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Arte Mare, Haut et fort !

Nabil ayouch couronné

Arte Mare, « Haut et fort »
Nabil Ayouch couronné


Prix Arte Mare, prix RCFM pour la musique, prix du jury jeune « Haut et Fort » de Nabil Ayouch est le grand vainqueur de la compétition longs-métrages du festival Arte Mare. « Gaza, mon amour » des jumeaux terribles palestiniens, Arab et Tarzan Nasser, emporte le prix du public.



Nabil Ayouch est un cinéaste exceptionnel déjà sélectionné pour les « Oscar » et en compétition officielle à Cannes cette année avec « Haut et Fort ». De père marocain, élevé à Sarcelles Nabil Ayouch n’a peur de rien. Les tabous, les pesanteurs de la société marocaine il les brise. On l’a constaté avec ses précédents longs-métrages comme « Mektoub », « Les chevaux de Dieu », « Much Loved », film interdit de projection au Maroc, film qui à travers une histoire de prostituées dénonçait la situation de relégation faite aux femmes dans leur ensemble et l’extrême pauvreté. Pareil avec « Les chevaux de Dieu » où il s’est permis de décortiquer, expliquer, montrer comment le terrorisme peut venir à des gosses poussant à hue et à dia dans la misère. Il a de la trempe. Les problèmes économiques, politiques, sociaux, culturels de son pays il s’en empare. Il les affronte.

Rap et soif de liberté

Avec « Haut et Fort » il nous conte un groupe de jeunes - filles et garçons – qui fréquente une Maison de la Culture située dans un quartier périphérique, très, très difficile, de Casablanca. C’est d’ailleurs de cette banlieue, Sidi Moumen, qu’étaient issus les terroristes dont les attentats ont ensanglanté la capitale économique marocaine il y a quelques années. A l’opposé les jeunes de « Haut et Fort » sont assoiffés de vie. Dans le hip hop et le rap ils ont trouvé les moyens d’expression de dire leur réalité quotidienne et surtout leur appétit de liberté, leur volonté de s’épanouir individuellement et collectivement. De vrais et beaux personnages remarquablement filmés dans leurs instants d’émotion et leurs moments de révolte contre un système oppressant qui obstrue leur avenir.

La bande son de « Haut et Fort » est si formidable qu’elle convertit au rap même les oreilles les plus rétives. Un exploit !... Nabil Ayouch n’est pas qu’un cinéaste replié dans sa tour d’ivoire il est très impliqué dans la société civile et dans le développement cinématographique de son pays.

A signaler que son frère Hicham Ayouch est aussi réalisateur et qu’en 2013 il a été le lauréat du grand prix du FESPACO (Festival Panafricain de Ouagadougou).

Un pied-de-nez au réel

« Gaza, mon amour » est une œuvre à quatre mains, réalisée par les frères Nasser. Une vue de la Palestine reflétant le vécu de cet invraisemblable ghetto qu’est Gaza… Plus de deux millions de Gazaouis sur un territoire équivalent à celui du Cap Corse, en comptant large ! Gaza l’embastillé. A contre-courant d’une actualité qui capte et répercute uniquement bruit et fureur guerrière les Nasser mettent en scène une romance entre sexagénaires. Un pied-de-nez tendre et touchant qui n’occulte pas la dureté qu’il y a à vivre dans ce minuscule bout du monde sous la surveillance constante du « voisin » israélien. L’art des jumeaux Nasser est de nous faire percevoir – mine de rien – un réel de peur, de dénuement qui va parfois tomber dans une effarante absurdité. Tout est pudeur dans les personnages interprétés par la superbe, Hiam Abbas et le très convaincant Salim Daw. Eux aussi doivent vaincre les conventions sociétales qui veulent que s’aimer à plus de soixante ans est impossible et ridicule. Sur leurs épaules, encore, le poids des impondérables liés à la géopolitique du Moyen Orient et des tracas induits par un ravitaillement aléatoire.

Les Nasser avaient attiré l’attention de la critique et du public, en 2015, à Cannes et à Bastia, avec leur premier long-métrage, un petit bijou ironique intitulé, « Dégradé », hommage à la Palestinienne débarrassée des clichés dont on l’affuble, un film se payant en outre le luxe de dénoncer l’emprise de mafieux.

