Pollution : la Corsica Linea dans le viseur
Fin décembre, U Levante et Le Garde ont publié un dossier commun sur la pollution engendrée par les navires de la Corsica Linea.
Corsica Linea dans le viseur
Fin décembre, U Levante et Garde ont publié un dossier commun sur la pollution engendrée par les navires de la Corsica Linea. Les deux associations de protection de l’environnement pointent du doigt l’exemption accordée par la France à la compagnie maritime corse, à la suite d’un arrêté ayant changé la réglementation en vigueur. Décryptage.
Le dossier a été révélé le 24 décembre par U Levante et Garde. Dans un texte conjoint, les deux associations de protection de l’environnement font référence à un arrêté publié le 22 septembre 2021 : celui-ci modifie la réglementation en vigueur quant au rejet d’effluents en milieu marin.
L’article stipule clairement que « les rejets, dans le milieu marin, d’effluents provenant des méthodes de réduction des émissions fonctionnant en système ouvert sont interdits à moins de 3 milles nautiques (5,56 km) de la terre la plus proche dans les eaux sous juridiction française ».
Cependant, à titre transitoire, il est précisé que « l’administration française peut accorder à un navire existant, effectuant des voyages réguliers entre deux ports, une exemption dont la durée de validité doit être limitée au strict minimum et ne peut excéder le 1er janvier 2026. La demande d’exemption doit démontrer l’impossibilité de se conformer à cette règle et indiquer la ou les solution(s) de mise en conformité retenue(s) et leur date prévisionnelle de mise en œuvre ».
Par courrier daté du 26 Octobre 2021, Corsica Linea a sollicité cette exemption, « une aubaine à saisir » selon U Levante et Garde. Cinq navires de l’armateur insulaire sont donc exemptés pour une durée déterminée, et ce malgré plusieurs accords et dispositifs visant à préserver la faune et la flore marine : la classification Natura 2000 du golfe d’Ajaccio ou encore le sanctuaire Pelagos (protection des mammifères marins entre l’Italie et la France qui englobe toutes les côtes corses.
U Levante
et Garde ne mâchent pas leurs mots : selon eux, « la France exempte Corsica Linea au nom du fric à court terme. […] Le seul objectif de la Corsica Linea est donc bien de limiter les coûts au mépris des effets néfastes sur le milieu marin. Il est pourtant avéré que ces eaux de lavage sont plus acides et plus turbides que l’eau de mer et contiennent en quantités variables des métaux lourds, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des nitrates ainsi que les éventuels additifs chimiques utilisés par les scrubbers. Tant pis pour les dégâts environnementaux, les fonds marins, la biodiversité, la qualité des eaux, les pêcheurs… Ils ne rentrent pas dans les bilans comptables du trafic maritime. »
Baccalà pà Corsica !
À ce jour, 23 Etats et 71 ports ont décidé d’interdire les rejets des scrubbers (Voir l’encadré ci-contre) en boucle ouverte dans leurs eaux territoriales ou leurs eaux portuaires. Dernièrement, la Turquie, l’Autorité du Canal de Suez, Oman et l’Arabie Saoudite ont rejoint cette liste. En France, alors que plusieurs grands ports comme Marseille, Nantes-St Nazaire et La Rochelle ont déjà modifié leur règlement portuaire pour y inscrire une interdiction des rejets, d’autres comme Bordeaux et Le Havre ont émis une interdiction de principe de l’utilisation des scrubbers au titre de leur pouvoir de police portuaire. Dans l’île, concernant les ports d’Ajaccio, Bastia et Porto-Vecchio, rien ne bouge, et ce malgré l’intervention des associations de la Région PACA et de la Corse en juillet 2019. L’égalité de traitement des citoyens sur un même territoire, réclamée auprès du cabinet du Premier Ministre de l’époque Édouard Philippe, n’a pour l’heure pas été entendue.
