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L'empreinte du front dans le camp simeoniste

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L’empreinte du Front dans le camp simeoniste


Le Nationalisme corse est traditionnellement présenté comme composé d’un courant issu du FLNC et dit « radical », et d’une mouvance « modérée », héritière du mouvement autonomiste légaliste, historiquement hostile à la lutte clandestine. Le clivage n’existe de fait plus en ce qui concerne les moyens d’action – la lutte armée ayant étant abandonnée en 2014 – mais reste réel dans les objectifs politiques affichés : l’Indépendance ou l’Autodétermination pour les « Radicaux », l’Autonomie pour les autres. En revanche, les rangs du courant simeoniste sont hybrides : bien des anciens militants du Flnc se retrouvent aussi dans la mouvance « modérée » et dans sa principale formation, Femu a Corsica.


La recomposition en cours a été masquée, durant ces dernières années, par l’identité des chefs de file des deux formations longtemps les plus importantes du mouvement nationaliste. En ce qui concerne Femu a Corsica, ce mouvement est d’autant plus emblématique de l’aile « modérée » que son leader est le fils d’Edmond Simeoni, cofondateur du courant autonomiste et légaliste. Face à Gilles Simeoni, le principal dirigeant de Corsica Libera, Jean-Guy Talamoni, est pour sa part représentatif de la mouvance indépendantiste. Il a été, depuis sa jeunesse dans les Années 70, militant dans les organisations publiques successives – pour plusieurs d’entre elles dissoutes par l’Etat – qui, des Cumitati pà a salvezza di a Nazioni, à la CCN, le Muvimentu corsu pà l’Autode-terminazioni et la Cuncolta Naziunalista, ont constitué la vitrine légale du FLNC depuis sa création. Au-delà de ces deux figures de proue, la porosité, en ce qui concerne la composition de leurs mouvements, s’est ancrée depuis deux décennies. Au début des Années 80 et alors que le leadership était aux mains du courant « radical », c’est la dynamique inverse qui s’était enclenchée : des militants proches d’Edmond Simeoni, comme Marcel Lorenzoni et Dumè Bianchi, avaient rejoint les rangs clandestins après leur emprisonnement dans le cadre de l’Affaire Bastelica-Fesch, comme ils ont eux-mêmes eu l’occasion de le préciser. En sens inverse, bien des anciens membres du FLNC ont rallié les rangs modérés depuis le début des Années 2000, après les affrontements entre les diverses factions clandestines qui ont ensanglanté la décennie 90. Consacrant le statut de leadership pris de fait alors par le courant modéré, le processus de ralliement des ex-militants du « Front » à l’aile adverse s’est amplifié depuis 2014. A cette date, la fin officielle de la lutte armée a rendu de fait moins tranché le clivage entre les deux mouvances dites, dans la terminologie nationaliste de la Génération 70, « réformiste » en ce qui concernait l’aile autonomiste, et « révolutionnaire », pour le courant qui revendiquait le recours à la lutte armée afin d’obtenir le droit à l’Autodétermination, au-delà d’un statut d’autonomie jugé trop restrictif.

Lors de la récente Campagne des Territoriales, les représentants de la Majorité sortante ont été publiquement interpellés, quant à l’état actuel du Mouvement national et de ses objectifs politiques, par sept militants historiques, anciens du commando d’Aleria ou membres pionniers, voire responsables, du FLNC des premières années. Par ailleurs, un nouveau mouvement clandestin, le Flnc Maghju 21 –qui n’a pas marqué sa naissance par une action armée – a livré une analyse très critique du bilan de la Majorité sortante et de l’implosion de la liste d’union nationaliste. Peu après l’apparition de ce « nouveau Front », une initiative inédite consistant en un communiqué commun au Flnc-Union des Combattants et Flnc du 22 octobre – deux structures se manifestant sporadiquement depuis ces dernières années, sans toutefois prôner la relance de la lutte armée – a dénoncé « l’électoralisme » gangrenant à leurs yeux le Mouvement nationaliste. Le 2 septembre, un nouveau texte commun aux deux Flnc a évoqué l’éventualité d’une reprise de la lutte armée et adressé de façon précise de vives critiques à Gilles Simeoni, l’accusant d’avoir créé un nouveau clanisme.

