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Indemnisation de la Corsica Ferries : la CDC prise à la gorge

La CDC est désormais sous la menace d'un mandatement d'office et d'une mise sous tutelle.
Indemnisation de la Corsica Ferries : la CDC prise à la gorge


La CDC est désormais sous la menace d’un mandatement d’office et d’une mise sous tutelle. La confiance en la CDC et le développement économique de la Corse sont fragilisés car les prêteurs n’aiment guère les mauvais payeurs et les investisseurs ne sont pas enclins à s’installer sur un territoire dont les institutions locales paraissent peu fiables et d’une naturel belliqueux.

Dans le cadre de la délégation de service public maritime de continuité territoriale 2007-2013 (DSP), en compensation des coûts d’exploitation du service complémentaire effectué durant les périodes de pointe, la Collectivité Territoriale de Corse (CTC) verse des subventions à la SNCM. Considérant que cela est illégal et fausse la concurrence, et a pour effet de porter préjudice à la fréquentation de ses lignes ainsi qu’à la rentabilité de leur exploitation, la Corsica Ferries dépose plainte.
En février 2017, le tribunal administratif de Bastia condamne la CTC à verser 84,3 millions d’euros à la Corsica Ferries. En février 2018, la cour administrative d'appel de Marseille confirme la compagnie doit être indemnisée. Toutefois, prenant en compte que l’exécution de la condamnation ordonnée par le tribunal administratif de Bastia conduira la CTC entre-temps devenue CDC « à annuler ou reporter certains projets d'investissement ou augmenter leur financement par l'emprunt », elle ordonne la suspension du versement de l’indemnisation et demande que le montant du préjudice subi par la Corsica Ferries soit évalué et fixé à la lumière d’une expertise économique et comptable.
En février de cette année 2021, la cour administrative d'appel de Marseille confirme la condamnation de la CDC et fixe le montant de l’indemnisation à 86,3 millions d’euros. Le 26 septembre dernier, le Conseil d’État va dans le sens des magistrats de Marseille. Le président du Conseil Exécutif annonce alors qu’il demandera à l’Assemblée de Corse de ne pas inscrire la dépense au budget supplémentaire de la CDC et qu’il a déposé une plainte auprès de la Commission Européenne visant à faire reconnaître que l’État, qui a tout fait pour que la DSP soit attribuée à la SNCM et de ce fait n’a pas exercé le contrôle de légalité, est responsable du préjudice subi par la Corsica Ferries et doit en assumer les conséquences financières.

Le 18 novembre dernier, malgré la menace du Préfet de Corse de mandater d’office le montant de l’indemnisation due à la Corsica Ferries et le risque que la CTC soit mise sous tutelle pour adoption d’un document budgétaire insincère, et ce à une forte majorité (votes des conseillers de la majorité siméoniste et Core in Fronte), l’Assemblée de Corse n’inscrit pas la dépense.


Manque d’anticipation et attentisme


Si l’on s’en tient à une optique juridique, il ressort trois évidences.
Premièrement, la Corsica Ferries a logiquement défendu les intérêts de ses actionnaires et accessoirement ceux de ses salariés.
Deuxièmement, ayant été définitivement condamnée, la CDC devra payer.
Troisièmement, rien ne peut être reproché à Gilles Simeoni.