La position de la Corsica Linea
Contactée par nos soins, la compagnie maritime n’a pas souhaité commenter la publication conjointe d’U Levante et de Garde. Directeur général de Corsica Linea, Pierre-Antoine Villanova a indiqué que la situation est « bien plus complexe » que celle évoquée par les deux associations. Selon lui, la méthode de Corsica Linea consiste à travailler avec l’ensemble des associations qui le souhaitent, « de façon extrêmement régulière sur tous les sujets liés à la qualité de l’air et à la protection de l’environnement. »
« En termes d’émissions de fumée, nous sommes déjà aux normes des zones ECA sur cinq de nos navires, c’est-à-dire qu’on émet moins de 0,1% de dioxyde soufre, ce qu’on appelle les SOx alors que la norme est à 0,5%, donc 5 fois moins. Cela fait deux ans que nous faisons cela. Nous sommes avec La Méridionale les deux seules compagnies en France à avoir des branchements électriques à quai, mais, malheureusement, on ne peut les utiliser en Corse car il manque les installations. En matière de protection de l’environnement, on en fait vraiment beaucoup. Ce sont des montants très importants, plusieurs dizaines de millions d’euros. De tels montants d’investissements demandent parfois un phasage, surtout quand ça arrive au mois de juin pour une décision en janvier. »
L’empreinte de la pandémie
Le Covid aurait impacté durement la compagnie insulaire qui aurait subi une perte financière estimée à une trentaine de millions d’euros. Pour Corsica Linea, qui utilise actuellement des scrubbers à circuit ouvert, la mise en place d’un dispositif à circuit fermé représenterait un investissement de 2,5 millions d’euros par navire. Cela permettrait de ne pas déverser d’eaux usées dans les ports. Néanmoins, aucun port insulaire n’est pour l’instant équipé pour que les ferrys et cargos puissent se brancher électriquement à quai, ce qui éviterait que leur moteur ne tourne, et rendrait les scrubbers superflus.
Concernant l’exemption « au nom du fric à court terme » évoquée ainsi par les deux associations, Pierre-Antoine Villanova est formel : « L’ensemble des résultats de Corsica Linea depuis 6 ans est intégralement réinvesti dans la transition environnementale de la flotte. L’entreprise n’a que 6 ans et est plutôt vue comme un modèle en France sur la partie transition environnementale. »
Corsica Linea rappelle par ailleurs qu’elle sera « le seul armateur à desservir la Corse avec un navire propulsé au GNL (gaz naturel liquéfié, nldr.) dès juillet prochain ». Conçue dans le chantier naval italien de Visentini, A Galeotta – nommé ainsi en l’honneur du navire amiral de la flotte de Pascal Paoli – représente un investissement de 150 millions d’euros.
Si bon nombre d’observateurs pointent du doigt le statut de Corsica Linea comme « modèle en France » en termes de transition environnementale, il semblerait que la politique de l’Etat quant à la pollution marine en Corse et en Méditerranée soit davantage mise en cause en filigrane de ce dossier.
P.G.P. (avec A.S.)
Corsica Linea dans le viseur
Fin décembre, U Levante et Garde ont publié un dossier commun sur la pollution engendrée par les navires de la Corsica Linea. Les deux associations de protection de l’environnement pointent du doigt l’exemption accordée par la France à la compagnie maritime corse, à la suite d’un arrêté ayant changé la réglementation en vigueur. Décryptage.
Le dossier a été révélé le 24 décembre par U Levante et Garde. Dans un texte conjoint, les deux associations de protection de l’environnement font référence à un arrêté publié le 22 septembre 2021 : celui-ci modifie la réglementation en vigueur quant au rejet d’effluents en milieu marin.
L’article stipule clairement que « les rejets, dans le milieu marin, d’effluents provenant des méthodes de réduction des émissions fonctionnant en système ouvert sont interdits à moins de 3 milles nautiques (5,56 km) de la terre la plus proche dans les eaux sous juridiction française ».
Cependant, à titre transitoire, il est précisé que « l’administration française peut accorder à un navire existant, effectuant des voyages réguliers entre deux ports, une exemption dont la durée de validité doit être limitée au strict minimum et ne peut excéder le 1er janvier 2026. La demande d’exemption doit démontrer l’impossibilité de se conformer à cette règle et indiquer la ou les solution(s) de mise en conformité retenue(s) et leur date prévisionnelle de mise en œuvre ».
Par courrier daté du 26 Octobre 2021, Corsica Linea a sollicité cette exemption, « une aubaine à saisir » selon U Levante et Garde. Cinq navires de l’armateur insulaire sont donc exemptés pour une durée déterminée, et ce malgré plusieurs accords et dispositifs visant à préserver la faune et la flore marine : la classification Natura 2000 du golfe d’Ajaccio ou encore le sanctuaire Pelagos (protection des mammifères marins entre l’Italie et la France qui englobe toutes les côtes corses.
