• Le doyen de la presse Européenne

De quoi la Corse est-elle le prénom ?

Définir un prénom.....
De quoi la Corse est-elle le prénom ?

Le précandidat Zemmour a énoncé une fois de plus sa volonté, s’il était élu président, d’interdire « tout prénom qui ne soit pas français ». Encore faudrait-il définir ce qu’est « un prénom français ». Mais c’est surtout appréhender la France comme un ensemble homogène et catholique puisque beaucoup de prénoms endogènes sont des noms de saints. Le politologue Jérôme Fourquet estime qu’aujourd’hui un cinquième des enfants qui naissent en Corse reçoivent un prénom à consonance corse (ce qui ne veut pas dire corse). La tendance semble à la hausse témoignant tout à la fois d’un attachement croissant à une culture souvent sublimée et une dislocation de l’ensemble culturel français versus jacobin.

Donné et porté


Un prénom n’est pas seulement donné, il est avant tout destiné à être porté. On se rend bien compte qu’aux périodes de grande migration vers le continent, les Corses francisaient leur prénom si cela n’était pas fait au moment de la déclaration en mairie. Dans notre île, le prénom avait une vocation première : la perpétuation de la lignée. Les garçons recevaient le ou les prénoms de leurs grands-pères et les filles celui ou ceux de leurs grands-mères. Quand la photo et les tombes individuelles n’existaient pas, c’était une façon de garder vivante la mémoire des défunts. Puis c’est devenu une simple coutume. La graphie a également changé à cause de la francisation de l’île. Mais ça serait commettre une erreur que de croire que les prénoms antérieurs étaient écrits en corse. La langue administrative usuelle était le toscan qui s’est imposé dans bien des communes jusqu’au Second Empire. Il faut attendre la IIIe république pour que la francisation devienne effective. Pietro Antonio devient alors Pierre Antoine, etc. Mais dans le langage courant, c’est la prononciation corse, Petru Antò, qui est utilisée. Les prénoms français deviennent l’usage pour la plupart des Corses émigrés sur le continent. Il y a là une volonté d’intégration à l’ensemble français. Le français est la langue du pain.

La période actuelle


Selon l’INSEE, les prénoms les plus prisés dans l’île ont été Ghjulia et Andria en 2020 sachant qu’il faut relativiser puis Ghjulia a été donnée 25 fois et qu’Andria l’a été à 33 reprises. Au niveau national, on trouve Jade, Louise et Emma pour les filles, Leo, Gabriel et Raphaël pour les garçons. On s’étonnera toutefois de ne pas trouver de prénoms à consonance maghrébine alors que cette population est en France la plus prolifique. Mais admettons qu’en Corse Andria et Ghjulia prennent la tête des prénoms.
C’est à la fois un produit du riacquistu culturali et une rupture avec l’ancienne tradition corse qui voulait que les petits enfants perpétuent la mémoire des grands-parents. Autre difficulté : l’écriture du corse stabilisée selon les règles d’Intricciat’è cambiarine qui introduit les ternaires chj, ghj. On imagine les difficultés pour une jeune fille s’appelant Chjara Cucchi ce qui donne hélas en bon français « chiara cuchi ». Autre obstacle : celles et ceux qui portent des prénoms issus d’autres langues : on se souviendra qu’Alain est devenu Alanu, Yvan en Ivanu ce qui est hautement improbable.

La bêtise de l’interdiction


Mais revenons-en à Eric Zemmour et à sa proposition. Si elle était avalisée, la France serait une exception dans le monde. Partout ailleurs la multiplicité des prénoms n’est pas même discutée. Mais franchement, pense-t-on réellement régler la panne de l’intégration en imposant un prénom souvent issu d’ailleurs de la culture germanique. Les Corses ont bien raison de donner des prénoms corses à leurs enfants tout simplement parce qu’un prénom est un choix personnel qui en dit long sur l’appartenance à une communauté. Appeler son fils Adolphe après 1933 pouvait fort bien s’interpréter comme un soutien au nazisme et Joseph comme une déclaration d’amour au tyran soviétique. Les Philippe ont été légion sous le court règne pétainiste. On peut présumer que les Charles ont soudain explosé avec De Gaulle.
Les prénoms et les noms sont des marqueurs culturels qui témoignent de changements personnels et sociétaux dans un sens comme un autre. Ou bien on croit à la richesse de la France aux cent cinquante fromages et aux vingt provinces et on ne mène pas cette absurde guerre des prénoms ou on la comprend comme un glacis homogène et donc mort-vivant. Alors on joue contre une France moderne.

GXC
Partager :