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Epupea Digenis Akritas

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Epupea DigenisAkritas
Byzance ressuscitée

Très original l’album « Epupea Digenis Akritas » de Patrizia Gattaceca. Parce qu’il nous plonge aux temps de l’empire byzantin. Parce qu’il nous fait entendre une musique et des mots qui nous transportent dans un univers qui n’est plus et qui pourtant subsiste dans nos mémoires malgré les aléas de l’histoire.

Dans le monde de la tradition grecque l’histoire de Digenis Akritas est restée très vivante. Elle rapporte les péripéties et les prouesses du père de Digenis, un émir qui par amour pour celle qui sera la mère de son fils se convertit au christianisme orthodoxe. Puis l’épopée relate la vie et le destin de Digenis qui mène une existence d’errance de limes en confins de l’empire de Byzance. Solitaire par choix, le héros est l’image même du preux chrétien qui guerroie sans relâche contre les brigands, les dragons, les fauves, les Amazones. Cette solitude assumée lui vaudra le qualificatif d’Akritas « gardien des frontières ».

L’épopée baigne dans le merveilleux mais aussi dans une violence extrême. L’amour fou y est célébré et la mort également. Celles de ceux qui incarnent malheurs et méchanceté. Celle de l’épouse bien ainée qui face à la fin tragique de Digenis implore Dieu de la rappeler à lui afin de lui épargner la séparation d’avec celui qu’elle aime et qui pour elle a construit un extraordinaire palais dans la vallée de l’Euphrate, palais entouré de la magnificence et de la luxuriance d’un jardin digne de l’Eden perdu.

L’album de Patrizia Gattaceca comporte douze titres qui nous proposent d’emboiter le pas à Digenis en Cappadoce, en Arménie, à Smyrne, à Babylone et dans d’autres endroits qui deviendront l’Iraq d’aujourd’hui. On le suit sur des sentes inédites, en des chemins anciens très semblables aux routes bibliques. La tonalité des chants se fait tour à tour tonique ou mélancolique oscillant d’une rythmique orientalisante à des descriptions très imagées et toujours poétiques.

Le CD a été enregistré au studio, « L’Angelina » à Valle di Rustinu que dirige Jean Bernard Rongiconi. A celui-ci revient aussi la direction artistique et la prise de son.

Une épopée à écouter pour changer des sirops et des ringardises à la mode

Musiciens : Antoine Leonelli, cordes. Loïc Pontieux, percussions. Jean Bernard Rongiconi, claviers.





       Entretien avec Patrizia Gattaceca


L’épopée de Digenis Akritas n’est-elle pas le pendant de « La Chanson de Roland » ?


En Grèce l’histoire de Digenis résonne à l’instar de « La Chanson de Roland ». Elle a été transmise par la tradition orale entre le X è et le XI è siècle. Sa transcription date du XII è siècle. Selon le principe de l’oralité son contenu a évolué. Il y a en particulier des fins qui ont des versions différentes. Paolo Odorio, spécialiste de littérature byzantine, en a fait une traduction proche de l’italien ancien. Quand j’ai présenté « L’épopée de Digenis » à L’Aria cet été, j’ai été surprise de constater lors des débats qui ont suivi le récital qu’elle était connue et que dans l’assistance un jeune continental en faisait le sujet d sa thèse.


Comment avez-vous abordé ce Digenis Akritas en tant que compositrice et chanteuse ?

Je me suis d’abord penché sur « Le lodi », l’introduction de la geste que j’ai décidé de psalmodier. Puis j’ai composé, sur le texte de Paolo Odorio, « Il desiderio », qui parle du désir amoureux et des affres de l’amour naissant chez un jeune homme, thème qui m’émeut beaucoup. Lors de la conférence prononcée à Corte, il y a trois ans, par le professeur italien d’université, expert reconnu en civilisation byzantine, j’ai chanté ce morceau. Il a été enthousiaste et ravi, m’incitant à poursuivre. J’ai d’autant mieux écouté ce conseil que ça me faisait plaisir et que ça me sortait de ce que je chante et compose d’ordinaire.


L’album s’intègre dans le projet CPER CALLIOPE de l’université de Corse. Quel est ce projet ?

Il est à l’initiative de la chaire Esprit Méditerranéen dirigée par Françoise Graziani. Il inclut un regard sur la Méditerranée ancienne et nouvelle axé sur des rencontres, des débats, des colloques. Il comprend trois réalisations : « Dante in paghjella » de A Ricucatta ; une vidéo, « Sette Galere » de Nicole Casalonga de Pigna ; le CD « Epupea Digenis Akritas ».


Quelle a été votre approche artistique de cette oeuvre ?

Ce qui m’a intéressé c’était de mêler le corse et l’italien… Pour évoquer le moment où Digenis et son épouse sont dans la vallée de l’Euphrate, moment merveilleux dans un cadre qui l’est tout autant, j’ai écrit un refrain en italien et le reste en corse. Pour le « Lamemtu di a mamma » j’ai opté pour la langue corse. J’ai travaillé au feeling. Antoine Leonelli s’est occupé des arrangements de mes mélodies. On a travaillé ensemble. C’est lui qui pour « L’amore » m’a suggéré un mode phrygien chanté note par note qui n’existe pas chez nous. Afin d’inviter à un tour de la Méditerranée j’ai joué des sonorités orientales, hispanisantes…


On entend dans ce CD des instruments inhabituels. Quels sont-ils ?

Cet album est entièrement acoustique. Il y a un Oud, différentes guitares, une basse non électrique, des mandolines et des mandoles qui sont plus volumineuses. Du côté des percussions Loïc Pontieux fait entendre des clochettes, des cymbales entre autres.


A qui s’adresse cet album ?

J’ai pu constater en tournant dans les villages de l’île accompagnée par Antoine Leonelli qu’il plaisait à tous les publics, y compris aux enfants. La pochette du CD réalisée par Armand Luciani a aussi beaucoup de succès. Pour la concevoir il s’est amplement renseigné sur le Digenis Akritas et cela se ressent dans ses choix visuels : église orthodoxe très ancienne ou vues de la Cappadoce ou de la mosquée bleue d’Istanbul.


Avez-vous fait des recherches particulières pour composer vos musiques ?

En Grèce j’ai beaucoup écouté de chants et de musiques traditionnelles, mais je ne voulais pas copier ! Je cherchais quelque chose de personnel qui soit symbole de paix, de concorde, de dialogue… Quelque chose qui reflète l’ensemble de la Méditerranée avec ce mélange de corse, d’italien hérité du grec.




L’album va-t-il être à l’origine de tournées, de spectacles ?

On tourne à deux avec Antoine Leonelli qui joue de plusieurs instruments (guitares, mandolines). On s’est déjà produit en Corse et à Marseille et on espère s’exporter ailleurs. Avec Orlando Forioso on a réalisé des vidéos pour Teatreuropa. Comme décor il a choisi des toiles d’un peintre contemporain. Chaque chant est précédé d’une scènette montrant une ménagère-popote. C’est là une dose de sourire dans une tragédie.


Où se procurer ce CD ?

L’album est en ligne. On peut également m’écrire à www.patriziagattaceca.com… Digenis Akritas est un répertoire que je chante volontiers car je suis emportée par l’histoire.


Quelle idée faut-il retenir de cette geste byzantine ?

Pour moi cette épopée est un trait d’union entre Orient et Occident méditerranéen c’est pourquoi elle me fait du bien !

Propos recueillis par M.A-P
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