U Levante
et Garde ne mâchent pas leurs mots : selon eux, « la France exempte Corsica Linea au nom du fric à court terme. […] Le seul objectif de la Corsica Linea est donc bien de limiter les coûts au mépris des effets néfastes sur le milieu marin. Il est pourtant avéré que ces eaux de lavage sont plus acides et plus turbides que l’eau de mer et contiennent en quantités variables des métaux lourds, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des nitrates ainsi que les éventuels additifs chimiques utilisés par les scrubbers. Tant pis pour les dégâts environnementaux, les fonds marins, la biodiversité, la qualité des eaux, les pêcheurs… Ils ne rentrent pas dans les bilans comptables du trafic maritime. »
Baccalà pà Corsica !
À ce jour, 23 Etats et 71 ports ont décidé d’interdire les rejets des scrubbers (Voir l’encadré ci-contre) en boucle ouverte dans leurs eaux territoriales ou leurs eaux portuaires. Dernièrement, la Turquie, l’Autorité du Canal de Suez, Oman et l’Arabie Saoudite ont rejoint cette liste. En France, alors que plusieurs grands ports comme Marseille, Nantes-St Nazaire et La Rochelle ont déjà modifié leur règlement portuaire pour y inscrire une interdiction des rejets, d’autres comme Bordeaux et Le Havre ont émis une interdiction de principe de l’utilisation des scrubbers au titre de leur pouvoir de police portuaire. Dans l’île, concernant les ports d’Ajaccio, Bastia et Porto-Vecchio, rien ne bouge, et ce malgré l’intervention des associations de la Région PACA et de la Corse en juillet 2019. L’égalité de traitement des citoyens sur un même territoire, réclamée auprès du cabinet du Premier Ministre de l’époque Édouard Philippe, n’a pour l’heure pas été entendue.
La position de la Corsica Linea
Contactée par nos soins, la compagnie maritime n’a pas souhaité commenter la publication conjointe d’U Levante et de Garde. Directeur général de Corsica Linea, Pierre-Antoine Villanova a indiqué que la situation est « bien plus complexe » que celle évoquée par les deux associations. Selon lui, la méthode de Corsica Linea consiste à travailler avec l’ensemble des associations qui le souhaitent, « de façon extrêmement régulière sur tous les sujets liés à la qualité de l’air et à la protection de l’environnement. »
« En termes d’émissions de fumée, nous sommes déjà aux normes des zones ECA sur cinq de nos navires, c’est-à-dire qu’on émet moins de 0,1% de dioxyde soufre, ce qu’on appelle les SOx alors que la norme est à 0,5%, donc 5 fois moins. Cela fait deux ans que nous faisons cela. Nous sommes avec La Méridionale les deux seules compagnies en France à avoir des branchements électriques à quai, mais, malheureusement, on ne peut les utiliser en Corse car il manque les installations. En matière de protection de l’environnement, on en fait vraiment beaucoup. Ce sont des montants très importants, plusieurs dizaines de millions d’euros. De tels montants d’investissements demandent parfois un phasage, surtout quand ça arrive au mois de juin pour une décision en janvier. »
L’empreinte de la pandémie
Le Covid aurait impacté durement la compagnie insulaire qui aurait subi une perte financière estimée à une trentaine de millions d’euros. Pour Corsica Linea, qui utilise actuellement des scrubbers à circuit ouvert, la mise en place d’un dispositif à circuit fermé représenterait un investissement de 2,5 millions d’euros par navire. Cela permettrait de ne pas déverser d’eaux usées dans les ports. Néanmoins, aucun port insulaire n’est pour l’instant équipé pour que les ferrys et cargos puissent se brancher électriquement à quai, ce qui éviterait que leur moteur ne tourne, et rendrait les scrubbers superflus.
Concernant l’exemption « au nom du fric à court terme » évoquée ainsi par les deux associations, Pierre-Antoine Villanova est formel : « L’ensemble des résultats de Corsica Linea depuis 6 ans est intégralement réinvesti dans la transition environnementale de la flotte. L’entreprise n’a que 6 ans et est plutôt vue comme un modèle en France sur la partie transition environnementale. »
Corsica Linea rappelle par ailleurs qu’elle sera « le seul armateur à desservir la Corse avec un navire propulsé au GNL (gaz naturel liquéfié, nldr.) dès juillet prochain ». Conçue dans le chantier naval italien de Visentini, A Galeotta – nommé ainsi en l’honneur du navire amiral de la flotte de Pascal Paoli – représente un investissement de 150 millions d’euros.
Si bon nombre d’observateurs pointent du doigt le statut de Corsica Linea comme « modèle en France » en termes de transition environnementale, il semblerait que la politique de l’Etat quant à la pollution marine en Corse et en Méditerranée soit davantage mise en cause en filigrane de ce dossier.
