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Une Réserve Naturelle Marine Et Terrestre Du Nord-Ouest De La Méditerranée, Scandula (Corse) : Biodiversité Et Leçons De 46 Années De Gestion

Août 2021. Sous la houlette de Charles-françois Boudouresque, plusieurs scientifiques de renom viennent de publier un article scientifique* choc qui énonce quelques vérités et cite 580 références de publicationsrelatives à la réserve naturelle (RN) de Sca
Août 2021. Sous la houlette de Charles-françois Boudouresque, plusieurs scientifiques de renom viennent de publier un article scientifique* choc qui énonce quelques vérités et cite 580 références de publicationsrelatives à la réserve naturelle (RN) de Scandula, tordant ainsi le cou à l’avalanche de mensonges qui circulent depuis environ trois ans.

Un regret : la publication est en anglais.

Afin d’informer un maximum de personnes, U Levante publie ci-dessous la traduction de larges extraits .

Dans l’ensemble, le statut de Réserve Naturelle Nationale (RNN) de Scandula a été un succès indéniable. Cette dernière le doit à près de 50 ans de protection sans compromis et de gestion efficace, au dévouement sans faille des gardiens et conservateurs, à une symbiose entre la Gouvernance, les agents gestionnaires, les acteurs locaux et à un Conseil scientifique qui n’était pas qu’une façade. Parmi ses réussites la population de balbuzards pêcheurs Pandion haliaetus, qui était presque éteinte au début des années 1970, et la coexistence d’une industrie de pêche artisanale rentable avec une biodiversité marine parfois proche de l’état initial probable. Mais ces succès ne doivent pas masquer les échecs. Le décret ministériel de création de la réserve (représentant l’aspect réglementaire), n’a pas été mis à jour au fil des années ; la fréquentation excessive par les bateaux, en particulier les bateaux touristiques, n’était ni anticipée ni limitée, et est désormais hors de contrôle ; la dégradation des herbiers de Posidonia oceanica et l’échec récent de reproduction des balbuzards pêcheurs en sont d’autres exemples. La réserve est trop petite pour être pleinement efficace et n’a pas été agrandie ; le Conseil de l’Europe, faute de réponse à ses recommandations de longue date, a retiré le diplôme européen de la réserve en 2021.

La sur-fréquentation est un problème général dans les régions attractives pour les touristes, ce qui est le cas en Méditerranée. Elle génère des conflits complexes entre utilisateurs, entre parties prenantes, et entre utilisateurs, parties prenantes et gestionnaires. Dans les aires protégées, ces conflits sont exacerbés par l’attractivité de paysages exceptionnels, ce qui est le cas de Scandula…

Dès 1983, le Comité d’experts du Conseil de l’Europe attirait l’attention du gestionnaire (Parc naturel régional de Corse = PNRC) sur les bateaux de promenade : « La croissance de ce type de tourisme doit être surveillée et contenue dans des limites étroites avant qu’un processus irréversible de « moi aussi » ne s’enclenche. » (Biber, 2019).

En 2010, le renouvellement du diplôme par le Conseil de l’Europe était accompagné de deux conditions et de sept recommandations, résumées comme suit (Biber, 2019).

« …La réserve, trop petite pour jouer efficacement son rôle, doit impérativement être agrandie. (ii) Des mesures devraient être prises pour réduire l’impact du mouillage sur les herbiers de Posidonia oceanica. (iii) Les activités liées au tourisme, « en particulier les activités nautiques, qui provoquent des perturbations majeures pour les espèces, notamment certaines espèces de poissons et le balbuzard pêcheur », devraient être mieux contrôlées (Biber, 2019) ; des mesures devraient être mises en place pour réguler et limiter leur flux (Zyman, 2020). « Les organisateurs de voyages en bateau qui ne le font pas (…) ne devraient pas être autorisés à pénétrer dans la partie intégrale de la réserve » (Biber, 2019). (iv) « Augmenter le budget de fonctionnement et le budget scientifique » …

Le territoire de la RNN est aujourd’hui l’un des plus connus scientifiquement de Méditerranée. De plus, la RN a constitué une sorte d’incubateur scientifique : de nombreuses découvertes majeures, désormais largement connues et exploitées, d’une grande importance pour la gestion, ont pour origine Scandula. Malheureusement, le succès de la RNN, qui a été emblématique en Méditerranée, pourrait être compromis dans un avenir proche par une fréquentation incontrôlée qui pourrait détruire les éléments mêmes qui constituent la justification de la réserve et en même temps son attrait pour les touristes…

La zone entre Calvi (au nord) et Carghjese (au sud), y compris la RNN de Scandula, appartient à un site Natura 2000 de l’Union européenne (UE) (Cannac-Padovani et Santelli, 2016). Selon Meinesz et Blanfuné (2015), les sites Natura 2000 sont des aires protégées fictives car, entre autres, ils n’ont aucune réglementation qui les différencie des aires non protégées…

En 2015, le Conseil exécutif (CE) de la Collectivité de Corse a décidé de ne pas renouveler le CS de Scandula et de le remplacer par un « super-conseil » commun à l’ensemble du PNRC. Ce super-conseil, surdimensionné et inefficace, ne s’est presque jamais réuni avant de sombrer dans l’oubli. Pourquoi le Comité Scientifique de la RNN de Scandula a-t-il été supprimé ? Les auteurs de cet article estiment que, pour les partisans du tourisme illimité, il était devenu un obstacle.

