Prisonniers basques : Emmanuel Macron reste dans le rance
Alors que Madrid commence à accepter qu'elles cicatrisent un jour, Paris laisse les plaies ouvertes.
Prisonniers basques : Emmanuel Macron reste dans le rance
Alors que Madrid commence à accepter qu’elles cicatrisent un jour, Paris laisse les plaies ouvertes.
Près de deux milles manifestants dont des élus, des représentants d’organisations politiques et des personnalités de la société civile, ont récemment défilé à Bayonne pour demander la libération des deux cents militants indépendantistes basques ayant appartenu à ETA qui, aujourd’hui encore, sont emprisonnés en Espagne ou en France pour des « crimes de sang ».
Les manifestants ont particulièrement dénoncé que concernant la trentaine de militants incarcérés en France « il n’y a ni écoute, ni volonté de Paris » d’aller dans le sens de leur remise en liberté. Cette manifestation a rappelé que le maintien en détention de ces militants (dont certains sont derrière les barreaux depuis plus de trente ans) est de plus en plus mal ressenti au sein de la société basque car, depuis plus de dix ans, un processus d’apaisement et de réconciliation est en cours et sur la bonne voie. Ce processus a débuté durant l’automne 2011. Quelques jours après une conférence internationale pour la paix ayant eu lieu dans les murs du palais d’Aiete (ancienne résidence basque du général Franco située à San Sebastian), et à laquelle ont notamment participé Kofi Annan, ancien secrétaire général de l'ONU et Prix Nobel de la paix, Gerry Adams, alors président du Sinn Féin, et Pierre Joxe, ancien ministre français de l'Intérieur, ETA a annoncé l'arrêt de son action armée. En janvier 2014, ETA a confirmé son adieu aux armes. Puis, le 8 avril 2017, un document mentionnant la localisation des caches d’armes et d’explosifs d'ETA a été remis au maire de Bayonne et, ce même jour, 20 000 basques venus de France et d’Espagne se sont rassemblés dans le vieux Bayonne pour célébrer cet acte signifiant un renoncement définitif à la lutte armée. Enfin, le 3 mai 2018, ETA a officialisé sa dissolution et, le jour suivant, des personnalités internationales ainsi que des élus français et basques réunis à Cambo-les-Bains ont invité toutes les parties concernées à faire le choix de la réconciliation (Déclaration d’Arnaga) : « Dans tous les processus de paix, il faut faire des concessions et la vengeance n'est pas la solution ».
Des gestes de bonne volonté
Qu’à ce jour 200 militants soient encore emprisonnés montre, comme l’avait souligné Gerry Adams à Cambo-les-Bains, combien « Construire la paix est plus difficile que faire la paix ». Cependant si une réticence de l’Espagne est compréhensible, plus de 800 militaires, policiers, magistrats, responsables politiques et simples citoyens espagnols ayant été tués par ETA, il ne peut en être de même concernant l’intransigeance dont fait preuve la France. D’autant que, ces temps derniers, la mouvance indépendantiste et le gouvernement espagnol échangent des gestes de bonne volonté. Les collectifs de soutien aux prisonniers ont décidé de renoncer aux haies d’honneur accompagnées de danses et chants qui célébraient la libération de tout ancien membre de l'ETA. Arnaldo Otegi, figure marquante de la mouvance indépendantiste et ancien militant d’ETA, a demandé pardon à toutes les victimes : « Cela n’aurait jamais dû se produire, personne ne peut se satisfaire de tout ce qui a eu lieu, ni que ceci se soit prolongé autant.» Les prisonniers bénéficient de conditions d’incarcération moins sévères et de rapprochements en Euskadi.
Le gouvernement espagnol agit certes en bonne partie par calcul politique. L’opposition de droite et les associations de victimes qui lui sont proches dénoncent d’ailleurs que ne disposant pas de la majorité absolue aux Cortès, le premier ministre socialiste Pedro Sanchez bénéficie, lors de débats importants, du vote des parlementaires de Bildu (formation politique ayant succédé à Batasuna qui était politiquement solidaire de l’ETA). Il est néanmoins difficile de reprocher à Pedro Sanchez de saisir l’opportunité de consolider la paix et d’aller vers la réconciliation. Ce que ne fait malheureusement pas Emmanuel Macron bien que la France qui n’a pas vraiment été affectée par l’action d’ETA, ait maintes fois contribué à la dégradation de la situation ou tout au moins au maintien de contextes conflictuels (modus vivendi jusqu’aux années 1980 avec l’organisation clandestine qui avait établi sa base arrière sur le territoire français, acceptation de l’intervention sur le sol français des agents et mercenaires des services spéciaux espagnols qui assassinaient des militants basques, poursuite contre les etarras réfugiés dans l’Hexagone y compris après l’annonce par ETA de l’arrêt de ses actions violentes. Alors que Madrid commence à accepter qu’elles cicatrisent un jour, Paris laisse les plaies ouvertes. Le gouvernement espagnol esquisse un oui à la vie. Emmanuel Macron reste dans le rance.
•Alexandra Sereni