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Prix des Lycéens 2021 du festival de la BD

Un roman graphique de Nadia Nakhlé << Les oiseaux ne se retournent pas >>

« Les oiseaux ne se retournent pas »


« Les oiseaux ne se retournent pas » de Nadia Nakhlé. Un roman graphique tout d’émotion et de pudeur. L’histoire d’une enfant contrainte de fuir son pays en guerre. Prix des Lycéens décerné lors du Festival BD à Bastia.


Elle a douze. Elle s’appelle Amel. La guerre la dépouille de tout. Des siens. Des bricoles qui illuminaient son quotidien. Ses souvenirs enfermés dans un petit sac à dos elle doit partir… Partir la boule au ventre. Suivre vaille que vaille ces oiseaux qui volent tels les hirondelles deux fois l’an. Mais, elle, Amel ce sera pour beaucoup plus longtemps. Ce sera un crève-cœur empli de vilains tracas avec également des rencontres qui ensoleilleront sa route. Ainsi Bacem, le luthier, embrigadé un moment par une soldatesque et qui lui échappe. Bacem et son oud qui initie Amel à la musique, ce trésor qui la fortifie et la sauvera.

Amel dans son exil forcé perd tout, y compris son nom, son identité. Il lui faut devenir Nina sans renoncer à se personnalité, à son être profond. Jamais elle n’oubliera ces mots de ses grands-parents : « On peut tout te prendre mais pas tes rêves ». Des rêves Amel-Nina en aura des brassées. Et surtout qu’il y a un ailleurs possible. Vivable. Et surtout encore que la musique est renaissance.

Le livre a un graphisme puissant et sobre. Il est acte de foi en la vie, message d’espérance avec ses images qui sont beauté, poésie, intelligence de l’âme. Le récit est subtil et inspiré. Il est habité de fantastique qui n’est pas là pour jeter un voile sur une réalité terrible mais au contraire pour la laisser entendre…

« Les oiseaux ne se retournent pas » dit le sort des petits réfugiés qui n’ont d’autres torts que d’être nés là où le ciel n’est que bombes et le sol fureur des armes. Heureusement la poésie transcende le malheur. Nadia Nakhlé renvoie à ce merveilleux conte soufi, « La Conférence des oiseaux », cette quête identitaire et mystique que Jean Claude Carrière et Peter Brook avaient en leur temps adapté pour la scène.

Deux autres albums étaient en lice pour le Prix des Lycéens : « Radium Girls » de Cy et « Le Detection Club » de Jean Harambat. Le premier traitant de l’empoisonnement au radium d’ouvrières américaines dans les années 20. Un véritable coup de poing dans les gencives puisque cette affaire déboucha sur la mort dans d’atroces souffrances de jeunes femmes sur lesquels le patronat fit d’emblée une croix… Un meurtre collectif ! Comme l’amiante. Comme les radiations dans le Pacifique suite aux essais nucléaires français. Comme le Médiator. Comme… Un choc, cet ouvrage qui dénonce un scandale avec tant de force et de vigueur qu’il est doublé d’une économie de moyens au plan esthétique.

A l’opposé, « Le Detection Club » nous transporte dans l’Angleterre des auteurs de polars des années 30, époque d’Agatha Christie et de Chatterton. A lire pour le plaisir en pensant à un savant et excitant jeu de rôle.



              « Raconter l’exil du côté d’une enfant, voilà ce que je désirais. Cela faisait aussi écho à l’histoire de ma famille »…
       Nadia Nakhlé



Quelle est votre formation artistique et comment avez-vous débuté dans la bande dessinée ?

En dessin j’ai pris des cours du soir passant par l’apprentissage du dessin académique et classique. Ma formation est donc autodidacte. Avec mon projet comportant l’histoire complète des « Oiseaux ne se retournent pas » et plusieurs planches déjà réalisées je suis allée au Salon du Livre de Paris où j’ai rencontré une personne des éditions, « Delcourt » qui a accepté de transmettre mon dossier à un chargé de collection.


Quelles techniques employez-vous ? Pouvez-vous revenir sur l’accueil de votre livre ?

J’ai mélangé crayon, pierre noire, lavis, gravure. « Les oiseaux ne se retournent pas » a reçu un très bon accueil. Il a remporté sept prix ce à quoi je ne m’attendais pas du tout : Prix des Lycées à Angoulême, Prix Solidarité de l’Obs, Prix des Lecteurs du Var, Prix du Premier Roman Graphique de Belgique, Prix de l’Echappée littéraire, Prix de Paris d’En Lire, Prix des Lycéens ici. Sur sept récompenses trois viennent des jeunes ce qui me touche beaucoup.


Pourquoi ce sujet d’enfant réfugié ?

