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Paul Marcaggi : << Démystifier la médecine légale >>

Médecin légiste pendant deux décennies à Ajaccio, paulmarcaggoi évoque son métier à travers son parcours dans un livre intitulé " Docteur lamort "

Paul Marcaggi : « Démystifier la médecine légale »


Médecin légiste pendant deux décennies à Ajaccio, Paul Marcaggi évoque son métier à travers son parcours dans un livre intitulé « Docteur la mort » (Ed. Robert Laffont). De la guerre fratricide entre nationalistes à l’assassinat du préfet Erignac, le quinquagénaire aura vu défiler plus de 500 corps sur sa table d’autopsie.


Comment est né ce livre ?
C’est surtout le fruit du hasard. Pendant le Covid, je bossais à Paris. Un soir, lors d’un dîner chez des amis, il y avait une personne qui était connectée au monde de l’édition. On a un peu discuté et j’ai raconté mon métier. Elle était très enthousiaste et a voulu me présenter à une directrice littéraire que j’ai ensuite rencontrée. Ça s’est très bien passé. On a donc commencé comme ça. Auparavant, on m’avait déjà proposé de faire un livre mais je n’avais pas forcément envie. Là, ça s’est passé dans un contexte différent et de manière très détendue.


Vous l’avez écrit avec le journaliste Denis Demonpion. Quelle a été votre méthode ?
Denis a bosssé pour de grands journaux et a écrit plusieurs bouquins. Ça a bien fonctionné entre nous. On a travaillé ensemble à Paris et à Ajaccio. On a sélectionné des événements et on a structuré le livre comme ça. Le but n’était pas de faire « ma vie, mon œuvre ». On a opté pour des rubriques afin d’expliquer comment on travaille dans la médecine légale. L’idée était aussi d’être pédagogue et de démystifier ce monde-là.


Quels sont premiers retours ?
Que ce soit sur le plan humain ou technique, je n’ai pour l’instant pas de retours négatifs. J’ai été surpris par certaines personnes, totalement néophytes dans ce domaine, qui ont lu le bouquin et l’ont apprécié. Elles ont été étonnées par ce qu’elles ont lu. Ensuite, il y a le retour des professionnels comme les gendarmes et les policiers de tous niveaux qui ont trouvé ça intéressant. Notamment sur le plan technique où ils n’étaient pas au courant de tout. Pour l’instant, je suis donc assez satisfait.


Au cours de vos 18 ans en tant que légiste à Ajaccio, vous avez pratiqué plus de 500 autopsies. Dans « Docteur la mort », vous donnez beaucoup de détails comme si elles vous avaient toutes marqué. Est-ce le cas ?
On a travaillé essentiellement sur des éléments présents dans ma mémoire. En parallèle, j’ai fait quelques recherches dans mes dossiers et aux archives. Quasiment tout ce qu’il y a dans le livre, je m’en rappelais parfaitement. À part quelques détails particuliers, je n’ai pas eu besoin de relire les dossiers entièrement. Néanmoins, mes recherches m’ont permis de retrouver des affaires bien plus sordides ou lourdes que j’avais totalement oubliées. Le but n’était pas de faire un déballage ignoble et gore. Grâce à Denis, qui est très fin, on a pu faire ressortir mon sens de l’humour qui m’a permis de mettre un peu de distance face à tout ça.


Vous évoquez des événements qui ont marqué la société corse, notamment la guerre fratricide entre nationalistes dans les années 1990. Vous avez alors une trentaine d’années et vous pratiquez parfois plusieurs autopsies dans la même journée. Comment avez-vous géré cette période tragique ?
Grâce à l’esprit d’équipe qu’il y avait. À ce moment-là, on avait créé des liens avec les différents intervenants. Sans travestir l’impartialité des uns et des autres et sans modifier quoi que ce soit du travail de chacun, on avait réussi à faire un véritable travail d’équipe pendant de nombreuses années. Les gens se respectaient et avaient l’habitude de travailler ensemble. Ça se passait de façon harmonieuse. On pouvait discuter librement aussi bien avec les enquêteurs qu’avec le parquet de l’époque. C’était le cas avec le procureur de la République Jacques Dallest et les gens de son équipe ou encore avec le juge d’instruction Patrice Cambérou. On échangeait de façon très simple et très directe. S’il n’y avait pas eu ça, on n’aurait pas pu gérer cette période de carnage de cette façon-là.


