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Autonomie : rapport Mastor, la dernière carte ?

Depuis l'accession endécembre 2015 de la mouvance nationaliste aux commandes de la Collectivité Territoriale, Gilles Siméoni n'a cessé de proposer une évolution institutionnelle.....


Depuis l’accession en décembre 2015 de la mouvance nationaliste aux commandes de la Collectivité Territoriale, Gilles Simeoni n’a cessé de proposer une évolution institutionnelle au sein de la République et dans le cadre de la Constitution. Mais il risque une fois encore de se heurter à une inexpugnable muraille de jacobinisme, d’agenda électoral et de contexte défavorable.

Le rapport sur l’évolution institutionnelle de la Corse que la Collectivité de Corse avait commandé à Wanda Mastor, professeur de droit institutionnel comparé de l’Université de Toulouse, a été rendu public il y a quelques semaines. Cette commande s’inscrivait dans le droit-fil de la volonté maintes fois exprimée par Gilles Simeoni d’obtenir une « autonomie de plein droit et de plein exercice ». Les propositions d’évolution institutionnelles figurant dans le document permettront-elles d’ouvrir et tracer un chemin pouvant conduire à la réalisation de l’objectif que s’est fixé le président du Conseil exécutif ? Rien n’est moins sûr. L’intéressé risque une fois encore de se heurter à une inexpugnable muraille de jacobinisme, d’agenda électoral et de contexte défavorable. Il ne ménage pourtant pas ses efforts pour en venir à bout. Depuis l’accession en décembre 2015 de la mouvance nationaliste aux commandes de la Collectivité Territoriale, il n’a cessé de proposer une évolution institutionnelle au sein de la République et dans le cadre de la Constitution.
 Durant la dernière mandature, de concert avec l’indépendantiste Jean-Guy Talamoni alors président de l’Assemblée de Corse et initiateur de la démarche, cette offre politique a d’ailleurs été faite à partir d’un premier rapport Mastor. Dans ce document publié en janvier 2018, il était en effet proposé (en particulier à Emmanuel Macron) que l’autonomie de la Corse soit dessinée à partir de l’inscription de la Corse dans la Constitution. Il y était aussi exposé en quoi la démarche serait acceptable par les plus sourcilleux défenseurs de l’unité nationale française pour peu qu’ils veuillent bien se montrer intellectuellement et politiquement honnêtes. Rappelant que la Polynésie française dispose d’une « certaine autonomie législative » et surtout mentionnant les situations institutionnelles d’États européens (Espagne, Italie...), Wanda Mastor démontrait : que l’autonomie de la Corse ne serait pas contraire à l’article 1 de la Constitution mentionnant le caractère indivisible de la République ; qu’il était possible, dans ce cadre constitutionnel, de faire coexister le principe d’indivisibilité et différents niveaux d’autonomie (Espagne comprenant dix-sept communautés autonomes et ayant accordé une plus grande autonomie au Pays Basque, à la Catalogne, à la Galice, à l’Andalousie et à la Navarre ; Italie comptant des niveaux d’autonomie différents notamment caractérisés par la reconnaissance de régions à statut spécial et de régions à statut ordinaire). Wanda Mastor faisait ressortir que reconnaître la spécificité de la Corse dans la Constitution, permettrait à la Collectivité de Corse d’apporter enfin, et ce en toute légalité et sans risque de conflits avec l’Etat, des réponses à des problématiques aussi sensibles que la lutte contre la spéculation immobilière, que l’adaptation de la fiscalité aux besoins économiques et aux réalités sociales de la Corse, que la coofficialité de la langue corse
. Enfin Wanda Mastor soulignait qu’un statut d’autonomie accordant à la Collectivité de Corse un pouvoir législatif dans certains domaines, serait conforme aux aspirations décentralisatrices perceptibles dans les pays de l’Union Européenne.

