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Le rap corse d'ACP

Un son et un ton originaux
Le rap corse d’ACP
Un son et un ton originaux

Douceur et hard. Tendresse et injures. ACP fait résonner le français et tonner le corse. Toujours nationaliste, jamais raciste ainsi se définit le rappeur ajaccien ACP.


Originalité d’ACP ? Mêler le corse et le français, cadences du rap et musique nustrale. Un des rares artistes à oser le bilinguisme dans ce style d’expression artistique sur l’île. Il y a de la violence, de la virulence dans le propos créatif du rappeur, de l’ardeur aussi à défendre son identité et des valeurs qu’il juge indispensables à préserver. A sauvegarder. Il vient de sortir sur internet un nouveau single qui donne bien un aperçu de sa production, qui intègre la paghjella. Son titre ? « Sucietà ». Apre, brutal, ce chant est également une leçon de vie en proclamant que « le savoir est une arme ».

Né dans le Midi de la France, Anthoni Conti a constamment gardé un lien fusionnel avec l’île de ses origines. Comme tous les rappeurs il s’est taillé un nom sur mesures, sa marque de fabrique en somme ! ACP, trois lettres pour dire son investissement et pour être repérer facilement dans le bouillon de culture du rap. Tout jeune l’artiste s’est branché sur la musique corse et s’est passionné pour un rap qui ne s’était pas encore trop dilué dans le business et le tape-à-l’œil. Un rap qui dénonçait le système, qui recherchait une authenticité d’être et de devenir. Son mot d’ordre : fuir le confort et le conformisme. Longtemps son but a été de vivre chez lui. Il a donc réintégré le village de sa famille proche d’Ajaccio.

La réalisation de « Chjama » son premier album lui a demandé un an et demi. Pour concrétiser son projet il s’est entouré d’une équipe de professionnels aussi bien pour ses clips que pour son travail en studio. Doué d’un ample registre vocal il n’a jamais appris la musique ce qui ne l’empêche pas d’apprécier énormément le violon, la guitare, le piano. L’album, « Chjama » comporte quinze chants dont le plus connu et reconnu, « Pastore », qui avec une modernité affirmée, évoque avec fougue et délicatesse l’univers du berger dans des panoramas montagnards d’une infinie splendeur. Atmosphère que restitue à la perfection le clip. Dans la chanson « Africa» le rappeur plaide pour une fraternité qui n’exclut pas la remise en question à contrario d’un suivisme béat. Avec « Spartemu » il dénonce la drogue, le fric. Dans « Dura » il s’attaque entre autres au bétonnage qui défigure l’île. Avec « Casa » il s’oppose avec fureur à ceux qui vendent la terre, la maison des ancêtres. « Umanu » se fait cinglant contre un système qui a trop relégué les insulaires en posture de mendiants. Souvent outrancier mais jamais crade ACP convainc par son attachement viscéral à la Corse et par sa foi en l’amour.

* On retrouve ACP-rap sur YouTube, sur Instagram, sur Face Book et sur toutes les plateformes. Son album est disponible dans les grandes surfaces, sur Amazon...

      ENTRETIEN AVEC LE RAPPEUR, ACP


Pourquoi le rap a-t-il du mal à apprivoiser la Corse ?


Je ne le pense pas. Ici, les jeunes écoutent du rap… S’il y a un problème c’est que le rap actuel – très ghetto, très quartier, très business et drogue – ne peut apprivoiser notre culture. Entre ce rap actuel et notre histoire il y a un problème de cohérence. Or, pour moi le rap appartient à tout le monde, à toutes les nations. Il est là pour dénoncer les injustices passées et présentes ainsi que les mafias.


ACP ou « Automatic cartouche pistolu » quelle est la raison de cette appellation ?

Parce que c’est concret ! Pour montrer que je suis franc, direct, que je ne recule pas, que j’ai de la détermination… de la « percussion » !


