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"Derrière les murs de Sainte Claire". Michèle Don Ignazi

Arte Mare : Une prison en pleine lumière
Via Stella, 22 octobre

« Derrière les murs de Sainte Claire »
C’est un très beau documentaire que nous propose Michèle Don Ignazi avec « Derrière les murs de Sainte Claire » le vendredi 22 octobre à 20 h 40, sur Via Stella. Sainte Claire, un couvent. Une caserne. Une prison. Un site admirable. La mémoire d’une époque révolue… Un avenir problématique.



Sainte Claire, en promontoire sur la mer. Sainte Claire, sentinelle de la citadelle de Bastia. Quatre siècles d’histoire. Tout commence par un couvent et des nonnes, surnommées « dames des pauvres » éducatrice de petites filles de riches appartenant à la bonne société insulaire. La Révolution convertit le couvent en caserne en 1791 et pour finir en centre de détention.

Un panorama magnifique et derrière les barreaux des prisonniers. Originalité de cet établissement pénitentiaire, outre son caractère patrimonial, être en pleine ville. Accordé aux battements de cœur de la cité.

Michèle Don Ignazi et son équipe ont braqué l’éclairage de leur documentaire sur l’ultime décennie de cette maison d’arrêt. Immense mérite du film : des témoignages d’anciens incarcérés, de matons, d’un infirmier, d’un avocat, de deux éducateurs sportifs, d’un habitant… Ils nous disent leur vécu d’alors et ce vécu est surprenant. Si enfermement il y avait à Sainte Claire, en contrepoint il y régnait une vie de famille, de village, d’entraide. Les années avec le flou qu’elles amènent, embellissent-elles le souvenir ? On est obligé de constater, tant il y a unanimité chez les témoins, que ce n’est pas le cas. Tous relèvent l’humanité, la solidarité qui y étaient en partage.

Dures les conditions matérielles, certes. Vétusté crasseuse. Hygiène aléatoire avec ballets de rongeurs et de cafards. Mais les emprisonnés avaient l’avantage de rester chez eux, dans leur ville, préservés d’une relégation mortifère loin des leurs ! Mieux encore les parloirs sauvages avec parents ou amis, depuis la rue voisine, leur permettaient d’avoir des nouvelles, des échanges. Cette proximité, en hérissait d’aucuns, d’autres s’en amusaient car elle alimentait la macagna. La prison Sainte Claire était aussi au top du top des évasions. Un vrai gruyère comptant plus de trous que de pâte à fromage.

Armand Luciani à qui on doit une remarquable exposition, « Immurtali » et un spectacle sur les monuments délaissés bastiais, déploie dans le film un fil d’Ariane. So œil d’artiste nous fait découvrir des beautés résistantes à la déshérence et à l’ingratitude de l’abandon. Des beautés dépouillées d’un esthétisme décadent ou malsain. Derrière les barreaux, dans les étroites cellules, tout au long des couloirs, dans les cours couvertes de grillages il y une nostalgie dénuée de noire mélancolie. Des constellations de graffitis interpellent ou explosent de colère ou signent des mots d’amour…

A écouter-voir certains intervenants des surprises sont au programme, qu’il serait mal séant de dévoilées !

Interrogation : quel devenir pour Sainte Claire ? Rénovation ? Résurrection ? Immolation sur l’autel de la spéculation immobilière ?



  • · Bravo à Arte Mare d’avoir projeté « Derrière les murs de Sainte Claire » en avant-première. Projections annoncées : le 19 octobre à l’Espace Diamant d’Ajaccio ; le 21 à la Cinémathèque de Porto Vecchio.
  • · Réalisation : Michèle Don Ignazi et Lionel Dumas Perini. Ecriture : M. Don Ignazi et Paul Turchi Duriani. Musique : Frédéric Antonpietri.


« Le côté village, famille de la prison Sainte Claire revient non-stop dans la bouche des témoins. »
Michèle Don Ignazi

Réaliser ce film documentaire sur l’ancienne prison Sainte Claire vous y pensiez depuis longtemps ?

J’ai travaillé pendant dix ans à RCFM et sans cesse j’entendais parler de cette prison avec ses côtés familiers et sulfureux. Les évasions à répétition m’intriguaient aussi beaucoup. Puis Sainte Claire a fermé, Borgo s’est ouvert et ça a été silence radio ! Mais dans un coin de ma tête le lieu continuait à m’intéresser.


Quel a été le déclencheur ?