Certains partisans du Président de l’Exécutif, agacés par les analyses médiatiques ou émanant des réseaux sociaux et se revendiquant d’héritiers du « Front », rappellent off que le leader de Femu a Corsica, Président de l’Exécutif territorial, a des soutiens importants parmi les anciens militants clandestins… Si un tel soutien peut sembler sulfureux à certains de ses nouveaux partisans et à des observateurs extérieurs à l’île, c’est de fait dans le monde nationaliste corse, considéré par beaucoup comme un gage de légitimité historique, la lutte armée restant vue comme le moyen qui a permis de fait bien des avancées politiques, dont la création d’un Service corse de l’Audiovisuel public – l’information télévisée insulaire ayant été rattachée à France 3 Marseille, avant les attentats contre ses structures – et la mise en place, via l’octroi d’un nouveau statut, de l’Assemblée de Corse, puis de la Collectivité Territoriale.


Des ralliements emblématiques

Quant à l’évocation des soutiens d’anciens du FLNC à Gilles Simeoni, elle ne constitue pas une contre-vérité. Si certains ex-clandestins gravitant dans son entourage s’avèrent peu connus du grand public, ce n’est pas le cas en revanche de deux militants historiques du Front qui sont évoqués avec le plus d’insistance comme ralliés à la mouvance du Président de l’Assemblée de Corse : il s’agit de Bernard Pantalacci et Pantaléon Alessandri, qui ont été emprisonnés et condamnés pour avoir exécuté deux des assassins de Guy Orsoni, lors de la retentissante Affaire de la prison d’Ajaccio, en 1984. Avant cet évènement, Pantaléon Alessandri avait déjà été incarcéré, en 1978, pour sa participation au FLNC. Il avait notamment été accusé d’avoir été au Liban pour rechercher une filière d’armes et acquérir une formation militaire dans un camp palestinien. Bernard Pantalacci avait pour sa part été emprisonné une première fois, en 1979, pour un attentat à Bastia.

Dans les faits, Pantaléon Alessandri, tout comme Bernard Pantalacci, ne sont pas membres de Femu a Corsica, ni liés à lui par des fonctions diverses, d’ordre politique, administratif ou associatif. Leur adhésion au courant simeoniste est postulée par certains au vu du profil de leurs proches les plus directs, dont l’affichage public pour cette mouvance serait la preuve implicite de leur soutien, selon les codes culturels insulaires, compte tenu des rapports familiaux en Corse et de la personnalité des militants concernés, qui auraient fait connaître leur propre engagement, s’il avait été différent.


Les remerciements de Gilles Simeoni

L’épouse de Bernard Pantalacci, Muriel, est militante de Femu a Corsica et était sur la liste simeoniste aux élections territoriales de 2015. Elle n’est pas élue, mais a fait partie des quelques membres de Femu a Corsica dont le soutien a été expressément rappelé par Gilles Simeoni, dans son premier discours prononcé à l’Assemblée de Corse après son élection cette année. Quant au fils de Pantaléon Alessandri, il a pour sa part occupé la fonction d’Attaché, puis de Secrétaire général du groupe de Gilles Simeoni à la CdC. Depuis 2020, il est Directeur de cabinet du Président de la CAB, la Communauté d’Agglomération de Bastia, dont la majorité est simeoniste. L’autre cas, féminin, d’une militante nationaliste historique ralliée à l’aile modérée et qui n’était pas dans la mouvance d’Edmond Simeoni dans sa jeunesse, mais proche du FLNC depuis l’époque de la CCN, au début des Années 80, c’est Christine Colonna, sœur d’Yvan. Elle a été élue en 2015 à l’Assemblée de Corse sur le contingent de Gilles Simeoni, dans le cadre de la liste d’union nationaliste. Elle n’est plus élue mais est devenue en 2019 Présidente du mouvement Femu a Corsica, lors de sa première Assemblée Générale statutaire. Son engagement ne signifie pas pour autant qu’Yvan Colonna est sur les mêmes positions qu’elle. Elle est plus âgée que son frère et a toujours eu, depuis sa jeunesse, une vie militante propre, indépendante des choix qu’il a faits. En revanche, elle a eu l’occasion de se rapprocher de Gilles Simeoni par rapport à l’incarcération de son frère, dont le leader de Femu a Corsica a été l’avocat en 2009.


Radicaux et modérés face à l’Affaire Erignac

Les proches les plus directs des deux autres militants condamnés à perpétuité pour l’assassinat du préfet Erignac, Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, ne se sont quant à eux pas ralliés ni à Femu a Corsica ni à Corsica Libera. Le fils d’Alain Ferrandi, qui avait occupé la Préfecture d’Aiacciu en février 2021 pour dénoncer la situation carcérale des membres du commando Erignac, a refusé avec ses camarades, après leur violente expulsion du Palais Lantivy, de participer à une visio-conférence, avec les élus de l’Assemblée de Corse.