P.G.P. (avec A.S.)
Fin décembre, U Levante et Garde ont publié un dossier commun sur la pollution engendrée par les navires de la Corsica Linea. Les deux associations de protection de l’environnement pointent du doigt l’exemption accordée par la France à la compagnie maritime corse, à la suite d’un arrêté ayant changé la réglementation en vigueur. Décryptage.
Le dossier a été révélé le 24 décembre par U Levante et Garde. Dans un texte conjoint, les deux associations de protection de l’environnement font référence à un arrêté publié le 22 septembre 2021 : celui-ci modifie la réglementation en vigueur quant au rejet d’effluents en milieu marin.
L’article stipule clairement que « les rejets, dans le milieu marin, d’effluents provenant des méthodes de réduction des émissions fonctionnant en système ouvert sont interdits à moins de 3 milles nautiques (5,56 km) de la terre la plus proche dans les eaux sous juridiction française ».
Cependant, à titre transitoire, il est précisé que « l’administration française peut accorder à un navire existant, effectuant des voyages réguliers entre deux ports, une exemption dont la durée de validité doit être limitée au strict minimum et ne peut excéder le 1er janvier 2026. La demande d’exemption doit démontrer l’impossibilité de se conformer à cette règle et indiquer la ou les solution(s) de mise en conformité retenue(s) et leur date prévisionnelle de mise en œuvre ».
Par courrier daté du 26 Octobre 2021, Corsica Linea a sollicité cette exemption, « une aubaine à saisir » selon U Levante et Garde. Cinq navires de l’armateur insulaire sont donc exemptés pour une durée déterminée, et ce malgré plusieurs accords et dispositifs visant à préserver la faune et la flore marine : la classification Natura 2000 du golfe d’Ajaccio ou encore le sanctuaire Pelagos (protection des mammifères marins entre l’Italie et la France qui englobe toutes les côtes corses.
U Levante
et Garde ne mâchent pas leurs mots : selon eux, « la France exempte Corsica Linea au nom du fric à court terme. […] Le seul objectif de la Corsica Linea est donc bien de limiter les coûts au mépris des effets néfastes sur le milieu marin. Il est pourtant avéré que ces eaux de lavage sont plus acides et plus turbides que l’eau de mer et contiennent en quantités variables des métaux lourds, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des nitrates ainsi que les éventuels additifs chimiques utilisés par les scrubbers. Tant pis pour les dégâts environnementaux, les fonds marins, la biodiversité, la qualité des eaux, les pêcheurs… Ils ne rentrent pas dans les bilans comptables du trafic maritime. »
Baccalà pà Corsica !
À ce jour, 23 Etats et 71 ports ont décidé d’interdire les rejets des scrubbers (Voir l’encadré ci-contre) en boucle ouverte dans leurs eaux territoriales ou leurs eaux portuaires. Dernièrement, la Turquie, l’Autorité du Canal de Suez, Oman et l’Arabie Saoudite ont rejoint cette liste. En France, alors que plusieurs grands ports comme Marseille, Nantes-St Nazaire et La Rochelle ont déjà modifié leur règlement portuaire pour y inscrire une interdiction des rejets, d’autres comme Bordeaux et Le Havre ont émis une interdiction de principe de l’utilisation des scrubbers au titre de leur pouvoir de police portuaire. Dans l’île, concernant les ports d’Ajaccio, Bastia et Porto-Vecchio, rien ne bouge, et ce malgré l’intervention des associations de la Région PACA et de la Corse en juillet 2019. L’égalité de traitement des citoyens sur un même territoire, réclamée auprès du cabinet du Premier Ministre de l’époque Édouard Philippe, n’a pour l’heure pas été entendue.