Toujours nationaliste, jamais raciste c’est ainsi que vous vous présentez. Pouvez-vous expliciter ?

Quand je dis que je suis nationaliste ça signifie qu’on peut être attaché à sa terre, à sa culture, à sa religion et être tolérant. Je suis un humaniste qui connait des gens de tous bords tout en restant lucide et en refusant le laxisme. Il faut avoir de la curiosité d’esprit pour apprendre de l’autre avec intelligence.


Dans vos chansons comment s’effectue le dosage entre le corse et le français ?

Selon les thématiques je croise les deux langues pour optimiser le son. Mais c’est dur à expliquer ! Ce que je veux c’est que ceux qui m’écoutent gardent le fil de la compréhension du texte. Mais le plus difficile consiste à faire coller les mélodies et leurs structures à l’instrumental. Au fond le dosage entre le corse et le français vient naturellement. C’est inné. C’est magique.


Votre titre phare, « Pastore », a eu beaucoup de succès.

D’après vous pourquoi cet engouement ?

Il faudrait interroger le public !... Dans « Pastore » je crois que le visuel du clip a touché les gens. Le texte mêlait l’appel du berger et le rap. Les images, elles, montraient nos montagnes s’inscrivant ainsi à contrepied du rap urbain.


Qu’est-ce qui vous révolte le plus dans la Corse d’aujourd’hui : la perte des traditions, la spéculation immobilière, les politiciens ?

Ce qui me révolte ? Avant on était intelligent et on n’avait rien, aujourd’hui on a tout et on est bête ! Avant les Corses s’illustraient partout et s’entraidaient… L’entraide a disparu ! L’argent, le pouvoir ça me rend fou ! Qu’on fasse du mal à son peuple c’est une honte ! La Corse n’est plus qu’un département : on a loupé le coche…

Même interrogation à propos du monde ?

La perte d’identité de ceux qui ont renié leur histoire. Le monde est à côté de la plaque.


Qu’est-ce qui vous a poussé à écrire « Che tu sterpi » que je ne cerne pas trop ?

C’est une de mes chansons qui me convient bien. Elle a du nerf et me correspond. Elle se moque des rigolos qui critiquent tout et ne font rien. Elle vise ceux qui font les voyous dans les boites, ceux-là ont bien besoin d’être secoués… pour aller mieux. Tous ceux-là je les « clashe » avec un lot d’injures à leur encontre.


Dans Veru vous chantez la montagne, vous plaidez pour la justice et l’égalité. Est-ce une sorte de manifeste ?

« Veru » pour moi c’est du vécu, du ressenti. C’est plus que du rap c’est du slam, de la poésie. Malgré les injustices et les inégalités ce qui nous sauve c’est l’amour. C’est la seule chose qui nous fait vivre. On doit s’y raccrocher autrement on n’a rien. C’est ça qui nous maintient. Sans l’amour de la terre, de la femme, on ne fait plus rien.


Vous bousculez, vous rudoyez même votre public. Pour que les choses avancent ?
Pour réveiller ceux qui m’écoutent. Pour leur faire prendre conscience qu’il faut plus de tolérance sans verser dans le laxisme. Fixer des limites est important et parfois pour que les gens le comprennent il faut les bousculer.



En mêlant rap et paghjella vous voulez porter votre message plus haut, plus loin?


Je fais ça pour mon plaisir, pour me régaler. Et c’est vrai pour rendre ma musique plus universelle.


Vous sortez sur les réseaux sociaux un nouveau titre, « Sucietà »

Quel est son thème et quels sont vos autres projets ?


« Società » est un single qui traite de la société corse actuelle et qui met l’accent sur la priorité à donner à la langue corse tout en incitant les gens à la parler. Je prépare actuellement un clip pour avril, un deuxième qui doit sortir avant l’été et un troisième prévu début de l’automne. A la fin de l’année ou commencement de 2023 je devrai réaliser un autre album.



• Propos recueillis par M.A-
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