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La fin des lumières

L'un des reproches le plus souvent répétés contre l'actuel Président de la République c'est d'avoir ......

La Fin des Lumières


L’un des reproches le plus souvent répétés contre l’actuel Président de la République c’est d’avoir corrigé dans l’un de ses discours de campagne l’expression « culture française » par « la culture en France ».


On comprend le sens de cette critique quand elle émane d‘une extrême droite plutôt étroite mais il est totalement incompréhensible de la part de personnes précisément un tant soit peu cultivées. La culture consiste à aller du proche au lointain. Plus on est cultivé moins l’étranger ne m’est étranger. Que serait la littérature française sans la renaissance italienne, que serait Montaigne s’il n’avait pas frotté son âme à celle d’autrui, que serait Molière sans la « commedia dell’arte » ou Hugo sans Shakespeare… Prenons un exemple étranger, celui d’un pays des plus cultivés, l’Allemagne et son écrivain le plus célébré, Goethe. Il déclarait avec vigueur que « rien de ce qui est humain ne lui est étranger ».
Cette formule est la définition même de la culture. Le propre de la civilisation française c’est précisément de se vouloir une civilisation de la culture, c’est sa volonté d’universalité, de cosmopolitisme comme on disait au siècle des Lumières. Aujourd’hui le terme de cosmopolite est devenu pour certains une injure. Mais précisément sous les coups de la facilité, celles des réseaux sociaux, et de l’immédiateté, les Lumières s’éteignent au profit de la diversité foisonnante des opinions à l’emporte-pièce et la croyance que la parole de l’ignorant vaut autant que celle du savant. En sa personne l’ignorant a la même dignité que le savant, mais son ignorance ne peut passer pour savoir fut-il savoir populaire, car le savoir populaire est un savoir et non pas une ignorance.

Le débat qui voudrait faire croire que le degré zéro du savoir médical vaudrait autant que celui du virologue conduit à des drames dans les services de réanimation. Mais il s’agit bien là d’une perte culturelle : aucun des seniors d’aujourd’hui n’ignore Pasteur et le vaccin car cela faisait partie de la culture de l’École Primaire. Si cette école faisait un héros positif sans doute bien rapidement d’un Bugeaud et de sa casquette dispersant la Smala d’Abel Kader, en même temps elle faisait de l’émir vaincu un grand personnage tout aussi positif. En fait cette École de la République apprenait que « Lumières » ne pouvait s’écrire qu’au pluriel. Et quelle que puissent être les décisions intellectuelles finales, nul ne saurait préférer Voltaire sans avoir lu Rousseau.

C’est ce mouvement des Lumières qui conduisit à l’adoption de la « Déclaration des droits de l’homme et du citoyen » de 1 789. Si on sait en lire le texte on constate que c’est précisément le petit ajout, « et du citoyen », qui limite légitimement les droits : le propre de la citoyenneté étant justement de préférer l’intérêt général à l’intérêt privé. Là encore, le déclin des Lumières conduit à un affaiblissement de la citoyenneté et le propre du citoyen c’est d’être responsable dans l’exercice de ses droits.
Mais nous assistons à un retournement du concept de citoyen où la revendication de citoyenneté autoriserait paradoxalement d’agir avec irresponsabilité. Dans un langage ordinaire cela se manifeste par la dégradation du substantif citoyen en adjectif : ainsi on parle d’entreprise citoyenne or le propre de l’entreprise c’est de réaliser du profit et si cette course au profit se limite c’est quand le chef d’entreprise est aussi un citoyen. En fait tout homme est conduit à limiter l’exercice de son droit au bonheur quand il devient citoyen. Pour que cette limitation de l’exercice des libertés individuelles ne devienne pas dictature politique ou morale par quelque pouvoir politique ou ecclésial, il est nécessaire qu’elle ne soit générée que par un débat des Lumières. Quand les Lumières faiblissent puis s’éteignent, la barbarie menace et les libertés individuelles disparaissent par l’absence de citoyenneté.

Michel Barat
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