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Collectivité de Corse : "100 jours" ou "jours sans" ?

Remporter le challenge des 100 jours facilitera les choses, s'y casser les dents, compliquera tout.

Collectivité de Corse : « 100 jours » ou « jours sans » ?


Remporter le challenge des 100 jours facilitera les choses, s’y casser les dents, compliquera tout.

Le 2 juillet dernier, le nouveau Conseil Exécutif de la Collectivité de Corse se réunit pour la première fois. A cette occasion, Gilles Simeoni émet une exigence de rigueur et de célérité concernant le traitement des dossiers. Il rend d’ailleurs publique cette exigence en affichant la volonté et la détermination de relever un challenge : élaborer une méthode et fixer un cap dans les 100 jours. Dans un tweet, il écrit : « Première réunion du nouveau Conseil exécutif de Corse hier à Aiacciu. À l’ordre du jour : méthode de travail ; transversalité ; complémentarité avec l’Assemblée de Corse et les instances consultatives ; articulation avec les forces vives ; priorités des 100 premiers jours… Forza ! »
A une journalise de Corse Net infos qui l’interroge en ces termes « Des signaux forts dans les 100 jours, comme vous l’avez annoncé ? », il confirme : « Oui ! Nous avons posé ensemble cette nécessité d’envoyer des signaux forts dans les cent premiers jours ». Puis il explique à l’intéressée vouloir apporter une réponse à l’électorat qui, durant la campagne électorale, a demandé de la vision, de la méthode, de la réactivité et du concret dans la prise en compte des problèmes: « Nous avons parlé de cette attente forte qui a été exprimée de façon très claire par tous les Corses que nous avons rencontrés pendant la campagne électorale. C’est l’un des engagements que nous avons pris. Il y a, bien sûr, une continuité par rapport à l’action que nous avons menée depuis 2015, la réaffirmation des fondamentaux, et, concomitamment, comme nous l’avons dit, la nécessité d’aller beaucoup plus vite, beaucoup plus fort et beaucoup plus loin dans la concrétisation opérationnelle du projet global que nous portons, y compris dans ses déclinaisons du quotidien. » Durant l’été, plusieurs membres du Conseil Exécutif ont relayé la parole de leur président en affichant eux aussi une volonté de parler clair et d’aller vite.

Impatience, doutes et critiques

Qu’en est-il, bientôt cent jours plus tard ? Les médias rappellent les propos du président du Conseil Exécutif. Des opposants commencent à faire part de leur impatience, de leurs doutes et de leurs critiques. Ainsi les élus du groupe Un Soffiu novu que préside Laurent Marcangeli, ont exprimé l’intention d’interroger le Conseil Exécutif car ils estiment que les cent jours jours étant pratiquement écoulés, il manque encore les signes tangibles d’une vision, d’une méthode, d’une réactivité, d’une action concrète.
Ces premiers coups de griffes ne sont pas sans importance et ne doivent pas être négligés car la population a connaissance et conscience que Gilles Simeoni et ses amis n’auraient guère d’excuses à invoquer, s’il était vérifié qu’ils aient déjà péché par indécision ou immobilisme. Les Corses n’ignorent pas que le Président du Conseil Exécutif et sa majorité disposent d’une légitimité et d’une majorité qui leur donnent toute latitude de décider et d’agir. Ils savent que la majorité siméoniste ne peut plus déplorer que des alliés freinent son élan. Ils ont aussi en tête que la majorité siméoniste, après six ans d’exercice du pouvoir, ne peut se défausser en prétextant un besoin de temps pour s’emparer des dossiers. En effet, crise permanente des déchets, coûts devenus exorbitants du transport maritime, délicats choix énergétiques, aménagement harmonieux des territoire, revitalisation des zones rurales, politique touristiques et autres, sont des dossiers censés avoir été mille fois étudiés.
Et, par ailleurs, il ne peut qu’en être de même concernant les dossiers préoccupants que sont Dette de la Collectivité de Corse et Contentieux Office des Transports / Corsica Ferries. C’est clair : ayant claironné qu’il s’engageait, le Conseil Exécutif s’est mis au pied du mur et doit le franchir. A défaut, son image en pâtirait gravement. Mais pourquoi diantre, alors qu’une mandature de sept ans leur ouvre la perspective de travailler sereinement, Gilles Simeoni et ses amis ont-ils jugés utiles de se mettre la pression ? Peut-être ont-ils tout simplement été influencés par le mythe des 100 jours.

Un mythe qui impacte

Se donner 100 jours pour lancer une mandature est censé permettre à des décideurs politiques d’une part d’asseoir une image de détermination, d’efficacité et de capacité d’innover, d’autre part d’exploiter au maximum la légitimité et la popularité qu’apporte une élection. Ce mythe est né aux États-Unis, en 1933. Confronté à une crise économique sans précédent, le président nouvellement élu Franklin Delano Roosevelt, ayant convoqué une session extraordinaire du Congrès, a notamment annoncé des mesures de sauvetage du système bancaire, l’attribution de subventions aux agriculteurs et le début de grands travaux dans la vallée du Tennessee, et promis que tout cela serait mis en œuvre en trois mois. En quête d’une référence historique pouvant évoquer la capacité ou la nécessité d’agir dans l’urgence, la presse US a alors songé aux Cent-Jours de la dernière séquence de l’épopée napoléonienne. Depuis, passer sous les fourches caudines du « First 100 Days » est devenu un exercice imposé pour tout président US nouvellement élu. Le mythe des 100 jours a aussi gagné la France. En 1981, François Mitterrand a assimilé les 100 jours à une « période d’état de grâce » que l’écrivain devenu ministre Max Gallo a défini ainsi : « Comme les 100 jours, c'est l'idée de profiter au maximum d'une vague électorale avant qu'elle ne retombe».
Les 100 jours ne déterminent certes pas ce que sera une mandature mais influencent considérablement la perception qu’en aura le peuple. Ils impactent. Dominique de Villepin l’a souligné. L’ancien secrétaire général de la Présidence de la République, ministre des Affaires étrangères et Premier ministre a affirmé en présentant un ouvrage qu’il a écrit sur les Cent jours de Napoléon : « Il y a dans les Cent jours un moment très particulier où l’on découvre un visage un peu méconnu de Napoléon : un homme de chair et de sang, un homme qui doute... (…) Quand il arrive Paris, il trouve alors le vrai défi du pouvoir : Que faire ? Il a l'Europe qui menace ses portes, il doit essayer de réconcilier les Français. Il trouve en lui l'idée qu’il faut réconcilier les deux France, concilier les notables avec le peuple d’ cette idée d'apporter la liberté en plus de la Révolution. » Certes, ses 100 premiers jours ne détermineront pas le succès ou l’échec de la mandature siméoniste. Mais s’il apparaît que ces 100 jours ont été des « jours sans », l’opposition en tirera un profit durable, cela restera quelque part dans le conscient ou l’inconscient des Corses et un doute s’instaurera.
Remporter le challenge des 100 jours facilitera les choses, s’y casser les dents, compliquera tout.

Pierre Corsi




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