• Le doyen de la presse Européenne

On the road again

La French....
On the road again

Des trottoirs de Marseille, aux montagnes d'Afghanistan, dans les pas de son maitre, Joseph Kessel, il a tracé sa route à l'adrénaline. Le carburant de sa vie. Pulitzer et Albert Londres en poche, en infatigable pèlerin de l'info, sa plume a défié les puissants et donné la parole à ceux que l'on oublie sur le bord du chemin.


À 88 ans, il écrit un scenario pour le cinéma, bosse sur deux documentaires pour la télé, écrit pour la presse papier tout en travaillant sur son prochain bouquin. Dans son antre, la lumière du soleil n'est pas invitée. Le diable y mixe du jazz, distille du rhum, répond au téléphone à une de ses ex-femmes, avant de repartir à Cuba, pour se remarier avec une beauté de Santiago dont il a récemment divorcé. Il faut le suivre François. L'enquêteur de la french, le reporter de guerre, est avant tout un mec bien. Celui qui recueillit chez lui Gunnar Anderson, l'idole de toute une ville, qui avait sombré dans l'alcool et la misère. Il en a beaucoup voulu à Marseille et aux Marseillais d'avoir tourné le dos à une étoile qui les avait fait briller. Bon, le soleil va enfin se coucher sur le Var, seul le bitume sait que la nuit, tous les chats sont gris.


- Bon François, aujourd'hui il y a prescription, peux-tu dire ce qui s'est dit sur Pasqua ce matin du 20 Mars 86, entre les yankees et toi ?
- Hello Paul… - Pasqua ? Tu veux dire l’Americano.
-Je vois que tu as de bonnes archives, François…
- En direct de Bendor, my dear… Bendor, c’est la banlieue de Washington…
- Arrête le pastis, François…C’est pas bon pour les artères…
- Que veux-tu, Paul, A force de descendre du Ricard, pour remercier le bistrotier de Bandol, il a inventé l’Americano. Un bon tuyau pour l’export aux US.
- Alors, Chirac…
- Rien de nouveau. Il a seulement changé de patron. Ricard contre Chirac. Même business. Mêmes collaborateurs, les amis du SAC.
- À part ça ?
- Le Pasqua a des relations…Il sait y faire quand on l’emmerde.
- Qui l’emmerde ?
- Les journalistes trop curieux.
- Alors ?
- Il grogne. Il menace. « Je vais terroriser les acharnés de la pointe Bic. Ils n’auront plus d’encre pour inventer des conneries sur moi.
- C’est tout ?
- Garde un œil sur le nouveau qui monte…
- Qui ?
- Il s’appelle Seguin. Tu ne peux pas le louper. Il pèse lourd.
- Lourd ? Combien ?
- Moi, je le vois bien grimper au perchoir de l’assemblée nationale. Il faudra pas le pousser. Malgré son quintal, il a de l’agilité pour grimper à la tribune.
- See you, François…
- Tchao, Paul.


La Corse ? Je ne connais pas. Bien que j’aie entamé ma carrière dans la première ville corse du monde à Marseille. Reporters au Provençal, très peu d’entre nous avaient la possibilité d’obtenir « le visa corse ». En dehors de vacances à Bonifacio, Calvi ou sur les belles plages de la côte orientale. Car traiter de l’information en Corse exigeait d’en avoir le code. Un journaliste pinzutu n’est qu’un lapin dans les phares d’un 4/4. Ébloui dans le meilleur des cas, victime du saturnisme au 11.43 dans le pire pour curiosité inappropriée. Pas question d’en savoir plus sur les échanges commerciaux entre figatelli de Corte et cocaïne de Colombie sans connaître les courtiers assermentés de l’honorable société. Son nom inscrit au registre du commerce insulaire est Omerta.

Après plusieurs années d’expériences nourries d’aventures plus ou moins agréables, je me suis senti apte à affronter les incertitudes du monde insulaire napoléonien-paolinesque.

