du Milieu"

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« L’appel de phare » de « L’Arsenale »


Au cœur de la citadelle de Bastia « L’Arsenale » abrite des expositions, en l’occurrence et jusqu’à la fin septembre les œuvres exposées se veulent le prolongement aux temps présents de « Banditi ! Brigandage et banditisme, Corse – Italie de 1600 à 1940 » que nous propose le musée de la ville au Palais des Gouverneurs.


Logique de chercher une correspondance entre la figure du bandit corse traditionnel et la criminalité insulaire actuelle qui endeuille des familles et alimente la chronique des faits divers dont chacun sait qu’ils sont révélateurs de l’état de santé d’une société… assez carencée et qui nécessiterait d’être tonifiée. « Les Iles du Milieu » - avec une majuscule à Milieu – au-delà du jeu de mot – nous incite à une réflexion sur ce qui se passe ici et maintenant. Quoi de plus évident alors que ce parallèle, que nous offre à voir le commissaire de l’exposition, Christian Buffa, avec la Sicile de la période allant de la décennie 70 aux débuts des années 90. Période où la brutalité mafieuse est à son comble avec ses assassinats, ses massacres qui font plus de mille morts de 1975 à 1992, date des attentats meurtriers contre les juges Falcone et Borsellino.

Apogée de la mafia et « années de plomb »

Ce sont les photographies de Franco Zecchin qu’a convoqué le commissaire de l’exposition pour aiguiser notre sens critique. Des œuvres en noir et blanc d’une intensité bouleversante. Corps sans vie de victimes liquidées en pleine rue, parfois sous le regard d’enfants à qui cette ignominie aurait dû être épargnée. Zecchin dit l’ordinaire de Palerme : enterrements, portraits de mafieux, de ceux qui ordonnent et de ceux qui exécutent, omniprésence d’une religiosité au milieu de la pouriture, séquences de procès. Mais le photographe ne fait pas l’impasse sur des épisodes plus heureux : fêtes de familles, carnaval, cocktails chez les riches… Il nous montre que la quotidienneté n’est pas univoque, qu’elle est ambivalence et de ce fait complexe.

Palerme de l’apogée de la mafia, de ses dégâts humains, sociaux, économiques, politiques c’est l’Italie des « années de plomb », une donnée historique qu’on ne saurait occulter sans se fourvoyer dans des marécages de la pensée. Durant ce que l’on nomme « années de plomb » les Italiens vont être aux prises avec le terrorisme d’extrême-gauche ce que l’on se complaît à souligner et avec celui d’extrême-droite, émanant de groupes nostalgiques de Mussolini. Ce terrorisme-là, expédié trop fréquemment à la trappe, parce que la mémoire est sélective et sujette à manipulation, est responsable des deux tiers des actions perpétrées sous le couvert de la violence politique !...

Terreau putride, moins d’Etat et ultralibéralisme

Côté gouvernementale l’omniprésent parti qu’est la Démocratie Chrétienne, est gangrénée par la corruption, le népotisme, les détournements de fonds publics, les achats de votes et engluée dans des relations saumâtres avec les factions fascistes. C’est sur ce terreau putride que se développent les emprises mafieuses, non seulement en Sicile mais dans toute l’Italie et hors de ses frontières, en Suisse et en Allemagne en particulier. Simultanément triomphe l’idéologie de l’ultralibéralisme dont les tenants principaux sont Thatcher et Reagan, idéologie qui exige toujours moins d’Etat. Or, en Italie c’est cet effacement de l’Etat qui stérilise toute réponse efficace à la pieuvre. La riposte ne viendra qu’avec « L’Opération Mains Propres » (1992) portée par un sursaut démocratique et un mouvement citoyen qui aboutiront à la pulvérisation de la Démocratie Chrétienne et à un assainissement de la haute administration, justice et police comprises.