Contrairement à Jean-Guy Talamoni, Gilles Simeoni a, pour sa part, assisté régulièrement, depuis 2016, aux cérémonies en hommage à Claude Erignac organisées sur les lieux de son assassinat. Le préfet Franck Robine avait même salué sa présence en 2020. Un acte symbolique inédit, d’autant plus remarqué vu l’absence systématique à ces cérémonies du leader de Corsica Libera, même s’il avait au moment de l’assassinat du préfet dénoncé cet attentat, auquel le FLNC était étranger. Son refus de participer aux cérémonies en hommage à Claude Erignac confirmait de façon emblématique la réalité du clivage opposant toujours les deux courants du Nationalisme insulaire quant aux rapports avec l’Etat. D’autres militants historiques du FLNC ont pour leur part basculé totalement dans le camp modéré. C’est le cas de Léo Battesti, qui avait été le premier membre du FLNC à revendiquer publiquement son appartenance à l’organisation clandestine. En 1978, il avait retiré sa cagoule lors d’une conférence de presse, alors qu’il était recherché à la suite d’un attentat. Son adhésion aux thèses simeonistes avait été connue de tous lorsqu’il a souhaité, en 2017, être candidat de Femu a Corsica aux élections législatives. Il avait toutefois dû y renoncer, suite aux vives critiques suscitées, à l’intérieur et à l’extérieur du mouvement, par sa candidature. En cause : ses longues années d’éloignement de tout militantisme nationaliste, y compris modéré. Dans les Années 90, il avait été militant du MPA, créé par Alain Orsoni, et qui était la vitrine légale du FLNC Canal Habituel, autodissous en 1997. Le MPA a disparu quant à lui en 1999. C’est de fait à Bastia et en Haute Corse, plus que dans le Sud de l’île, que d’anciens militants du FLNC sont présents aujourd’hui dans les rangs simeonistes. Si c’est le cas de quelques-uns qui appartenaient dans les Années 90 à la mouvance du FLNC Canal Historique, le ralliement le plus manifeste émane de membres du FLNC Canal habituel et du MPA. Leurs « frères ennemis » de l’époque sont restés davantage proches de Corsica Libera jusqu’à aujourd’hui. C’est aussi le cas, dans le Sud de l’île, d’une frange de militants de la première heure du FLNC des Années 70. Parmi eux, Saveriu Valentini, par ailleurs acteur culturel majeur du Riacquistu, qui était sur la liste de Jean-Guy Talamoni aux dernières élections territoriales.


Recomposition du courant « radical »

En dehors de Bastia, un militant qui a quant à lui été lié au Flnc Canal Historique, Paul Quastana, ancien conseiller territorial Corsica Nazioni et négociateur des Accords de Matignon avec Jean-Guy Talamoni, a intégré la liste de Core in Fronte aux dernières élections. Il siège à présent sous les couleurs de cette organisation à l’Assemblée de Corse. Paul-Félix Benedetti, chef de file de Core in Fronte, avait été tout comme ses parents membre de l’Accolta Naziunale Corsa (ANC), fondée en 1989 par Pierrot Poggioli, l’un des premiers responsables du FLNC, en rupture de ban avec cette organisation à partir de la fin des Années 80, par rapport à des divergences idéologiques concernant les luttes sociales, mais aussi par rapport à des dérives qu’il a publiquement dénoncées. Pierrot Poggioli faisait partie des sept militants signataires cette année de la lettre critique aux élus, qui a appelé à voter nationaliste mais n’a pas donné de consigne de vote quant à un mouvement en particulier. Cofondateur du FLNC, Nanou Battestini faisait partie lui aussi des signataires de la lettre. Contrairement à lui, sa fille Serena avait rejoint le mouvement de Gilles Simeoni, mais elle l’a quitté quelques mois avant les dernières Territoriales pour adhérer à Core in Fronte. Elle a d’ailleurs été élue sur la liste de cette organisation. Autre figure historique du FLNC des origines, Matteu Filidori, qui avait lu la déclaration du mouvement clandestin lors du premier procès collectif de 1979, a participé quant à lui à la Campagne de Core in Fronte.