Invité par exemple en 1980 malgré mes réticences au Club Med de Kaboul où les pom-pom girls avaient troqué leurs bâtons étoilés contre des matraques à clous, je suis parfaitement rôdé aux imprévus fussent-ils très désagréables. Ma profession a fait sienne depuis toujours le crédo de Winston Churchill : plutôt du sang et des larmes qu’une boîte de chocolat Léonidas. Que serait ce métier de Rouletabille s’il n’y avait pas pour véritable salaire, ce trésor d’adrénaline, plus séduisant qu’une feuille de paie pour smicard des gazettes. J’embarquais donc avec optimisme sur le Napoléon Bonaparte pour un séjour de déconnage horaire vanté par quelques amis bien introduits dans l’univers insulaire. Ma conscience journalistique, certifiée par le numéro ancestral de ma carte professionnelle 19269, m’oblige à reconnaître à mon grand désarroi que je ne suis jamais parvenu à décoder le secret jalousement préservé du Variant Corse.

Des spécialistes confirmés de la recherche dans les plus grands laboratoires du monde des bacilles et autres miasmes du mystère corse ne m’ont guère laissé espérer la découverte d’un vaccin attendu par les pinzuti de la planète.

À moins que la Chine… Sait-on jamais… Malgré l’inefficacité du QRCODE du vaccin corse destiné à lutter contre le variant insulaire, je tiens à faire connaître les approches subtiles et généreuses de cette île que ma mémoire conserve précieusement dans mon curriculum vitae.

Je vous parlerai d’un bistrot que les moins de cinquante ans ne peuvent pas connaître. Ce lieu de convivialité, de bonne humeur parfumée au basilic de la soupe au pistou, importé de Corse s’appelle Le Peano. Ses maîtres successifs originaires de Propriano et de Sartène faisaient régner un climat spécial, parfumé à l’anis. C’est là que j’appris que les Pharaons soigneusement enrobés de bandelettes connus sous le nom sacré de Momies eurent des enfants appelés mominettes. L’Egypte s’est délocalisée sur le cours d’Estienne d’Orves. Je m’extasiais sur leur croissance que l’on pouvait mesurer sur le champ, une sorte de génération spontanée de petits ballons siglés de différents artisans : cinquante centimètres, un mètre de mominettes suivant l’adhésion du foie au liquide jaunâtre. Lors de ces Jeux Olympiques dit du Ricard, les meilleurs athlètes que l’on pouvait reconnaître à leur montgolfière abdominale recevaient l’hommage des journalistes, aventuriersh, loulous en location saisonnière des Baumettes. Les maîtres Ambrogiani, D’Orcino, Gianelli, Ferrari tenaient le haut du pavé méditerranéen de la peinture sur toile et divers supports. Descendus de leurs Olympes artistiques situées dans les ateliers surplombant l’ancien canal, aujourd’hui parking, Pierrot, Toussaint et les Antoine oubliaient les cadres de peinture pour quelques heures de rire et emmagasinaient leur inspiration sur des châssis montés sur talons hauts. A part la tauromachie éclatante de couleur sur tes toiles, cher Ambro, je sais que dans ton habit de lumière-bleu de Chine, tu t’es pris pour Luis Miguel Dominguin en louchant sur le bassin ondulant de la belle Nénette. Elle marchait aux quatre points cardinaux. Mieux que le Christ qui n’en avait que trois. L’Hypertension érotique laissait présager des l’A.V.C. Les ennuis gastriques étaient en stand-by… mais inévitables. Surtout lorsque les partisanes vendant leurs fruits et légumes sous le parking, venaient soigner leur incontinence urinaire au bistrot. Leur embonpoint faisait problème. En raison de la porte étroite donnant accès au wc à la turque. Alors, sous les ordres du talonneur Ambro, des piliers Toussaint et quelques bourriques de comptoir, on poussait Henriette aux fesses dessinées par le grand Dubout et la propulsait vers son bonheur libérateur. Pour la sortie, elle se débrouillait seule. Les rugbymen de la mominette renonçaient à l’extraction. Lors de ces mêlées de thérapie urologique, je me souviens que nous avons bénéficié de la participation d’un journaliste stagiaire qui par sa carrure et son poids pouvait prétendre à pousser son pack. Mon ami Eugène Saccomano, en demi d'ouverture, organisait le pack en jacassant des Ollé appris dans les courses de vachettes de son Gard chéri. Las, au lieu de le dynamiser, il s’effondrait dès que le cul d’Henriette résistait. J’appris par la suite que notre ex confrère passager s’était recyclé avec bonheur dans la vie politique, au point même de siéger au perchoir de l’assemblée nationale.

