• Le doyen de la presse Européenne

Ou sont passés les syndicats ?

Il serait hasardeux d'affirmer que les syndicats de salariés resteront définitivement hors-jeu.
Ou sont passés les syndicats ?

Il serait hasardeux d’affirmer que les syndicats de salariés resteront définitivement hors-jeu. Ils savent se montrer formidablement résilients et récupérateurs. Et chez nous, il y le STC.

Le 5 octobre dernier, à l’appel des organisations CGT, Force Ouvrière, Solidaires et FSU auxquelles s’étaient jointes plusieurs syndicats d’étudiants et de lycéens, a eu lieu une journée nationale de grève et de manifestations pour la revalorisation des salaires, pensions, minima sociaux et bourses d'étude, pour l’emploi, contre la réforme en suspens des retraites et contre la réforme de l'assurance-chômage entrée en vigueur quelques jours auparavant. La journée a été un fiasco.


Le pourcentage de grévistes n’a pas atteint deux chiffres. Quant aux 200 manifestations recensées, elles ont rassemblé moins de 200 000 participants (85 400 manifestants selon le ministère de l’Intérieur, 160 000 selon la CGT). Chez nous, un nombre infinitésimal de grévistes a été relevé et globalement quelques centaines de personnes ont défilé à Aiacciu et Bastia. Faut-il en conclure que les syndicats de salariés ne représentent plus rien ou du moins plus grand chose et que les revendications sociales laissent désormais la plupart des salariés, ainsi d’ailleurs que les chômeurs, les retraités et la jeunesse étudiante et lycéenne indifférents ? Certains indicateurs montrent que le syndicalisme de salariés français est structurellement faible et éprouve de grandes difficultés à faire partager, porter et imposer ses revendications.


Première faiblesse : le niveau très bas de syndicalisation. Il était à son apogée, plus de 30 % des salariés, au début des années 1950. Il a atteint son niveau le plus faible durantles années 1990. Depuis les années 2010, il reste stable à hauteur d’environ 11 %. Il est très inférieur au taux moyen de syndicalisation à l’échelle de l'Union Européenne (23%).

Deuxième faiblesse : la répartition inégale de la présence syndicale et de la syndicalisation. Celles-ci sont beaucoup plus importantes dans le secteur public (taux de syndicalisation 19,1% ) où la pérennité de l’emploi est quasiment garantie et où la protection des salariés est très forte que dans le secteur privé (taux de syndicalisation 8,4%) où les salariés sont exposés à la perte d’emploi et aux pressions des employeurs. Dans les établissements de moins de 50 salariés qui emploient près de la moitié des salariés du privé, l'absence de représentants syndicaux et de syndiqués est même prédominante.


Troisième faiblesse : l’important manque de confiance dans les organisations syndicales. Selon des enquêtes conduites ces dernières années, 46 % des salariés affirmaient n'avoir confiance en aucun des syndicats de salariés et 59 % desFrançais pensaient que des syndicalistes étaient plus ou moins corrompus.


Quatrième faiblesse : les divisions et la relative représentativité. Cinq confédérations (CFDT, CGT, CGT-FO, CFE-CGC, CFTC) alors qu’ils en existe d’autres (Unsa, FSU, Solidaires) très actives et très influentes dans plusieurs secteurs d’activité, disposent d’un droit acquis de négocier des accords collectifs et d’une présence reconnue dans de nombreuses instances locales ou nationales.

Enfin, dernière faiblesse : les divergences stratégiques. Le syndicalisme français est partagé entre une tradition de la revendication radicale et de l’affrontement, et des tendances au réformisme et même à la recherche de la cogestion, ce qui se traduit trop souvent par une absence d’unité d’action et une faible capacité des deux démarches à imposer leurs vues à l’État et au patronat. Il serait pourtant hasardeux d’affirmer que les actuels syndicats de salariés resteront définitivement hors-jeu. Les syndicats de salariés savent se montrer formidablement résilients et récupérateurs quand des conflits majeurs se développent. En effet, si elles sont rarement en mesure d’imposer à froid d’importantes luttes sociales, les confédérations excellent dans l’art de canaliser et de tirer parti des mouvements revendicatifs issus de sa base ou de la société.