Alors que Corsica Libera n’a plus guère de visibilité à l’Assemblée de Corse – avec une seule représentante, Josépha Giacometti, élue sur la même liste que Jean-Christophe Angelini, appartenant, lui, au courant « modéré » –c’est aujourd’hui Core in Fronte, la formation de Paul-Félix Benedetti, qui incarne dans l’hémicycle le courant « radical ». Alors qu’Angelini et les élus de son contingent n’ont pas participé au vote ayant conduit à l’élection de Nanette Maupertuis, de Femu a Corsica, à la Présidence de l’Assemblée de Corse, la représentante de Corsica Libera ne s’est pas abstenue, optant toutefois pour un vote blanc. C’est une première rupture, symbolique, avec ses colistiers, qui ouvre des interrogations quant à la suite de son parcours à la CDC. Elle souligne aussi son isolement, ainsi que l’ambiguïté de sa place et donc de celle de l’organisation de Jean-Guy Talamoni, au sein d’un « groupe » d’élus appartenant à la mouvance modérée, historiquement antinomique de son courant ! La liste d’union Avanzemu pè a Corsica, mise en place par le PNC d’Angelini et Corsica Libera, mais avec une place très marginale donnée à cette dernière formation, a de fait consacré le fléchissement de cette aile historique de la mouvance « radicale », qui a disparu en tant que groupe sur la scène institutionnelle.


Monopole simeoniste

En ce qui concerne le Mouvement de Gilles Simeoni, il n’a en revanche jamais été aussi fort à l’Assemblée de Corse, en nombre d’élus et il y truste pour la première fois les deux Présidences. En même temps, il a en face de lui une opposition nationaliste qui s’est recomposée et est plus dynamique, même si elle reste marginale dans les travées. A y regarder de près, un seul élu de cette opposition, Paul Quastana, est issu de la mouvance du FLNC, mais il n’a pas le statut éminent qu’avait à l’Assemblée, depuis 2014, Jean-Guy Talamoni, venu du même courant que lui mais qui était Président de l’institution. C’est indéniablement donc la fin d’une ère. Le nouvel acte consacre le leadership écrasant des modérés et des Simeonistes dans le camp nationaliste et dans le champ du pouvoir insulaire, près d’un demi-siècle après l’entrée fracassante, à l’Assemblée de Corse, en 1984, du premier groupe nationaliste revendiquant sa solidarité avec la lutte armée et qui commençait alors son essor face au courant modéré, entré lui en 1982 à l’Assemblée qui venait alors de naître.


Victoire nationaliste inédite

En termes de voix, la victoire des Nationalistes aux dernières Territoriales a été plus grande encore en 2021 qu’en 2015 et 2017. Près de 93 000 insulaires ont voté pour cette famille politique. C’est un record historique pour une mouvance locale, quelle qu’ait été sa couleur. En même temps, la puissance-même de cette victoire peut s’avérer problématique. Si elle ne débouche pas sur une évolution institutionnelle, cela pourrait provoquer une reprise de l’action armée, évoquée en septembre, lors de la dernière conférence de presse commune du FLNC-UC et Flnc 22 octobre. La situation deviendrait alors très compliquée à gérer pour la Majorité territoriale. Gilles Simeoni le sait bien et s’efforce de désamorcer les tensions. Un article du Monde paru le 25 octobre, faisait notamment état d’une rencontre à la mi-septembre, peu ébruitée, avec Emmanuel Macron à l’Elysée, visant à sortir du blocage institutionnel. Une seconde entrevue, cette fois-ci avec Jean Castex, s’est déroulée le 27 octobre, en vue de préparer la future venue dans l’île du Premier Ministre, avant la fin de l’année. Pour continuer à fédérer, faire bouger les lignes semble devenir peu à peu une nécessité pour le Président de l’Exécutif de Corse. Mais sa situation de monopole politique, unique dans l’histoire de l’Assemblée de Corse et dans la vie politique insulaire contemporaine, restreint de fait à présent sa faculté à se faire entendre de certains opposants, contrairement au passé. S’il est parvenu, depuis 2014, à rallier de nombreux militants de l’ancienne mouvance radicale, la nouvelle se restructure de façon plus offensive contre lui et la forme de pouvoir qu’il a mise en place. Alors que l’ombre du FLNC resurgit avec plus d’insistance que jamais, ce sont des temps incertains qui paraissent attendre le leader de l’aile modérée, même si paradoxalement, il n’a jamais été aussi puissant.



Ghjaseppu Poggioli
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