En faisant des recherches dans les archives de France 3 Corse je suis tombée sur un magazine en deux parties de Pierre-Jean Luccioni tourné au sein même de l’établissement pénitentiaire. C’était un super boulot qui m’a laissé admirative. Cette trouvaille m’a conforté dans mon idée de départ. Par ailleurs j’ai découvert l’exposition, « Immurtali » d’Armand Luciani. J’ai été frappé par l’aspect esthétique de cette ancienne prison. En tout, la réalisation du documentaire a pris quatre puisqu’il a fallu s’interrompre à cause du Covid. ?


Dans ce film vous interviewez, entre autres, des gardiens, des détenus politiques et de droit commun, un infirmier ainsi qu’Armand Luciani et un habitant de la citadelle. Ont-ils tous été d’accord pour participer ?

Certains ont refusé car ils ont craint de revenir sur cette période de leur vie ! D’une manière générale j’ai tenu à les mettre à l’aise et en confiance. Je leur ai parlé de l’importance du lieu en soulignant que s’ils ne désiraient pas apparaitre à l’image, c’était OK pour moi.


Vous abordez essentiellement les dix dernières années d’existence de la prison. Parce qu’elles sont déterminantes ?

Sur l’histoire de Sainte Claire il y a tant de chose à dire… Je me suis focalisée sur la dernière décennie d’existence du centre carcéral car elle signe la fin d’une époque. Lorsque Borgo ouvre, en 1993, c’est comme si on passait de l’épicerie de quartier à l’l’hypermarché. Ça fait réfléchir, car une prison est toujours le reflet d’une société. Ce changement on le vérifie avec les propos des intervenants (détenus, gardiens…) Tous ont une certaine nostalgie de la solidarité qui était de règle à Sainte Claire et les ex-prisonniers insistent tous sur l’importance qu’il y avait pour eux de pouvoir échanger en direct avec parents et amis grâce aux parloirs sauvages ! L’enfermement n’y était pas ressenti comme ailleurs…


Sainte Claire appartient maintenant à un propriétaire privé. Avez-vous obtenu facilement son accord pour tourner dans les lieux ?

C’était une condition incontournable ! Il a accepté aisément. Il est devenu propriétaire de Sainte Claire après une vente aux enchères en 2002. L’emplacement étant formidable il désire réaliser une résidence hôtelière. Revers de la médaille les travaux à entreprendre à l’intérieur sont énormes !


Les témoins soulignent l’atmosphère familiale, villageoise qui était celle de la prison. Cette insistance vous a-t-elle impressionné ?

Le côté village, famille de Sainte Claire revient non-stop dans la bouche de intervenants. Ça roule tout seul !... Un des ex-détenus – et non des moins connus – parle d’ondes positives dégagées par le lieu. Cet attachement on le retrouve aussi chez les Bastiais.


Comment avez-vous évité le piège de l’esthétisme ?

En rendant à l’image la réalité la plus juste. Malgré décrépitude et souffrances le lieu reste beau. Les graffitis en restituent la vie. L’âme.


La musique du documentaire est très réussie. Comment avez-vous travaillé avec le compositeur, Frédéric Antonpietri (Tonton) ?

Les musiques de film sont souvent écrites à distance. Ici, ce n’est pas le cas. Frédéric a assisté à chaque étape du montage et a composé une partition originale qui correspond bien à l’état d’esprit du documentaire. Que l’on ait pu monter où on avait tourné, soit au même endroit – c’est-à-dire à Bastia - a été bénéfique. Très positif également le fait d’avoir réuni autour de ce projet une équipe de jeunes. Même si ses membres n’ont pas connu Sainte Claire comme prison, ils ont très bien su découvrir ce qu’elle a pu représenter.


Lors du tournage quelles sont les réactions des témoins qui vous ont le plus étonné ?

Je m’attendais à entendre des choses très glauques tant l’enfermement est toujours violent. Or, tous ont rappelé le choc qu’a été pour eux la catastrophe de Furiani. Tous ont évoqué l’angoisse épouvantable qui avait été la leur, angoisse accentuée de surcroît par le fait d’être sans nouvelles des leurs. Tous ont alors encore plus apprécier d’avoir des informations directement depuis la rue !... J’ai remarqué aussi combien tous étaient émus de revenir sur les lieux.


De quel avenir rêvez-vous pour Sainte Claire ?

Dans le film un interlocuteur évoque la création d’un musée. Je pense que l’endroit se prêterait bien à de l’art contemporain. L’important serait qu’il n’y ait pas destruction et que Sainte Claire garde son âme. Cet espoir trouve un écho dans la situation préservée de la citadelle et du vieux Bastia dans son ensemble ainsi que dans les aménagements récents qui mettent en valeur le site.


Avez-vous d’autres documentaires en route ?

D’abord nous voulons faire visionner « Derrière les murs de Sainte Claire » en Corse. Je réfléchis aussi à un projet sur la culture juive dans l’île.

Propos recueillis par M.A-P







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