En 2019, le nouveau Conseil exécutif de Corse a décidé de recréer le Comité scientifique de la RNN de Scandula. Mais le PNRC a de facto exclu en 2020 les scientifiques indépendants des recherches sur le terrain et a préféré confier aux responsables locaux la tâche de mener ces travaux de recherche. Il est important de ne pas confondre la surveillance indispensable avec la non moins indispensable recherche scientifique appliquée à la gestion et figurant dans le plan de Gestion de la RNN de Scandula et dans la Charte du PNRC (validés par les instances régionales et nationales), qui doit bien entendu être indépendante des autorités administratives et politiques.

Le nouveau paradigme adopté était qu’il n’y a aucune preuve que la fréquentation des bateaux de plaisance et le bruit qu’ils génèrent soient à l’origine de la baisse de l’abondance des poissons emblématiques et de l’échec du balbuzard pêcheur à produire des poussins à l’envol, ce qui est en contradiction avec ce qui a été démontré par une recherche scientifique rigoureuse (Monti et al., 2018). Mais cette stratégie peut s’avérer contre-productive : les scientifiques et les organisations internationales feront-ils confiance aux nouvelles données ? Quoi qu’il en soit, début 2021 la RNN de Scandula a perdu son diplôme européen.

L’année 2005 marque peut-être le début du déclin du PNRC et de la RNN de Scandula, qui figuraient jusqu’alors parmi les exemples les plus emblématiques d’une protection et d’une gestion efficaces de l’environnement.

Dans tous les cas, l’important est (i) qu’une Aire marine protégée (AMP) dispose d’une réglementation adaptée et efficace et (ii) que cette réglementation soit strictement appliquée. C’est assez rare en Méditerranée, mais c’est le cas de la Réserve naturelle nationale de Scandula depuis sa création en 1975.

Cependant la baisse du succès reproducteur du balbuzard pêcheur dans la RNN de Scandula, due à une pression touristique excessive (Monti et al., 2018) et à l’incapacité des autorités à répondre à une menace allant à l’encontre des objectifs de la réserve, est un échec de gestion. Dès 1999, le Comité d’experts du Conseil de l’Europe mettait en garde le PNRC contre le dérangement des balbuzards pêcheurs par les bateaux de promenade et recommandait d’empêcher les bateaux de s’approcher de trop près des nids (Biber, 2019). Cette raison majeure a poussé le Conseil de l’Europe à retirer le label Espace protégé européen (Diplôme européen) de Scandula en 2021.

L’attrait que représente la réserve, sa beauté ainsi que sa richesse biologique, sont au cœur de conflits d’usage entre protection du patrimoine et fréquentation. Ces conflits sont classiques dans les espaces protégés, convoités par les opérateurs touristiques…

Globalement, les touristes sont conscients de l’existence d’une Réserve naturelle et sont d’accord avec les interdictions (Richez, 1988 ; Schohn et al., 2019). Cependant, cela ne veut pas dire grand-chose, tant que les bateaux touristiques ne respectent pas les règles…

Malgré les avertissements du Comité scientifique depuis le début des années 2000, puis ceux du Conseil de l’Europe depuis 2010, les gestionnaires (PNRC et UAC – Uffiziu di l’Ambiente di a Corsica) n’ont pas su anticiper les augmentations de la fréquentation ; en 2015, ils ont « tué le messager », c’est-à-dire aboli le Comité scientifique.

Être un haut lieu de la connaissance scientifique n’est pas seulement une question de chiffres pour le Livre Guinness des Records. Dans la plupart des régions du Monde, les connaissances scientifiques se présentent sous forme d’instantanés : un à trois ans de suivi (la durée d’une thèse de doctorat), à un moment donné, …. Un « hotspot » comme Scandula permet d’avoir, sur un même site, des données sur tous les écosystèmes, tous les compartiments écosystémiques, et de les suivre dans le temps…

Malheureusement, depuis 2015 et la suppression du Comité scientifique de Scandula, plusieurs programmes de suivi scientifique ont progressivement cessé, les missions de terrain se sont éloignées et la collaboration des responsables de la réserve avec des équipes scientifiques indépendantes a été rendue difficile pour des raisons administratives (ou prétextes ?).

L’indispensable extension de la réserve de Scandula, en projet depuis plus de 30 ans, sera-t-elle un jour réalisée ? Et si oui, sera-t-elle gérée par l’Office de l’environnement de la Corse, avec le Conseil scientifique et les élus, ou par les intérêts commerciaux ?

Certains intérêts commerciaux sont-ils prêts à tuer la poule aux œufs d’or pour des bénéfices immédiats mais de courte durée ? Un proverbe corse dit : Un manghjete micca u vitellu in corpu di a vacca (Il ne faut pas manger le veau dans le ventre de sa mère). En Méditerranée, 90 % des Aires marines protégées sont des parcs de papier, c’est-à-dire des aires protégées fictives ; en revanche, la RNN de Scandula a été un modèle exemplaire, et nous espérons qu’il continuera à l’être à l’avenir.

*A terrestrial and marine nature reserve in the NW Mediterranean, Scàndula (Corsica): Biodiversity and lessons from 46 years of management – Sci. Rep. Port-Cros Natl. Park, 35: 43-181 (2021)


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disponible en kiosque le 24 septembre.
Mais également en ligne via le site internet de l'association U Levantu.
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