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L'irruption du social

Une fois n'est pas coutume, la problématique institutionnelle est passée au second plan.

L’irruption du social


Une fois n’est pas coutume, la problématique institutionnelle est passée au second plan. Le social est monté sur la table de la politique et a mis les pieds dans le plat.


La problématique institutionnelle influence et domine depuis des décennies le débat politique corse.
Avec l’accession des nationalistes aux responsabilités, cela n’a pas changé. Bien au contraire. Gilles Simeoni a même fait de cette problématique, ayant pour pivot la revendication autonomiste, l’alpha et l’oméga de son discours dès qu’il s’adresse à l’État, dès qu’il évoque un projet, dès qu’il souhaite galvaniser ou faire espérer, dès qu’il lui faut expliquer des lenteurs ou des échecs de sa politique.
Les grands acteurs politiques de l’Hexagone, quand ils viennent chez nous, se mettent au diapason. On a pu encore le constater à l’occasion des récentes visites des candidats à l’élection présidentielle Yannick Jadot et Valérie Pécresse. Le « Vert » a parlé davantage d’autonomie de plein droit et de plein exercice que d’écologie. La « Républicaine » a affirmé ne pas considérer comme « un tabou » la perspective d’une autonomie de la Corse dans le cadre d’une « République des territoires », ce qui a éclipsé ses propositions économiques et sociales et leur teneur libérale.
Cependant, ces derniers jours, la problématique institutionnelle est passée au second plan. Le social est monté sur la table de la politique et a mis les pieds dans le plat. Un constat aussi incontestable qu’alarmant et trois voix ont été à l’origine de cette irruption.


Bastia, ville pauvre
Le constat a consisté en le Rapport d'analyse des besoins sociaux de la ville de Bastia effectué par un organisme indépendant pour le Centre communal d'action sociale de la commune, qui a révélé, concernant la fin de la décennie passée, des indicateurs sociaux aussi impactants que négatifs.

Premier indicateur choc : fort taux de pauvreté (23 %, soit 5 points de plus que la moyenne corse et 8,4 points de plus que la moyenne hexagonale). Cette situation découle en premier lieu de d’une moyenne des revenus inférieure de plus de 1500 € à celle de la Corse (19 100 € contre 20 670 €). Les moins de 30 ans sont les plus touchés. Les populations aux revenus les plus bas sont essentiellement localisables dans le sud de la commune (revenu moyen se situant environ entre 12 500 et 13 100 €). Et tout ceci a deux effets directs : la part des ménages imposés (44 %) est en dessous de la moyenne corse (48,5 %) ; la concentration géographique de la pauvreté conduit à l’identification par la Politique de la Ville de deux quartiers prioritaires.
Deuxième indicateur choc : l’assistanat (1154 bénéficiaires du RSA et pour 29 % et 18 % de 9 000 foyers, les versements de la Caisse d'allocations familiales représentent respectivement 50 % et 100 % de la ressource financière disponible).
Troisième indicateur choc : la solitude des personnes âgées (49 % des personnes vivant seules sont âgées de plus de 65 ans, soit dix points de plus que la moyenne nationale).
Quatrième indicateur choc : 25 % des jeunes quittent le système scolaire sans aucun diplôme (22 % dans l’Hexagone). Les jeunes des quartiers sud sont particulièrement affectés par l’échec scolaire. Cinquième indicateur choc : marché de l'emploi offrant peu d’opportunités et inégalitaire (peu de postes proposés aux cadres et aux professions intellectuelles supérieures ; 65 % d’actifs parmi les 15 à 65 ans du centre et du nord de la ville, 42 % parmi la même tranche d’âge dans les quartiers Sud).
Cinquième indicateur choc : partie importante de la population psychologiquement, psychiquement ou physiquement fragile (16 % des Bastiais reconnus atteints de troubles « psy », nombreux jeunes présentant des addictions et / ou souffrant de bipolarité, de dépression ou de schizophrénie).
Sixième indicateur choc
: la prégnance du handicap (1 650 bénéficiaires de l'allocation aux adultes handicapés, 40 % d'entre eux âgés de 40 à 54 ans, 66 bénéficiaires pour 1 000 habitants contre 33 dans l’Hexagone).
Septième indicateur choc :
population et habitat HLM très au-dessus de la moyenne (21 % de résidents HLM contre 9 % en Corse, tendance à la « résidentialisation HLM » du fait des difficultés économiques rencontrées par de nombreux ménages). Huitième indicateur choc : ancrage de la misère (de plus en plus de SDF originaires de Corse, 1300 bénéficiaires de l'aide alimentaire).



Trois voix fortes
Les trois voix ont été celles de Fabien Roussel, le candidat du Parti Communiste à l’élection présidentielle, de centaines de simples citoyens qui se sont mobilisés dans le cadre des « Convois de la Liberté » et de Paul-Félix Benedetti, le leader de Core In Fronte.
Fabien Roussel a privilégié la question sociale en revendiquant être le candidat de « La France des Jours heureux ». En ce sens, il a proposé la hausse du pouvoir d’achat, pris la défense des conquêtes sociales et affiché la nécessité de réformes pour apporter des réponses aux problèmes et aux besoins des classes populaires, et ce, y compris avec humour (opposition de sa théorie du « Roussellement » visant à directivement augmenter les salaires et les retraites, à celle du « ruissellement » chère à Emmanuel Macron, censée permettre des répartitions équitables de la richesse par le jeu du marché.
Les « Convois de la liberté » ont donné lieu à la formation de plusieurs cortèges de véhicules qui ont rassemblé deux à trois cents personnes. Celles-ci ont répondu à des mots d’ordre diffusés sur divers réseaux sociaux et mis le cap sur Corte.
L'important pour ces participants était de lancer une dynamique, de faire entendre leur voix et d’affirmer une volonté : « On ne lâchera rien !». Une dynamique, une voix et ne rien lâcher, pourquoi donc ? Chacune et chacun avait un peu son idée. Mais il ressortait d’une part, un rejet de la gestion de la crise sanitaire et de la dégradation des conditions de vie en découlant ; d’autre part, et peut-être surtout, une colère contre l’augmentation du coût de la vie et la diminution du pouvoir d'achat. Et le raisin de cette colère le plus évoqué était la hausse du prix des carburants.
C’est d’ailleurs sur fond de dénonciation de cette hausse que Paul-Félix Benedetti et les militants de Core in Fronte ont, ces derniers jour, investi le terrain social. Le mouvement indépendantiste a organisé un rassemblement et tenu une conférence de presse devant le dépôt pétrolier de Lucciana. A cette occasion, Paul-Félix Benedetti a réclamé un blocage des prix et des marges ainsi que la création d'une société publique corse des dépôts pétroliers (associant pompistes indépendants, Collectivité de Corse et groupes pétroliers). Puis il a mis en cause le groupe Rubis, l’accusant d’être un « trader du pétrole » qui distribue annuellement 2 M€ à ses actionnaire et n’effectue pas les investissements nécessaires à la modernisation de dépôts pétroliers qu’il gère en position « de concentration et de mainmise absolue ».

Pour conclure, et être juste, il convient aussi de noter que le Conseil exécutif de Corse a, ces derniers jours, demandé au gouvernement « la mise en place d'un blocage des prix des carburants en Corse » pour une période de six mois.



Pierre Corsi





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