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Gilles Simeoni : entre l'enclume Macron et le marteau nationaliste

La situation du Président du Conseil exécutif pourrait bien, devenir très inconfortable, voir intenable.

Gilles Simeoni : entre l'enclume Macron et le marteau nationaliste

La situation du Président du Conseil exécutif pourrait bien, dans les prochains mois, devenir très inconfortable, voire intenable.


Trois petits jours et puis s’en va. Et rien ou presque.
Le ministre de l’Intérieur est venu, a vu, a écouté puis est reparti sans avoir rien concédé. Gérald Darmanin s’est en effet borné à apposer sa signature sur un « compte rendu » aux termes duquel l’État s'engage à ce « que toute la vérité soit faite sur les circonstances de la tentative d'assassinat d'Yvan Colonna », qui entrouvre timidement la porte à un rapprochement des prisonniers et qui acte qu’à Paris « dès la première semaine du mois d’avril », débutera un processus de négociations à partir d’un « premier cycle de réunions » devant être« conclu avant la fin de l'année 2022 ». Tout cela étant toutefois conditionné par le retour au calme car comme l’a plusieurs fois rappelé le ministre : « Il n’y aura ni rapprochement, ni d’avancée sous la pression de la rue » ; ainsi que par le bornage signifié par Emmanuel Macron lors de la présentation de son programme présidentiel, soulignant que tout devrait se faire dans le cadre républicain et que le français resterait toujours la seule langue officielle.
Après cinq années de sourde oreille et de mépris affiché, et après la tragédie d’Arles, la Corse était pourtant en droit d’attendre un peu plus de concessions et un peu moins de préalables. Il n’est donc pas surprenant que seuls le Président du Conseil exécutif et la présidente de l’Assemblée de Corse - qui depuis longtemps ont opté pour le dialogue à tout prix et le temps long - aient joint leur signature à celle de l’envoyé d’Emmanuel Macron. Il n’est donc pas non plus étonnant que seul Gilles Simeoni ait laissé apparaître de la satisfaction en évoquant le « premier pas d’un processus historique qui doit permettre de clore un cycle de 50 ans », et la construction possible « d’une solution politique globale », et en se félicitant de l’adoption d’une méthode devant faire que « le dialogue devrait prioritairement avoir lieu entre l’État et la Collectivité de Corse. »
Enfin, il n’est pas surprenant qu’aucun des chefs de file des groupes d’opposition siégeant à l’Assemblée de Corse n’ait usé de son stylo. Les ressentis et les arguments qu’ils ont exprimé pour expliquer leur refus de signer, ont d’ailleurs révélé leur insatisfaction ou leur prudence.

Insatisfaction ou prudence

Côté nationaliste, Jean-Christophe Angelini (Avanzemu, Partitu di a Nazione Corsa) n’a pas caché sa déception : « Le texte, transmis tardivement, est à ce stade en deçà de notre mobilisation et des enjeux politiques. » Côté nationaliste encore, afin d’expliquer le refus de signer de son leader Paul-Félix Benedetti, Core in Fronte a même dénoncé un retour en arrière : « Une interférence du président-candidat Macron indique comme intangible, l'idée de La Corse dans la République et le refus de créer deux catégories de citoyens. Cette position figée ferme la porte à l'émergence d'une citoyenneté corse, garante des droits politiques du peuple corse.
Cette notion de consensus avait pourtant été votée, à l'Assemblée de Corse, à une très large majorité, sous la mandature 2010-2015 de Paul Giacobbi.»
A droite. Côté nationaliste enfin, ne disposant plus d’un groupe à l’Assemblée de Corse mais y comptant encore une conseillère, Corsica Libera s’est montré cassant : « Nous considérons que tout engagement écrit avec le ministre ne peut être que totalement contre-productif et contradictoire avec les revendications portées jusqu’alors. » Laurent Marcangeli (Un soffiu novu), tout en affirmant ne pas être dans la défiance et être disposé à participer à « l’ouverture d’un processus à vocation historique afin de construire une réponse politique globale à la question corse », a pour sa part opté pour la prudence : « Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le point de départ mais celui d’arrivée. » En ne désavouant pas le probable futur président de la République Emmanuel Macron et en ne se positionnant pas en adversaire de toute réforme, il a ainsi ménagé une marge de manœuvre aussi bien à la droite corse qu’à Edouard Philippe.
Par ailleurs, la satisfaction n’a pas non plus été de mise au sein des organisations de jeunes, notamment des trois syndicats d’étudiant, qui durant les dernières semaines, ont été à la pointe du combat et ont ainsi créé les conditions de la venue de Gérald Darmanin. Le Collectif de Corte dont elle ont été à l’origine de la création et qu’elles animent a considéré que ses principales revendications n’avaient pas été prises en compte : « Bien que le président de l’Exécutif ait pris acte du compte rendu, présenté par le Ministre, son contenu est loin de nous satisfaire. Nous avons donc décidé de faire croître la mobilisation avec méthode et détermination. Tant que les revendications portées par le collectif n’auront pas abouti, nous n’arrêterons pas. Nous appelons à l’organisation d’une grande manifestation, d’une grande mobilisation populaire à Ajaccio. L’hemu dettu, hè a dimu torna, un capieremu maï , per Yvan, per i Patriotti, per u Populu Corsu. »

Situation inconfortable voire intenable

Femu a Corsica qui avait participé à toutes les réunion du Collectif de Corte n’était pas présent lors de la dernière en date au cours de laquelle, après la venue de Gérald Darmanin, il a été décidé « de faire croître la mobilisation avec méthode et détermination » et d’appeler à « l’organisation d’une grande manifestation, d’une grande mobilisation populaire à Ajaccio ». Cette absence ayant succédé au refus des organisations nationalistes opposées à la majorité territoriale de signer le « compte rendu », a révélé l’ampleur du fossé étant en train de se creuser entre Gilles Simeoni et ses soutiens, et les autres composantes de la mouvance nationaliste.
L’existence de ce fossé a d’ailleurs été confirmée dans le récent communiqué des FLNC. Pour évoquer ce qui avait constitué l’espoir - « Après 50 ans de combats, de douleurs et de sacrifices, le peuple corse a pensé être sorti de cette spirale en 2015 puis 2017 » - les clandestins ont mentionné les succès électoraux unitaires du nationalisme de décembre 2015 et décembre 2017, et omis de citer la victoire de Gilles Simeoni en 2021.
Il se dessine que le président du Conseil exécutif risque, dans les prochains mois, d’être inconfortablement placé entre l’enclume Macron réélu et le marteau nationaliste. En effet, Gilles Simeoni devra d’une part composer avec un Président de la République (et aussi sans doute avec un Parlement et un Conseil Constitutionnel) qui exigera un retour durable au calme et en fera même le préalable à toute avancée des négociations annoncées ces jours derniers, et pour qui l’autonomie ne saurait au mieux être qu’un aménagement institutionnel au sein de la République excluant toute reconnaissance juridique du Peuple corse (donc exit le droit à l’autodétermination, la citoyenneté corse, le statut de résident et la coofficialité de la langue corse). En effet, Gilles Simeoni devra d’autre part compter avec la partie la plus radicale, la plus déterminée et la plus activiste de la mouvance nationaliste qui essaiera de maintenir la pression à partir de la rue et peut-être d’un retour à l’action clandestine, et qui exigera que la majorité territoriale oppose à l’Etat et défende bec et ongles les revendications fondamentales du nationalisme.
La situation du Président du Conseil exécutif pourrait bien, dans les prochains mois, devenir inconfortable, voire intenable.

Pierre Corsi
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