Devant la situation de ces enfants réfugiés j’ai éprouvé un sentiment de révolte. J’ai voulu dénoncer la barbarie qu’est la guerre avec une échappée vers l’imaginaire. Raconter l’exil du côté d’une enfant voilà ce que je désirais. Cela faisait aussi écho à l’histoire de ma famille qui a dû fuir le Liban.


Comment vous êtes-vous documenté ? Avez-vous été sur le terrain ?

Je devais m’appuyer sur la réalité des faits. J’ai contacté Amnesty International et la Cimade. J’ai été dans les camps de Grand Synthe et de Calais ainsi que dans des camps de réfugiés palestiniens près de Beyrouth. Sur place j’ai beaucoup discuté, fait des dessins, pris des photos. J’ai également effectué des recherches dans le domaine de la poésie, ce qui m’a conduit à « La Conférence des Oiseaux », qui conte une quête d’identité et qui m’a inspiré.


En plein Covid avez-vous eu des difficultés à travailler avec les lycéens ? Ne deviez-vous pas animer des ateliers avec eux ?

Nous avons eu recours à la visioconférence. Les élèves avaient très bien préparé les séances et leurs questions étaient très pertinentes. J’ai pu leur montrer les dessous de la création. Les jeunes qui étaient en classe, portaient des masques ce qui induisait une perte d’expression des visages. Mais les échanges ont pourtant été excellents. Face à moi j’ai eu trois classes de seconde : Jean Nicoli (professionnel), Giocante (général), Montesoro (techniqu). Leurs profils étaient donc très variés. C’était une très bonne chose.


Dans votre récit quels obstacles avez-vous dû contourner ? Eviter ?

Il ne fallait pas entrer dans l’horreur de la guerre. Ne pas jouer la violence pour la violence. Ne pas tomber dans le pathos et le misérabilisme. Parce que les enfants restent des enfants malgré tout ! J’ai procédé par ellipse. J’ai parlé d’espérance et d’un ailleurs meilleur. Je suis entrée dans la vie d’une enfant en lui donnant un visage bien à elle. Je n’ai pas cité de nom de pays tout en me référant au Moyen Orient globalement.


Pourquoi l’option du noir et blanc et de touches de couleurs ?

J’ai toujours aimé le noir et blanc. Avec le thème que je traitais il était difficile de tout imaginer en couleur ! J’ai choisi des touches de couleur pour leur symbolique. Le rouge, c’est l’enfance, la terre natale. Le mauve, la spiritualité. Le jaune, le souvenir. Le bleu, l’espoir, la fraternité. Le vert, je l’ai associé à l’Orient où cette couleur est importante.


La référence à l’Orient n’est pas seulement présente dans la couleur verte ou « La Conférence des oiseaux » ?

L’Orient est évoqué par des réminiscences aux enluminures persanes, par le oud qui véhicule une énorme symbolique car il a une dimension philosophique, car chacune de ses cordes représente une émotion et la rosace en son centre est l’âme. L’oud rappelle aussi un oiseau.


Votre approche qui mêle fantastique et réel est une manière d’intensifier la charge poétique du livre ?

La poésie, l’imaginaire introduisent dans le monde de l’enfance… J’ai retenu ainsi le témoignage d’un petit garçon du documentaire, « L’ile aux enfants de l’exil ». Ce gamin avait survécu à une traversée très périlleuse et racontait qu’à la fin il avait été sauvé par des ours polaires ! Cette image m’a frappé… En dépit de tout ce qu’il avait enduré il était fier d’avoir surmonté les épreuves, d’être le héros d’une aventure où il avait rencontré de merveilleux sauveteurs… L’imaginaire, protecteur de l’enfance !


Votre définition du roman graphique ?

Chaque auteur a sa définition… Pour moi, c’est sortir des codes de la bande dessinée, entre autres, des cases et des bulles. C’est être plus libre !


Pourquoi associer au livre le spectacle vivant ?

J’ai commencé par le cinéma d’animation et la musique est au centre des « Oiseaux ne se retournent pas ». Le spectacle vivant s’impose ainsi comme une complémentarité. Comme une évidence. Sur scène il y a u joueur d’oud, Mohamed Abozenkry, un pianiste, Ludovic Yapoudjian, une chanteuse en arabe, Mayya Sanbar, une en persan, Negar Hashemi. Dans ce spectacle on peut aussi voir des projections de dessin et de cinéma d’animation.


Vos projets ?

Je viens de sortir un second roman graphique, « Zaza Bizar » qui raconte les difficultés d’une petite fille atteinte de troubles du langage. Je suis en train de préparer un film d’animation à partir des « Oiseaux ne se retournent pas ».

Propos recueillis par M.A-P
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