La position de la Corsica Linea
Contactée par nos soins, la compagnie maritime n’a pas souhaité commenter la publication conjointe d’U Levante et de Garde. Directeur général de Corsica Linea, Pierre-Antoine Villanova a indiqué que la situation est « bien plus complexe » que celle évoquée par les deux associations. Selon lui, la méthode de Corsica Linea consiste à travailler avec l’ensemble des associations qui le souhaitent, « de façon extrêmement régulière sur tous les sujets liés à la qualité de l’air et à la protection de l’environnement. »
« En termes d’émissions de fumée, nous sommes déjà aux normes des zones ECA sur cinq de nos navires, c’est-à-dire qu’on émet moins de 0,1% de dioxyde soufre, ce qu’on appelle les SOx alors que la norme est à 0,5%, donc 5 fois moins. Cela fait deux ans que nous faisons cela. Nous sommes avec La Méridionale les deux seules compagnies en France à avoir des branchements électriques à quai, mais, malheureusement, on ne peut les utiliser en Corse car il manque les installations. En matière de protection de l’environnement, on en fait vraiment beaucoup. Ce sont des montants très importants, plusieurs dizaines de millions d’euros. De tels montants d’investissements demandent parfois un phasage, surtout quand ça arrive au mois de juin pour une décision en janvier. »
L’empreinte de la pandémie
Le Covid aurait impacté durement la compagnie insulaire qui aurait subi une perte financière estimée à une trentaine de millions d’euros. Pour Corsica Linea, qui utilise actuellement des scrubbers à circuit ouvert, la mise en place d’un dispositif à circuit fermé représenterait un investissement de 2,5 millions d’euros par navire. Cela permettrait de ne pas déverser d’eaux usées dans les ports. Néanmoins, aucun port insulaire n’est pour l’instant équipé pour que les ferrys et cargos puissent se brancher électriquement à quai, ce qui éviterait que leur moteur ne tourne, et rendrait les scrubbers superflus.
Concernant l’exemption « au nom du fric à court terme » évoquée ainsi par les deux associations, Pierre-Antoine Villanova est formel : « L’ensemble des résultats de Corsica Linea depuis 6 ans est intégralement réinvesti dans la transition environnementale de la flotte. L’entreprise n’a que 6 ans et est plutôt vue comme un modèle en France sur la partie transition environnementale. »
Corsica Linea rappelle par ailleurs qu’elle sera « le seul armateur à desservir la Corse avec un navire propulsé au GNL (gaz naturel liquéfié, nldr.) dès juillet prochain ». Conçue dans le chantier naval italien de Visentini, A Galeotta – nommé ainsi en l’honneur du navire amiral de la flotte de Pascal Paoli – représente un investissement de 150 millions d’euros.
Si bon nombre d’observateurs pointent du doigt le statut de Corsica Linea comme « modèle en France » en termes de transition environnementale, il semblerait que la politique de l’Etat quant à la pollution marine en Corse et en Méditerranée soit davantage mise en cause en filigrane de ce dossier.
P.G.P. (avec A.S.)
Corsica Linea dans le viseur
Fin décembre, U Levante et Garde ont publié un dossier commun sur la pollution engendrée par les navires de la Corsica Linea. Les deux associations de protection de l’environnement pointent du doigt l’exemption accordée par la France à la compagnie maritime corse, à la suite d’un arrêté ayant changé la réglementation en vigueur. Décryptage.
Le dossier a été révélé le 24 décembre par U Levante et Garde. Dans un texte conjoint, les deux associations de protection de l’environnement font référence à un arrêté publié le 22 septembre 2021 : celui-ci modifie la réglementation en vigueur quant au rejet d’effluents en milieu marin.
L’article stipule clairement que « les rejets, dans le milieu marin, d’effluents provenant des méthodes de réduction des émissions fonctionnant en système ouvert sont interdits à moins de 3 milles nautiques (5,56 km) de la terre la plus proche dans les eaux sous juridiction française ».
Cependant, à titre transitoire, il est précisé que « l’administration française peut accorder à un navire existant, effectuant des voyages réguliers entre deux ports, une exemption dont la durée de validité doit être limitée au strict minimum et ne peut excéder le 1er janvier 2026. La demande d’exemption doit démontrer l’impossibilité de se conformer à cette règle et indiquer la ou les solution(s) de mise en conformité retenue(s) et leur date prévisionnelle de mise en œuvre ».
Par courrier daté du 26 Octobre 2021, Corsica Linea a sollicité cette exemption, « une aubaine à saisir » selon U Levante et Garde. Cinq navires de l’armateur insulaire sont donc exemptés pour une durée déterminée, et ce malgré plusieurs accords et dispositifs visant à préserver la faune et la flore marine : la classification Natura 2000 du golfe d’Ajaccio ou encore le sanctuaire Pelagos (protection des mammifères marins entre l’Italie et la France qui englobe toutes les côtes corses.