Plus facile de mener des députés à la baguette que d’aider Henriette à faire pipi ! Marseille est veuve de ton passé… Invité durant cet été 2021 par des amis du côté de Corte, je faisais chaque jour le plein de « la spécificité corse » Dans quel autre pays au monde les vaches sont aussi indépendantes qu’en Corse ? Elles narguent l’automobilus et lui intiment l’ordre d’attendre qu’elles broutent, pètent et le remercient pour sa patience. Je travaille pour toi… Tu apprécies mon lait, les fromages de mes cousines chèvres, alors consulte ton I Phone, écoute I Muvrini, et fous moi la paix … Vous parlerai-je de mon émerveillement lors d’une randonnée qui me mena en compagnie de Boniface dans le maquis du côté de Ponte Leccia. Sachez que j’en ai pris plein les mirettes dans certains sites archéologiques qui méritent d’être inscrits au Patrimoine de l’Humanité. Boniface Alfonsi est un guide très compétent, parfaitement renseigné sur son île de cœur… et d’ailleurs. Normal. Boniface est détective ! Il sait tout, dit (presque) tout, mais pas à n’importe qui… Bercé, enivré au jour le jour par cette CWL (Corsican Way of Life) estivale, je projetais de quémander l’obtention du passeport corse. Jusqu’à ce que je découvre certains dazibaos dessinés sur des murailles, des maisons, l'asphalte... Le street-art, me disais-je- réinventé sous la dénomination « M.A. » Maquis art. Je me suis fait traduire le vocabulaire local : « Fora… » Dehors, dégage... Et le Variant corse m’assaillit. Pourquoi les vaches et pas moi ? Je ne veux pas débattre ici de cette ambiguïté et jeter un voile injuste sur la générosité du citoyen corse. Je préfère m’en tenir à son indéfectible sens de l’hospitalité fut ce au péril d’une quiétude avare et soucieuse d’éviter les emmerdements. Je pense aux soixante millions de français résistants à la Libération et pour une bonne majorité d’entre eux complices avec l’occupant durant la dernière grande guerre. Ce ne fut pas le cas des corses, malgré quelques brebis que j’appellerais plutôt des chèvres galeuses, tel Paul Carbone, Simon Sabiani et un certain Jean Chiappe thuriféraire de l’Action Française et de la revue Gringoire. Pas le genre de la majorité des corses. Cet été à Corte, je me suis fait raconter comment par ici, les ebrei furent reçus et protégés ici bien que pourchassés par les chiens de chasse du maréchal Pétain. J’ai retrouvé certains témoignages de journalistes ayant longuement enquêté sur ce thème, révélés par mon confrère André Campana. Madame Halewa de la communauté juive de Porto-Vecchio, explique : « Le maire d’Asco était très bien avec eux, il leur avait dit : « je sais que les allemands ont le projet de vous arrêter. Avant que ça se produise, je serai averti et on vous fera prendre le maquis. Ils ne vous trouveront jamais ! ». Charles Grimaldi, ancien maire de la Porta : « il y avait quatre familles de juifs à la Porta. Ils étaient intégrés au village. L’antisémitisme ne nous venait même pas à l’esprit ».