Inscription dans la Constitution

Le deuxième rapport Mastor qui fera prochainement l’objet d’un débat à l’Assemblée de Corse relève de la logique politique du premier. Il s’inscrit dans la recherche d’un compromis institutionnel : la coexistence dans la Constitution de l’indivisibilité de la République et d’une reconnaissance de la spécificité de la Corse.
 En effet, outre un volet important portant sur l’amélioration du fonctionnement de la Collectivité de Corse,(douze propositions), il comporte un second volet dont les trois propositions, si elles étaient acceptées et mises en œuvre, fonderaient une autonomie identitaire, linguistique et juridique de la Corse au sein de la République et encadré par la Constitution.
Quelles suites concrètes pourront être données à ce rapport ? Il est raisonnable de considérer que la plupart des douze propositions du premier volet, pour peu que la majorité siméoniste à l’Assemblée de Corse sache les faire partager ou ait la volonté politique de les imposer, sont réalisables durant la mandature car elles ne sont pas susceptibles de susciter un grand intérêt, et donc une opposition, du côté de l’Élysée, de MatIgnon ou plus globalement de la classe politique continentale. Le quotidien d’un Emmanuel Macron, d’un Jean Castex ou d’un responsable politique continental qui compte ne saurait être troublé par l’éventuelle volonté de la majorité siméoniste d’améliorer et rendre plus démocratique le fonctionnement de la Collectivité de Corse (diffusion des avis du Conseil Économique, Social et Culturel de la Corse quelques jours avant une session de l’Assemblée de Corse et non le matin même, attribution systématique à un groupe d’opposition de la présidence d’une des trois commissions organiques de l’Assemblée de Corse et élection des membres de commissions à la proportionnelle au plus fort reste pour favoriser la représentation des groupes minoritaires, création de conférences citoyennes « Développement durable », renforcement de l’indépendance du Comité d’évaluation des politiques publiques, audit portant sur l’opportunité de fusionner certaines agences et offices…)
En revanche, l’Élysée, MatIgnon et la classe politique continentale seront sans doute attentifs au sort de la Chambre des Territoires s’il est proposé de la valoriser ou à la proposition qu’il puisse être dérogé à titre expérimental par la Collectivité de Corse à certaines dispositions législatives. En effet, croyant voir la tentation d’un bicaméralisme pouvant apparaître identique à celui d’un État ou la possibilité que les Corses échappent à des contraintes de la loi commune, les milieux jacobins ne manqueront probablement pas d’alerter et alarmer.
 Enfin, il est envisageable qu’Emmanuel Macron examinera avec la plus extrême prudence les trois propositions impliquant une révision de la Constitution (insertion de la notion de Peuple corse dans la Constitution ; possibilité de constitutionnaliser l’enseignement immersif de la langue corse ; inscription de la Corse dans la Constitution prévoyant trois options, soit la simple mention de la spécificité corse, soit l’ajout à cette mention d’un pouvoir d’adaptation des normes nationales, d’un pouvoir de légiférer, d’une perspective de referendum d’autodétermination).

Agenda et contexte défavorables

Le Président de la République sera d’autant plus enclin à marcher sur des œufs que le moment politique d’une révision constitutionnelle est passé.
 En effet, à moins de six mois d’un scrutin présidentiel qui le verra être candidat sur fond d’inquiétude sécuritaire et de montée en puissance des droites, il lui faut davantage essayer de convaincre de sa capacité à maintenir voire renforcer l’autorité de l’État, qu’expliquer le bien-fondé d’une évolution institutionnelle qui ne concernerait directement que 350 000 individus.
C’est évident, au vu de l’agenda électoral et des problématiques politiques dominantes, le Président de la République n’a pas intérêt à ouvrir la boîte de Pandore corse. C’est d’autant pus vrai que, dans moins d’un mois, le 12 décembre, le dernier referendum d’autodétermination aura lieu en Nouvelle Calédonie et que les indépendantistes du FLNKS appelant au boycot du scrutin, le résultat sera contesté. Ce qui risque d’occasionner des débats et des troubles qui rendra, aux yeux des responsables politiques continentaux, plus qu’inopportune l’ouverture d’une débat sur l’évolution institutionnelle de la Corse.
 Cet agenda et ce contexte politique défavorables sont regrettables car il n’est pas déraisonnable de penser que de nombreux acteurs politiques continentaux, dont le Emmanuel Macron, sont ouverts à la perspective d’une évolution institutionnelle. François Hollande, dont la voix compte encore à gauche, a déclaré alors qu’il était encore Président de la République : « De nombreux Corses appellent de leurs vœux cette révision qui consisterait à inscrire la Collectivité de Corse, au nom de son statut particulier, à l'article 72 de la Constitution {...] Je partage cette vision. A force de tordre par la loi le Statut particulier, sans aller jusqu'au bout de la démarche, le risque est celui de l'incohérence. » Celui qui n’était alors que le candidat Emmanuel Macron a affirmé le 7 avril 2017 lors d’un discours à Furiani : « Est-ce qu’il faudra aller plus loin, modifier le cadre législatif et réglementaire, réviser la Constitution pour permettre de nouvelles adaptations ? Cette question, d’ailleurs, n’est pas spécifique à la Corse, elle concerne nombre d’autres territoires de la République […] Sur ce sujet, comme sur tous les autres, je suis ouvert au dialogue. » S’exprimant quelques mois après son élection à la présidence de la République devant les députés et sénateurs réunis en Congrès (novembre 2017), Emmanuel Macron a déclaré : « Ne redoutons pas de nouer avec les territoires des accords de confiance {…] La centralisation jacobine traduit trop souvent la peur élémentaire de perdre une part de son pouvoir. Conjurons-là […] Osons conclure avec nos territoires et nos élus de vrais pactes girondins fondés sur la confiance et sur la responsabilité. » Enfin, il convient de souligner que le rapport Mastor s'inscrit dans une demande plus globale de décentralisation, voulue notamment par l’Association des Régions de France qui a programmé la publication d’un Livre Blanc sur la décentralisation d’ici à la fin de l’année et appelé les futurs candidats à l’élection présidentielle « à se positionner sur ce point ».