Qu’on parle de mafia ou de crime organisé le rôle de l’Etat est primordial. S’il se révèle incapable de faire respecter ses propres lois, il est certain que l’horizon sera automatiquement sombre et que le film des jours deviendra opaque ce qui est la pire des choses en démocratie. Pour aborder la problématique corse dans cette exposition, « Les Iles du Milieu », il revient au photographe, Edouard Elias de régler sa focale sur les deux collectifs, « A Maffia No, a Vita Iè » et « U Cullittivi Massimu Susini ».
Cela nous vaut des portraits d’hommes et de femmes attachés à dénoncer les artisans du crime qu’on laisse opérer à leur guise au détriment de la collectivité et de l’espace démocratique. Des visages, des silhouettes insérés dans des sites urbains ou ruraux, dans des replis de la ville ou des détours de campagne. Parmi eux des gens connus et d’autres moins, des personnages croisés communément ou rencontrés à l’occasion.

Des lanceurs d’alerte

Ces lanceurs d’alerte invitent à réagir aux menaces que font planer les organisations criminelles, menaces qui se déclinent en confiscation de l’économie, pillage de l’environnement, mise en tutelle de la société, domestication à terme du politique… Inutile, bien sûr, de citer ce fléau, ce cancer qu’est la spéculation immobilière et foncière à l’essor toujours plus fulgurant depuis des lustres grâce à des hommes de paille ou non… d’officines idoines ou non…

Excellent témoignage de la propagation de la criminalité le recours de plus en plus courant aux voitures blindées très en vogue en Campanie, Calabre, Sicile, ici dans le sud de l’île. Ce phénomène Olivier Metzger l’a traqué dans les environs de Naples. Il en rapporte ces clichés de belles allemandes – BMW, Mercedes – habillées de blanc, de noir, de gris métallisé dont les carrosseries sont aveuglantes le jour et trouent la nuit d’une lumière éclatante. Elles signent le crime et valent de petites fortunes, mais mafieux et autres malfrats ont les moyens de s’assurer la vie sauve.

L’art de conjurer la peur

Parmi ces images révulsantes ou au contraire qui encouragent à refuser l’inacceptable l’univers de la plasticienne, Agnès Accorsi, est une gifle administrée de magistrales mains à la virilité empoisonnée d’hommes de mains, de seconds couteaux, de caïds en chef. Il y a beaucoup d’ironie et énormément de moquerie dans ces répliques d’armes factices bricolées avec deux bouts de bois que l’artiste affiche au mur en une alternance rythmique de sculptures et de dessins. Un simili armement. Même pas des jouets. Même pas des modèles réduits. Même pas des maquettes. Juste des caricatures d’engins mortels alliant symbolique et ridicule, des caricatures qu’on a envie d’applaudir très fort. Des objets soudain désacralisés, façon radicale de déjouer la peur… de la mettre au pas… de la museler.



Franco Zecchin
est né à Milan. Il arrive à Palerme en 1975 où il travaille sur la mafia, la corruption politique, les conditions sociales. Il est l’un des fondateurs du Centre de Documentation contre la mafia. En 1988 il rejoint l’Agence Magnum. Ses recherches photographiques l’entrainent ensuite dans diverses parties du monde. Installé à Marseille il continue d’explorer appropriation du territoire et pratiques sociales. Ses photos se retrouvent dans les musées les plus fameux.

Franco-Suisse Olivier Metzger vit à Arles. Lauréat de nombreux prix son travail est exposé partout dans le monde par les plus grandes fondations.

Les guerres, les exodes, la répression, la pauvreté autant de thèmes qui sont chers à Edouard Elias. Il couvre aussi le conflit syrien ce qui lui vaudra d’être retenu en otage par l’Etat Islamique durant onze mois. Puis pour différents médias il fait des reportages sur des sauvetages de réfugiés en Méditerranée, sur les exactions de Boko Haram autour du lac Tchad, sur le docteur Mukwege, prix Nobel de la Paix en 2018.

Plasticienne à l’imaginaire poétique Agnès Accorsi sait avec une douceur séduisante être grinçante quand elle évoque les maux de la société qui dévalorise la place des femmes. Peintures, vidéos, expressions sur des supports très divers, son œuvre est fascinante et énigmatique.

  Michèle Acquaviva -Pache

  • · Jean Marc Raffaelli excusera l’emprunt -partiel- de mon titre !
  • · L’Arsenale mériterait une meilleure signalisation. Les indications du lieu sont peu lisibles sur la place de Donjon et inexistantes du côté de la cathédrale. En outre l’obligation d’aller prendre un ticket au Palais des Gouverneurs en décourage plus d’un.
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