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Avec Macron, cinq ans de déceptions et une tragédie

Quelques jours avant le premier tour des éléections présidentielles, le candidat Emmanuel Macron prononce un discours qui est jugé favorablement par les nationalistes.Ils vont vite déchanter.

Avec Macron, cinq ans de déceptions et une tragédie…


Quelques jours avant le premier tour des élections présidentielles, le candidat Emmanuel Macron prononce un discours qui est jugé favorablement par les nationalistes. Ils vont vite déchanter. A l’espoir vont succéder les déceptions. Et cela va durer cinq ans...

En 2017, quelques jours avant le premier tour des élections présidentielles, le candidat Emmanuel Macron est attendu à l’aéroport de Bastia par le Président du Conseil exécutif Gilles Simeoni. Ce dernier entend nouer le contact avec celui qui apparaît comme le probable successeur de François Hollande à l’Élysée. A Furiani, Emmanuel Macron prononce un discours qui, concernant l’approche de la spécificité des problématiques corses, est jugé favorablement par les composantes de la mouvance nationaliste. Le contenu est certes nuancé : « Nous voulons donner les moyens aux Corses de réussir dans la République en prenant en compte ses spécificités et son insularité. » Mais les nationalistes préfèrent retenir qu’Emmanuel Macron se dit disposé à réviser la Constitution et ouvre ainsi la porte à une solution politique avec à la clé un rapprochement en Corse puis une libération des prisonniers politiques et une autonomie de plein droit et de plein exercice pour la Corse. Ils vont vite déchanter. A l’espoir vont succéder les déceptions. Et cela va durer cinq ans...

De l’Alboru à Cuzzà

Les premières déceptions vont être ressenties dès le premier trimestre de l’année 2018.
En janvier, Jacqueline Gourault, la Ministre de la Cohésion des territoires et des Relations avec les collectivités territoriales, qui vient d’être désignée « Madame Corse » se rend à Aiacciu. Elle rencontre Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni. Elle présente au Président du Conseil Exécutif et au Président de l’Assemblée de Corse la réforme constitutionnelle envisagée par Emmanuel Macron qui, en inscrivant la Corse dans la Constitution, permettrait à la Collectivité de Corse d'obtenir de nouvelles compétences. Le président du Conseil Exécutif et le Président de l’Assemblée de Corse saluent alors le « déblocage de la question constitutionnelle », et ce, même si l’évolution vers une autonomie de plein droit et de plein exercice n’est pas évoquée.
Quelques jours plus tard, lors de son premier voyage officiel dans l’île, Emmanuel Macron met à mal leur vision optimiste des choses.
Le 6 février, lors de l’inauguration de la placette Claude Erignac, il signifie que l’heure n’est pas au pardon et qu’un esprit de vengeance persiste : « Ce qui s'est passé ici, le 6 février 1998 ne se justifie pas, ne se plaide pas, ne s'explique pas ». Le 7 février, à Bastia, le Président de la République est très clair dans la fixation de grandes limites. Il le fait par le discours en indiquant qu’inscrire la Corse dans la Constitution vise avant tout à l'ancrer dans la République : « Je vous annonce solennellement aujourd'hui que je suis favorable à ce que la Corse soit mentionnée dans la Constitution mais, au-delà, il nous faut maintenant entrer dans le contenu. Est-ce que la clef de tout est forcément cela ? Je vais vous le dire très franchement. Ma conviction est que non. » Il le fait aussi par le symbolisme : derrière lui, cinq drapeaux français. cinq européens, aucun corse. Douloureuses déceptions !
Quelques semaines plus tard, sur un plateau TV, « Madame Corse » enfonce le clou : « Le mot autonomie ne sera pas dans la Constitution. » Déception complémentaire ! En avril 2019, lors sa deuxième visite officielle en Corse à l'occasion du Grand débat organisé pour répondre à la crise des Gilets jaunes, Emmanuel Macron fait essuyer de plusieurs rebuffades à Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni et plus globalement à la mouvance nationaliste. Il rejette avec mépris la proposition qui lui est faite de se rendre et s’exprimer à l'Assemblée de Corse : « Je ne réponds pas, en tant que président de la République, à une convocation devant une assemblée territoriale! Ça n’existe pas ! ». Il ironise sur le refus des élus nationalistes de participer à la séquence du Grand débat organisée à Cuzzà où 150 maires sont présents et sur la journée Isula morta appelant à une « solution politique » dont les mouvements nationalistes sont les initiateurs : « Les Corses méritent mieux qu’une guerre de tranchées ou une guerre de positions». Il reproche aux nationalistes d’exprimer des regrets insuffisants concernant l’assassinat de Claude Erignac et les sermonne : « Tant que certains n’auront pas le courage de dire c’est une plaie, notre cicatrice et la souffrance de la famille Erignac est aussi la nôtre, ils feront bégayer l’Histoire.» Il confirme que l’évolution institutionnelle sera limitée : « Comment ça s’appelle pouvoir décider des normes pour soi-même dans le cadre de ses compétences ? Ça s’appelle l’autonomie dans la République » et ferme la porte à une autonomie de plein droit et de plein exercice « qui veut dire la possibilité de décider pour soi-même, y compris hors de ses compétences sur des choses qui dépendent de la République. » Déceptions encore et encore !