En Corse, dans une société de proximité, il vous est arrivé de connaître les gens que vous aviez sur votre table en inox. Comment réagit-on dans ce cas-là ?
Il y a une proximité qu’il n’y a pas ailleurs, mais ce n’est pas pour ça qu’on fait du mauvais travail. On ne peut pas travestir les choses pour une quelconque raison amicale ou une pression désagréable. On ne peut pas dire que le projectile est rentré par devant alors qu’il est rentré par derrière. Quant à l’affect, il y en a au moment des faits et a posteriori, notamment quand on voit les proches des victimes sur la scène de crime. Il faut essayer de s’en détacher et de rester professionnel. Je n’ai jamais oublié que j’étais à l’origine un médecin. Dans le contexte médical, il y a des éléments techniques et la prise en charge du patient. J’ai toujours essayé de respecter cela, quitte à parfois m’accrocher avec certains. Je pense n’avoir jamais dérogé à ce niveau-là.


Une fois, dans un village, vous avez dû autopsier à domicile les corps d’un père et d’un fils qui s’étaient entretués à coups de couteau. Une situation particulière où il a fallu s’adapter ?
Ce jour-là, on a pu s’adapter car il y avait une équipe structurée et des gens qui bossaient ensemble en bonne intelligence. Jacques Dallest était sur place et ne voulait pas que ça se passe comme ça. Je lui ai alors dit que je n’étais pas d’accord. On a discuté, il a écouté ce que j’avais à dire et ça s’est très bien passé alors que le contexte était lourd et tendu. Il y avait une relation de confiance entre tous les acteurs judiciaires présents, et on a su l’instaurer avec la famille des victimes, leur médecin et les gens du village.


Dans votre récit, vous revenez également sur l’assassinat du préfet Erignac, que vous avez autopsié, et sur le procès d’Yvan Colonna, en 2007. Selon votre expertise, vous aviez indiqué à la barre que le tireur était plus grand. On vous avait alors suspecté de vouloir disculper le berger de Cargèse. Dans la foulée, vous avez été soupçonné de fraude à l’assurance maladie avant d’être définitivement blanchi en septembre 2014. Pour vous, il y aurait un lien entre ces deux événements ?
Oui. Le but était de me décrédibiliser et de décrédibiliser ma parole. J’ai été mis en examen pour association de malfaiteurs en bande organisée. On a voulu me faire passer pour un voyou. On m’a mis en garde à vue, on est venu perquisitionner à mon bureau. La mise en examen était une commande.


Ces affaires ont donc contribué au fait que vous rendiez votre scalpel en 2008 ?
Disons que ça a accéléré un peu les choses. L’ambiance avait changé : le travail en équipe, la possibilité de discuter et la liberté de parole avaient disparu. Il est difficile de travailler s’il n’y a plus cette confiance.


Dans le livre, vous écrivez que « la médecine légale est le parent pauvre de l’hôpital et que les hottes aspirantes de la morgue d’Ajaccio n’ont jamais fonctionné ». Le manque de moyens a également joué dans votre démission ?
Quand on fait l’autopsie d’un putréfié au mois de juillet où il fait 38 degrés dehors, on voit ce que ça peut faire... Notre métier se trouve à la fin de la chaîne hospitalière et n’est pas la priorité. À la fin, on amenait nous-mêmes les bocaux, le formol et les sacs car il n’y en avait pas. Après, quand on voit ça au quotidien, on se dit « ça suffit ! »


Aujourd’hui, vous êtes, entre autres, médecin généraliste, urgentiste et expert judiciaire. Le métier de légiste et les coups de téléphone en pleine nuit ne vous manquent pas trop ?
Pas du tout. J’ai fait 18 ans dans le métier de mon plein gré et je suis parti de mon plein gré. Je n’ai aucun regret. De façon très humble, je pense avoir une très grande expérience de cette matière. Après, il y a aussi l’usure et la répétition des choses. Beaucoup de gens insistent pour rester dans leurs fonctions pour X raisons. En ce qui me concerne, à un moment, il faut savoir tirer sa révérence. Mais je vous rassure, je reçois toujours des coups de fil tard dans la nuit. De ce côté-là, je n’ai pas perdu le rythme de vie, bien au contraire…

Interview réalisée par A.S


« Docteur la mort », Paul Marcaggi avec Denis Demis Demonpion, éd robert Laffont, 198 pages, 18 euros.
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