Henri Parsi, Président des antiquaires de Marseille, raconte l’histoire de sa grand-mère, celle qu’on appelait « Zia Maria ». Elle avait caché un prisonnier juif qui s’était échappé d’Asco, devenu depuis le célèbre Félix Nhamani. « Je ne crois pas que ma grand-mère cachait le Juif, elle cachait le persécuté, comme nous faisons toujours en Corse, même aujourd’hui, que cela plaise ou non ! » L’historien Michel Vergé-Franceschi s’attache à mettre en lumière l’intérêt pour la communauté juive, porté par deux hommes d’Etat d’origine corse : Pascal Paoli et Napoléon, qui sont les premiers à proposer aux juifs un statut de citoyen à part égale. Bien avant le décret Crémieux donnant la nationalité française aux juifs d’Afrique du Nord. À rappeler à un certain polémiste juif, FRANÇAIS zélateur assidu du maréchal Pétain. Avec plus de temps, de Casanis, de figatelli (pas de broccio) et d’éclats de rire avec Boniface et son compère Ange, je pense que je parviendrai à explorer un peu mieux – je précise UN PEU, faut pas rêver !!! - la molécule secrète du variant corse. De toute façon, pas question de me faire vacciner contre ce virus. Il n’est pas mortel. Sauf si ma curiosité débordait sur certains échanges commerciaux avec la Colombie.

Lors de mon enquête sur la French Connection, je détenais parfois une information qui aurait pu me valoir d’attraper le saturnisme, cette maladie du plomb qui se développe dans les Smith and Wesson, les colts et fusils d’assaut. Mon journal, Le Provençal, se trouvait sur la ligne de front. Les rues avoisinantes de l'Opéra, ce temple des grandes voix et des prostituées, recelaient de nombreux rades, postes d’observation de ce que l’on appelle le Milieu marseillais. J’y ai contracté des durillons de comptoir afin de brouiller les pistes auprès de barbouzes, petites mains de la farine marseillaise. Le pastis était censé révéler les recoins cachés de mon savoir. Avec peine, malgré les mominettes au mètre qui garnissaient le zinc, je parvenais à honorer les leçons apprises auprès de mes trois chéries, mes maîtresses, poilues certes, mais oh combien sages. Guenons de mon cœur, comme vous, je n’ai rien vu, je n’ai rien entendu, je ne dirai rien… Ou si peu, à condition qu’on me questionne gentiment.


- Qué me dit François ?
- Bof…
- Mais encore…
- Il paraît que l’OM…
- Ça va, çà on sait… À part ça ?
- Le métro va arriver…
- On s’en fout. A part çà François…J’abattais mon joker.
- Il paraît que les américains sont sur la trace d’un labo…
- Un labo… Essaie de savoir…
- Impossible, c’est le Washington Post, une tombe !
- Essaie quand même… On pourra t’aider, tu vois ce que je veux dire…
- Pas seulement les américains… Le Nouvel Observateur est sur le coup aussi…
- Oh putain ! Même en France…
- Eh oui. L’information n’a pas de frontières…
- Enculés de flics !


Je sortais assez imbibé du bistrot. Mais rassuré. En ayant déclenché la chasse aux infos sur les médias d’Europe et d’Amérique, je n’étais plus le seul à détenir l’info que j’étais en fait le seul à détenir. Vous me suivez... Il faudrait que le saturnisme marseillais déferle sur le restant de la planète.

Le lendemain, je sortais mon scoop… Quelques années plus tard, de retour sur ce front en sommeil, je retrouvais mes barbouzes.


- Tu nous as bien niqué, François.
- Chacun son métier…
- On t’en veut pas… Tu travailles sur quoi en ce moment ?

Mes guenons ont pris leur retraite. Moi aussi. Mais ne réveillez ni un flic qui dort, ni un journaliste toxicomane d’adrénaline.


Propos recueillis par Sg
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