La Corse vit un va-tout

Gilles Simeoni, malgré les aspirations décentralisatrices qui osent se déclarer (même Jean-Luc Melenchon semble « comprendre que la France n’est plus un État unitaire»), devra donc probablement attendre l’issue des scrutins présidentiel et législatif du printemps prochain pour savoir si la carte Mastor qu’il vient de jeter sur le tapis politique, sera un atout gagnant. Il sait cependant que 2022 sera pour lui et sa majorité une année-clé. Il sera dans l’obligation d’obtenir ou arracher au moins une avancée. Un échec aurait des effets extrêmement néfastes sur son image et sa crédibilité. En effet, cet échec montrerait que le choix de la voie démocratique et des urnes, au détriment de la mobilisation de terrain, n’a pas permis d’obtenir la satisfaction d’une revendication, l’autonomie, vieille de 50 ans et que seules la violence politique et la lutte de libération nationale ont permis des avancées institutionnelles majeures. Cet échec serait d’autant plus impactant que la revendication nationaliste corse n’est plus, depuis décembre 2015, exprimée par une minorité agissante mais par une majorité votante de plus en plus importante. Enfin, Gilles Simeoni serait bien mal récompensé d’une modération et d’une volonté d’avancer l’ayant conduit à ne pas rejeter d’emblée que l’inscription de la Corse dans la Constitution puisse éventuellement se faire non pas sur la base d’une reconnaissance du Peuple Corse et de droits historiques et politiques, mais sur la prise en compte de l’insularité. Une option du rapport Mastor concernant l’inscription de la Corse dans la Constitution indique en effet que : « La Corse est une collectivité à statut particulier au sens du premier alinéa de l’article 72. Les lois et règlements peuvent comporter des règles adaptées aux spécificités liées à son insularité ainsi qu’à ses caractéristiques géographiques, économiques ou sociales. » Près d’un demi-siècle après A Chjama di u Castellare et la publication d’Autonomia par l’ARC (Azzione per a Rinascita di a Corsica) qui ont lancé la revendication autonomiste, Gilles Simeoni, et plus globalement la Corse, sont en train de vivre un va-tout. Si la carte Mastor jetée sur le tapis politique est rejetée par Paris et s’avère donc perdante, la Corse sera durablement sans protection face à la décorsisation et à la spoliation. Et le contexte sera à nouveau propice à un retour, en force ou ou larvé, de la violence politique


Les trois propositions d’évolution institutionnelle

  • Insertion de la notion de Peuple corse dans la Constitution.
  • Réviser la Constitution pour y insérer la possibilité de l’enseignement immersif des langues régionales.
  • Insérer la Corse dans la Constitution avec trois options.
  •  A minima : pouvoir d’adaptation des normes nationales dans l’article 72–5.
  • Médiane : autonomie législative dans l’article 74–2.
  • A maxima : autonomie législative avec perspective d’un référendum d’autodétermination au nouveau titre XIII bis.




Pierre Corsi




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