Chez nous…

Ce fut le cas en 1936 et 1968 et dans un certaine mesure à l’occasion du mouvement des gilets jaunes. Il convient aussi de reconnaître que les confédérations sont encore capables d’impulser de de puissantes ripostes en cas de remise en cause de certaines droits sociaux et de contraindre les gouvernants à composer. Ainsi, à l’échelle nationale, de décembre 2019 à février 2020, un important mouvement social s’est opposé à la réforme des retraites voulue par le Président de la République Emmanuel Macron.

Le mouvement a été initié par une intersyndicale CGT, FO, FSU et Solidaires que soutenaient des organisations étudiantes et lycéennes et des sections syndicales de la CFDT et de l'Unsa, et qui a été rejointe par la CFE-CGC. Le 5 décembre 2019 un important mouvement de grève a débuté dans le secteur public et quelques grandes entreprises du secteur privé. Dans certains secteurs d’activité, il a duré plus de deux mois. Par ailleurs, dans toute la France, des manifestations ont chaque semaine rassemblé des centaines de milliers de manifestants (jusqu’à 806 000 selon le ministère de l'Intérieur et 1 500 000 selon CGT). Le Premier ministre d’alors Édouard Philippe a dû finir par annoncer le retrait provisoire de l’âge d’équilibre de départ à la retraite (dit « pivot ») que le projet de réforme portait à 64 ans et par promettre une conférence sur l'équilibre et le financement des retraites. La crise sanitaire a ensuite imposé l’ajournement de la réforme.

Chez nous, en 1989, la revendication d’une prime d'insularité pour compenser la cherté de la vie supérieure à celle dans l’Hexagone, a conduit la la CGT et Force ouvrière à initier une grève dans le secteur public qui a bloqué l’activité économique durant près de trois mois. Par ailleurs, jusqu’à plus de 10 000 personnes ont manifesté. Finalement, une indemnité de transport a été accordée à chaque fonctionnaire.

Chez nous aussi, en 1995, la CGT et Force ouvrière ont lancé un mot d'ordre de grève générale de la fonction publique pour obtenir le classement de la Corse en zone de résidence « zéro » (compensateur de vie chère). Après cinq semaines de conflit et de mise à l’arrêt de l’activité économique, les grévistes ont obtenu gain de cause. Et chez nous enfin, depuis 1984, un particularisme syndical incite fortement à la syndicalisation et contribue à la vigueur des luttes sociales : l’existence du STC. Apparu dans le cadre de la stratégie de lutte de libération nationale impulsée par le FLNC, le STC est au fil des années devenu, dans le secteur privé puis dans le secteur public, la principale force syndicale de Corse. A ce jour, il revendique plus 5000 adhérents et peut se targuer de nombreux combats victorieux.


Toutefois, ces dernière années, il est moins présent médiatiquement et semble moins percutant sur le terrain. Est-il sur le déclin ? II semble plutôt qu’il traverse une phase de transition et de repositionnement. Le STC ne dispose plus guère de l’encadrement ou l’appui directs de militants politiques.

La succession de son emblématique secrétaire national Jean Brignole est ouverte, ce qui donne lieu à une lutte d’influence entre d’une part des réformistes se voulant apolitiques ou étant disposés à ménager la majorité territoriale siméoniste aux commandes de de collectivités publiques et proches de certains cercles patronaux, et d’autre part des partisans d’une ligne continuant d’associer étroitement lutte de libération nationale aspirant à l’autodétermination du peuple corse et lutte de libération sociale. Le STC doit enfin procéder à l’intégration et la formation de nouveaux arrivants qui initialement adhèrent peu à l’ADN nationaliste de ses dirigeants ou à certains fondamentaux tels que la corsisation des emplois ou la co-officialité de la langue corse. Mà hè sempre qui !

Pierre Corsi
Partager :