Le président du Conseil Exécutif n’a pas attribué la DSP 2007-2013, a fait défendre en justice les intérêts de la Corse et peut légitimement estimer que l’État, qui s’est montré à la fois pressant et complaisant, devrait en assumer les conséquences. En revanche, si l’on se réfère à une optique gestionnaire, Gilles Simeoni, tout comme d’ailleurs les majorités territoriales nationalistes de décembre 2015 et décembre 2017, n’est pas irréprochable.
Dans la gestion de la crise, il n’a pas anticipé !
Entre 2017 et 2021, bien qu’ayant connaissance du risque que la CDC soit définitivement condamnée à verser plus de 80 millions d’euros d’indemnisation, il n’a fait provisionner qu’un peu plus de 20 millions. Ne pas avoir anticipé peut d’autant plus lui être reproché qu’il aurait pu user d’une ressource fournie par l’État : l’enveloppe de continuité territoriale.
En effet, ces dernière années, le financement de l’enveloppe (187 millions d’euros/ an) n’ayant pas varié et les prélèvements affectés au service public ayant diminué, l’Office des Transports de la Corse a bénéficié d’un excédent de plus 130 millions d’euros dont une grande partie a été reversée à la CDC. Il y avait donc matière à constituer une provision substantielle sans solliciter le budget général de la CDC. Par ailleurs, on peut se demander pourquoi Gilles Simeoni a attendu que la CDC soit prise à la gorge pour mettre en cause la responsabilité aussi écrasante que visible de l’Etat.
En effet, quand la Corsica Ferries est allée en justice, il était connu : d’un part, que l’État avait fait pression sur les élus territoriaux, plus particulièrement Ange Santini puis Paul Giacobbi, pour que, dans le cadre de l’attribution de la DSP maritime, soient versées à la SNCM des subventions en compensation des coûts d’exploitation du service complémentaire ; d’autre part, qu’il existait une forte probabilité que ces versements soient illégaux.


Négociation puis confrontation


Au niveau politique, le président du Conseil Exécutif est apparu embarrassé et court le risque de se retrouver acculé.
Dans un premier temps, Gilles Simeoni a opté pour la recherche d’une solution négociée. Il a discrètement rencontré le Premier ministre pour tenter d’obtenir que l’Etat prenne en charge la majeure partie de la somme due par la CTC. Dans le même temps, appuyant ainsi sa démarche, les députés Femu a Corsica Michel Castellani et Jean-Felix Acquaviva ont, à l’Assemblée Nationale, déposé un amendement demandant que cette somme soit inscrite dans la Loi de Finances. Les deux démarches ont rencontré des fins de non-recevoir polies. L’Etat a refusé de participer au paiement mais ouvert la porte à un étalement dans le temps du versement par la CDC de la somme due à la Corsica Ferries (ayant atteint 94,2 millions d’euros, augmentant de 14 000 euros / jour).
N’ayant pas obtenu satisfaction, Gilles Simeoni a alors ouvert une crise politique en déclarant qu’il proposerait de ne pas inscrire la dépense au budget supplémentaire de la CDC. Cette démarche lui a certes valu l’approbation d’une grande partie de l’opinion et a été approuvée à une forte majorité à l’Assemblée de Corse. Mais elle ne met à abri de rien et ouvre sur tous les dangers. Corsica Ferries a fait savoir qu’étant forte d’une décision de justice en sa faveur, elle ne renoncera rien.
La CDC est désormais sous la menace d’un mandatement d’office et aussi d’une mise sous tutelle. La confiance en la CDC et le développement économique de la Corse sont fragilisés car les prêteurs n’aiment guère les mauvais payeurs et les investisseurs ne sont pas enclins à s’installer sur un territoire dont les institutions locales paraissent peu fiables et d’une naturel belliqueux.
La Commission Européenne a désormais un prétexte rêvé pour se montrer encore plus intraitable dans son appréciation du respect de la concurrence par les DSP maritime et aérienne. La confrontation avec l’Etat donne du grain à moudre aux nationalistes les plus intransigeants qui, depuis des mois, ne manquent pas une occasion de pointer du doigt et dénoncer le reniement des fondamentaux du combat nationaliste et l’impuissance face à l’Etat qu’ils estiment lire dans la politique de la majorité siméoniste.

Enfin, L’opinion toujours versatile et dont une bonne partie a voté Gilles Simeoni parce qu’il représentait pour elle l’apaisement, risque de se lasser ou s’irriter s’il persiste dans la confrontation avec l’Etat.


Pierre Corsi



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