(«— Pourquoi ris‑tu, sycophante? — Mais je ne ris pas. — Alors tu es terrible!» — Victor Hugo)
Il revient, ce qu’on croyait mort, enfoui sous les ruines de deux guerres mondiales et des camps : l’antisémitisme ordinaire.
(«— Pourquoi ris‑tu, sycophante? — Mais je ne ris pas. — Alors tu es terrible!» — Victor Hugo)
Il revient, ce qu’on croyait mort, enfoui sous les ruines de deux guerres mondiales et des camps : l’antisémitisme ordinaire.
Pas la grande fureur idéologique des temps noirs, mais cette petite haine rampante, cette suintante rancune de trottoir, faite de grimaces, de slogans mal mâchés et de ricanements médiocres.
On croyait qu’un siècle de civilisation, d’éducation, de livres, de musique, d’art, avait vacciné nos sociétés contre cette vulgarité primaire. On croyait qu’après Dreyfus, après Auschwitz, après les serments de “plus jamais ça”, il ne resterait que quelques spectres honteux, quelques ombres se cachant pour vomir leur bile.
Et pourtant, il suffit d’écouter : le hurleur debout sévir, exhiber sa rage comme un étendard, appeler à la meute, gesticuler, éructer, convaincre les faibles d’esprit qu’il porte une vérité.
Mais ce n’est pas un penseur : c’est un belluaire déboussolé, haranguant des assassins de bazar dans la cour des miracles, les choisissant parmi les plus laids et les plus bêtes, rescapés ahuris de la Planète des singes en quête du “grand penser” des bêtes dressées sur leurs deux pattes arrières par le Dr Moreau.
Cette engeance a perdu toute mesure, mais elle se croit courageuse, presque héroïque, parce qu’elle ose aboyer ce que d’autres murmurent.
On se drape dans la politique internationale, dans un conflit lointain, dans une querelle d’États, comme si cela blanchissait la haine.
On prétend parler de géopolitique, mais le doigt accuse un peuple tout entier, réduit à une caricature commode.
Cette vieille ficelle est usée : habiller la bassesse d’un drapeau ne la rend pas moins ignoble.
L’insulte, même déguisée en “critique légitime”, reste une insulte.
Elle n’éclaire rien ; elle abaisse celui qui la prononce, le réduit à ce qu’il est : un grognement qui se croit une phrase.
Le plus inquiétant n’est pas la haine bruyante : elle se repère, elle se dénonce, elle se combat.
Le plus inquiétant est la banalisation, ce glissement où la société ne sursaute plus, où le ricanement passe pour un trait d’esprit, où le préjugé devient “opinion”.
C’est la vraie victoire de l’ordinaire : transformer la violence symbolique en routine.
C’est cela, l’effondrement : un monde où l’insulte n’étonne plus, où l’on détourne la tête comme si c’était une pluie un peu sale, un crachat de la météo sociale.
Un homme civilisé – lecteur de poètes, amateur de musique, familier des bibliothèques et des musées – ne peut pas discuter avec cette abjection maquillée en discours.
Il n’y a rien à débattre avec un hurlement : on ne dialogue pas avec un aboiement.
La seule attitude digne est le mépris. Pas un mépris froid d’expert, pas une distance polie : un mépris franc, ouvert, assumé, celui qu’on réserve aux comportements qui déshonorent la parole humaine.
Parce que cet antisémitisme ordinaire n’est pas une “opinion différente” : c’est une défaite morale, un effondrement de la pensée, un retour à l’animalité la plus plate.
Nous avons appris, nous autres Européens, au prix du sang et de la honte, que toute idéologie qui désigne un homme à la haine en raison de sa naissance conduit aux camps, aux ghettos, à la déshumanisation.
Oublier cela, c’est renoncer à être civilisé.
Ceux qui croient encore que ces discours ont leur place dans la vie publique ne sont pas des contestataires : ce sont des régressifs.
Ils ne portent pas un projet ; ils portent une odeur, celle de l’humiliation et de la violence gratuite.
Et face à cela, il faut, encore et toujours, nommer la honte et rappeler la lumière : celle des poètes, de la musique, des sciences, tout ce qui fait que l’homme se tient debout autrement que la truie verticale dressée sur ses pattes arrières, “les pattes de devant jouant les bras d’homme”, comme l’écrivait si joliment Léon Daudet.
Jean‑Paravisin Marchi d’Ambiegna