U Levante
et Garde ne mâchent pas leurs mots : selon eux, « la France exempte Corsica Linea au nom du fric à court terme. […] Le seul objectif de la Corsica Linea est donc bien de limiter les coûts au mépris des effets néfastes sur le milieu marin. Il est pourtant avéré que ces eaux de lavage sont plus acides et plus turbides que l’eau de mer et contiennent en quantités variables des métaux lourds, des hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), des nitrates ainsi que les éventuels additifs chimiques utilisés par les scrubbers. Tant pis pour les dégâts environnementaux, les fonds marins, la biodiversité, la qualité des eaux, les pêcheurs… Ils ne rentrent pas dans les bilans comptables du trafic maritime. »
Baccalà pà Corsica !
À ce jour, 23 Etats et 71 ports ont décidé d’interdire les rejets des scrubbers (Voir l’encadré ci-contre) en boucle ouverte dans leurs eaux territoriales ou leurs eaux portuaires. Dernièrement, la Turquie, l’Autorité du Canal de Suez, Oman et l’Arabie Saoudite ont rejoint cette liste. En France, alors que plusieurs grands ports comme Marseille, Nantes-St Nazaire et La Rochelle ont déjà modifié leur règlement portuaire pour y inscrire une interdiction des rejets, d’autres comme Bordeaux et Le Havre ont émis une interdiction de principe de l’utilisation des scrubbers au titre de leur pouvoir de police portuaire. Dans l’île, concernant les ports d’Ajaccio, Bastia et Porto-Vecchio, rien ne bouge, et ce malgré l’intervention des associations de la Région PACA et de la Corse en juillet 2019. L’égalité de traitement des citoyens sur un même territoire, réclamée auprès du cabinet du Premier Ministre de l’époque Édouard Philippe, n’a pour l’heure pas été entendue.
La position de la Corsica Linea
Contactée par nos soins, la compagnie maritime n’a pas souhaité commenter la publication conjointe d’U Levante et de Garde. Directeur général de Corsica Linea, Pierre-Antoine Villanova a indiqué que la situation est « bien plus complexe » que celle évoquée par les deux associations. Selon lui, la méthode de Corsica Linea consiste à travailler avec l’ensemble des associations qui le souhaitent, « de façon extrêmement régulière sur tous les sujets liés à la qualité de l’air et à la protection de l’environnement. »
« En termes d’émissions de fumée, nous sommes déjà aux normes des zones ECA sur cinq de nos navires, c’est-à-dire qu’on émet moins de 0,1% de dioxyde soufre, ce qu’on appelle les SOx alors que la norme est à 0,5%, donc 5 fois moins. Cela fait deux ans que nous faisons cela. Nous sommes avec La Méridionale les deux seules compagnies en France à avoir des branchements électriques à quai, mais, malheureusement, on ne peut les utiliser en Corse car il manque les installations. En matière de protection de l’environnement, on en fait vraiment beaucoup. Ce sont des montants très importants, plusieurs dizaines de millions d’euros. De tels montants d’investissements demandent parfois un phasage, surtout quand ça arrive au mois de juin pour une décision en janvier. »
L’empreinte de la pandémie
Le Covid aurait impacté durement la compagnie insulaire qui aurait subi une perte financière estimée à une trentaine de millions d’euros. Pour Corsica Linea, qui utilise actuellement des scrubbers à circuit ouvert, la mise en place d’un dispositif à circuit fermé représenterait un investissement de 2,5 millions d’euros par navire. Cela permettrait de ne pas déverser d’eaux usées dans les ports. Néanmoins, aucun port insulaire n’est pour l’instant équipé pour que les ferrys et cargos puissent se brancher électriquement à quai, ce qui éviterait que leur moteur ne tourne, et rendrait les scrubbers superflus.
Concernant l’exemption « au nom du fric à court terme » évoquée ainsi par les deux associations, Pierre-Antoine Villanova est formel : « L’ensemble des résultats de Corsica Linea depuis 6 ans est intégralement réinvesti dans la transition environnementale de la flotte. L’entreprise n’a que 6 ans et est plutôt vue comme un modèle en France sur la partie transition environnementale. »
Corsica Linea rappelle par ailleurs qu’elle sera « le seul armateur à desservir la Corse avec un navire propulsé au GNL (gaz naturel liquéfié, nldr.) dès juillet prochain ». Conçue dans le chantier naval italien de Visentini, A Galeotta – nommé ainsi en l’honneur du navire amiral de la flotte de Pascal Paoli – représente un investissement de 150 millions d’euros.
Si bon nombre d’observateurs pointent du doigt le statut de Corsica Linea comme « modèle en France » en termes de transition environnementale, il semblerait que la politique de l’Etat quant à la pollution marine en Corse et en Méditerranée soit davantage mise en cause en filigrane de ce dossier.
P.G.P. (avec A.S.)