Les déceptions de trop

En septembre 2020, en visite officielle en Corse pour la troisième fois, Emmanuel Macron rencontre à nouveau Gilles Simeoni et Jean-Guy Talamoni. Le Président du Conseil Exécutif et le Président de l’Assemblée de Corse jugent le contact « fructueux », « constructif » et « positif ». Gilles Simeoni relève « une volonté d'écoute dans un climat de respect mutuel » et évoque même « une nouvelle phase dans les relations entre la Corse et l’État ». Jean-Guy Talamoni reconnaît une ouverture, tout en précisant : « On attend que Paris rompe avec la politique du déni, avec le mépris des institutions corses. » Mais rien ne viendra. Encore une déception ! En septembre 2021, Gilles Simeoni et Emmanuel Macron renouent le contact.
Selon le Canard Enchaîné qui l’a révélé récemment, des promesses sont alors faites au Président du Conseil exécutif, notamment le rapprochement en Corse d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri, et la mise à l’étude d’une évolution vers une « autonomie de plein droit ». Durant la même période, il se dit aussi qu’une visite du Premier ministre Jean Castex est imminente et qu’il pourrait au moins faire un geste en faveur des prisonniers nationalistes. Mais, paraît-il pour cause de regain de la crise sanitaire, la venue du Premier ministre n’a pas lieu. Encore une déception ! Mais, il est vrai, petite…
Fin octobre, en session de l’Assemblée de Corse, Gilles Simeoni annonce avoir rencontré la veille le Premier ministre et évoque son entretien en septembre avec le Président de la République. Il précise qu’il a défendu les revendications qu’il avait déjà exposées au Président de la République, notamment une autonomie de plein droit et de plein exercice et bien entendu le rapprochement en Corse des prisonniers politiques, et que son interlocuteur n’a fait que prendre note. Il ajoute qu’il a demandé à Jean Castex de dire si oui ou non l’État veut s’inscrire dans la recherche d’une solution politique et que la réponse devra être au cœur de la visite de l’intéressé annoncée pour la fin de l’année. Jean Castex n’est pas venu et le rapprochement d’Alain Ferrandi et Pierre Alessandri a encore été renvoyé aux calendes grecques par un refus de l’institution judiciaire de lever leur statut DPS (Détenu particulièrement signalé). Des déceptions de plus et malheureusement de trop car va survenir la tragédie d’Arles. De trop car cette tragédie n’aurait pas eu lieu si, dans le respect de l’esprit et de la lettre de la loi, et comme le demandaient la quasi-totalité des familles politiques dans l’Hexagone et en Corse, le rapprochement en Corse des prisonniers politiques avait été effectué.
Bilan corse de Macron : déception durant cinq ans et un matin tragique…

Pierre Corsi
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