Couleurs de Malte

Belle surprise de la 39 è édition d’Arte Mare, « Luzzu » d’Alex Camilleri, première production de Malte. Ce film d’un cinéaste à peine trentenaire, fils d’immigrés maltais à New-York, frappe par sa sincérité et sa sobriété. A mi-chemin entre fiction et documentaire l’œuvre interpelle sur les difficultés de la toute petite pêche en Méditerranée. Une activité économique reflet d’un mode de vie et d’être provenant d’une tradition millénaire. Sur son pointu aux joyeuses couleurs de jaune, de brun, de turquoise, protégé par l’œil de la bonne fortune Jesmark travaille seul à bord à la sueur de son front… Mais le poisson se fait rare… Mais pour soigner son bébé malade la tentation est forte pour le pêcheur de mettre les pouces afin de toucher la prime de cessation d’activité prévue par l’Union Européenne au profit du gros chalutage réputé plus performant ! L’azur du ciel, le bleu intense de la mer, le goût d’un métier aimé transmis par son père et ses ancêtres finissent par peser de peu en comparaison de la santé de son enfant. Alex Camilleri peint avec grâce une condition d’existence ancestrale sur laquelle va tomber le rideau ! La gravité est là, dénuée de toute lourdeur démonstrative. On a mal avec et pour Jesmark.

En attendant un prochain opus

« I Comete » de Pascal Tagnati s’est distingué par des louanges enthousiastes d’une partie des spectateurs et par de sévères jugements émanant d’une autre partie du public. Faut-il pour autant se ranger dans un camp plutôt que dans l’autre ? Principale observation : le film est trop long. Trop répétitif avec son défilé de tarés de village. Certes il y en a… mais pas que… L’absence de nuances en l’occurrence est gênante et contreproductive. Résultat de ce schématisme, l’attention se focalise sur les défauts de la réalisation et non sur ce qui pourrait être ses atouts. On retient alors la succession de plans séquences interminables habités par une vacuité loin d’esquisser une modernité. On cherche le propos et la séance consacrée à « se fleurir la marguerite » - formule imagée empruntée à ce cher Frédéric Dard dans « San Antonio » - ne relève plus de la provoc’ depuis longtemps. Plus affutés les dialogues auraient gagné à faire ressortir la contradiction entre la beauté paisible du paysage et l’inconsistance des individus filmés. A trop vouloir oser ces « Comete » s’éteignent. Dommage pour un long-métrage réalisé de A à Z en Corse. Plus court et donc plus nerveux l’efficacité aurait été au rendez-vous. On attend un prochain opus…

Auréolé de plusieurs « Goya » - les « César » espagnols – « Las Niñas » de Pilar Palomero, malgré une merveilleuse lumière et une photographie réussie a quelque peu déçu tant on a peine à adhérer aux péripéties émotionnelles de cette bande d’adolescentes se déroulant soi-disant au commencement de la décennie 90. Tellement intemporel ce tableau de l’éveil à la sexualité qu’il en devient évanescent par manque de contextualisation et par faute d’ancrage, d’où une réalisation trop lisse, trop prévisible quand bien même les jeunes comédiennes peuvent être attachantes.

La mère, le père et le « drôle » de fils

Quel début audacieux que celui de « Feathers » tourné par l’Egyptien, Omar El Zohairi. On pense être emporté par un récit surréaliste à la Buñuel. On est partant pour cette parabole où le politique se mêle au fantastique, car ce père de famille transformé en poulet par un prestidigitateur ne peut qu’incarner le peuple du Nil aux prises avec son pharaon du temps présent ! On marche, on met nos pas dans ceux de cette épouse-mère affligée de tous les maux et malheurs dans sa quête de l’époux à retrouver coûte que coûte. Le hic ? On s’égare en chemin : trop d’animaux éviscérés, trop de gadoue sanguinolente, trop de pollution asphyxiante, trop de trop… Faire des films actuellement en Egypte n’est pas simple. Omar El Zohairi a su prendre des risques. Un courage à saluer !

Le sourire, la tendresse, la délicatesse c’est ce que nous offre Nir Bergman (Israël) avec son road-movie, « Here we are », qui nous embarque sur la route d’un père (Aharon) et de son fils autiste de vingt ans (Uri). C’est bouleversant. Parfois cruel. Parfois ubuesque.

A voir absolument cette réalisation intitulée également, « My Kid ». Pourquoi cette double appellation ? On comprend vite en côtoyant Uri et Aharon.

Michèle Acquaviva-Pache

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