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La tentation clanique

La majorité nationaliste a enfilé les charentaises usées du clanisme.

La tentation clanique


Les déboires de la majorité nationaliste tiennent à un facteur essentiel : plutôt que de chercher à comprendre les liens de vassalité entre l’état et les partis traditionnels, elle a enfilé les charentaises usées du clanisme. Il n’y a qu’à lire les remarques faites de tous côtés par la Cour régionale des comptes sur sa gestion dans tous les domaines pour s’en convaincre : les embauches de personnel ont continué de façon pléthorique au lieu d’être rationalisées, les amis ont souvent été préférés à d’autres concurrents. Les dépenses superfétatoires destinées à plaire à la clientèle ont été aussi nombreuses que dans le passé tandis que les dossiers fondamentaux n’avançaient pas. Or les anciennes structures ne correspondent plus à la réalité née de la mondialisation. Et en ce sens la Corse est très française. Elle a reproduit à l’identique les erreurs de Paris, mais à l’échelle locale : hypercentralisation, bureaucratie étouffante et stagnation des dossiers.



Une petite France entourée d’eau



La Corse semble avoir possédé tout au long de son histoire un tropisme français. Je ne parle évidemment d’affectivité, mais de polarité historique. La Sardaigne, de par sa dimension (trois fois la Corse) et sa configuration géologique, a pu donner naissance à une accumulation de richesses agricoles et à l’émergence d’une aristocratie locale qui s’est imposée au fil des siècles. La Corse, à l’inverse, a conservé un système agropastoral de faible intensité puis, à partir du XVIIe siècle, a subi la colonisation génoise qui a créé, pour des raisons de rentabilité économique, une vive confrontation des itinérants, les bergers et des sédentaires, les agriculteurs. La puissance des grandes familles tenait au nombre d’hommes prêts à les suivre dans leurs aventures guerrières, mais aussi et surtout aux alliances qu’elles étaient capables de passer avec la puissance tutélaire du moment. C’est ainsi que le royaume de France, soucieux de posséder un port au cœur de la Méditerranée a favorisé à partir de Renaissance un parti français, existence qui a provoqué mécaniquement l’émergence de partis opposés, mais liés à des puissances ennemies du royaume de France. Le jeu de ce qu’on a qualifié de clanique (une désignation écossaise qui ne date que de la fin du XIXe siècle) a toujours consisté à se créer un territoire en s’appuyant sur des forces extérieures. La conquête de la Corse par la France a été à la fois cohérente avec la politique extérieure française alors en pleine déshérence face au Royaume uni (perte du Canada, de Pondichéry, écrasement maritime, etc.). Il s’agissait de posséder un port relais à quelques encablures de la riviera génoise, du Piémont face au rocher Gibraltar, britannique depuis 1704.


Une île à la recherche d’un roi



Dans une île où la richesse matérielle était bien moindre que dans les royaumes voisins, seul le titre aristocratique détenait une véritable valeur psychologique. Or les grandes familles corses se réclamaient toutes du mythique Ugo Colonna qui aurait chassé les Maures de l’île au IXe siècle et de la descendance des Cirnachesi. Le problème est que la plupart d’entre elles ne possédaient pas grand-chose et que les titres nobiliaires n’avaient de valeur que s’ils étaient reconnus par les puissances environnantes. L’une des obsessions des notables Corses fut la quête aristocratique. L’un des principaux griefs de ces derniers à l’endroit de Gênes était le refus de la cité ligure d’octroyer des titres de noblesse aux Corses résidents de l’île. Charles Buonaparte n’eut de cesse de trouver son titre en Toscane que sa famille aurait quitté au XVe siècle. Même Pasquale Paoli fit ajouter à son nom un « de » pour démontrer une supposée extraction aristocratique. Les patriciens corses les plus en vue appartenaient à un Conseil appelé les Nobles douze. Dans les années 1730, ils firent appel sur le conseil des Corses de Livourne au baron Théodore de Neuhoff aussitôt décrété roi. Les mémoires de son chambellan, Sebastiano Costa, témoignent de la rage de ses partisans à rechercher titre et médailles. Et lorsque Paoli quitta la Corse pour la Grande-Bretagne, nombre de ses anciens partisans rallièrent la France contre des titres nobiliaires plus ou moins prestigieux.


L’histoire souvent bégaie


Le système clanique a pour racines cette tradition. Et force est de constater que parmi les nationalistes la tradition perdure : on aime les fonctions prestigieuses, les titres parfois illégitimes. On adore la forme plus que le fond. Bref on caresse l’ancien système dans le sens du poil et on peine à aider le nouveau à émerger. On imite le jacobinisme français tout en le condamnant et on finit par adopter cette lourdeur bureaucratique qui tue toute innovation. C’est parfois à se demander si la Corse est française ou peut-être la France très corse.


GXC
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