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Peuple Corse et non Race Corse

En corse , comme dans toutes les langues issues du latin,le terme << race >> désignait d'abord les racines .
Peuple corse et non race corse

En corse, comme dans toutes les langues issues du latin, le terme de « race » désignait d’abord les racines. On retrouve la même matrice pour le mouvement radical. Puis, par extension, il devient le lien entre tous ceux qui appartiennent à un même tronc, u ceppu en corse. Mais, après les théories d’Arthur de Gobineau et son Essai sur l’inégalité des races humaines, édité en 1853, il devint un concept destiné à diviser l’humanité en catégories diverses et surtout inégalitaires. Les critères devinrent la couleur de la peau et les réalisations technologiques des sociétés avec toutefois une exception pour les Juifs tout à la fois déicides, intelligents et surtout définis comme cosmopolites.
Cette vieille antienne était d’ailleurs abondamment partagée entre un antisémitisme religieux et un antisémitisme social de gauche voire d’extrême gauche. Elle fut hélas adoptée par une partie de l’autonomisme corse entre les deux-guerres. Et aujourd’hui l’extrême droite nationaliste tente de la faire revivre au détriment de la conception du peuple comme communauté de destin.

Un thème repris par une majeure partie des autonomistes de l’entre-deux guerre Entre les deux guerres, le terme de race est repris par les autonomistes corses du PCA — aussi appelés les muvristes (leur emblème et leur journal étaient A Muvra) dont les dirigeants œuvrent de manière plus ou moins ouverte pour un rattachement à l’Italie fasciste. L’un de ses dirigeants, Antone Rabazzani, qui travailla avec les SS pendant la guerre, a donné sur le problème de la race corse un avis tranché.« La race n’est pas une abstraction. Elle réside dans les affinités affectives et sentimentales puissantes qui se transmettent biologiquement. et non dans les reflets consécutifs à l’assimilation. C’est l’élément le plus puissant de notre cohésion, notre raison majeure de vivre unis. C’est pourquoi nous sommes une race, c’est pourquoi nous sommes une société humaine, c’est-à-dire un groupement de fraternisation dû à une communauté de sang et de traditions…
La race trouve sa suprême expression lorsqu’elle s’allie à la langue, condition réalisée il y a deux mille ans par les Corses, et jamais perdue depuis. »Ici, ce fasciste corse acte la conquête de l’île par les Romains, la disparition de la langue originelle pour le latin et décrit un curieux attelage entre ce qui serait porté par le sang avec la parole.Le mythe de la race, et plus encore de la race pure est, il est vrai, alors à la mode dans les dictatures de l’axe Rome-Berlin, mais aussi pour les fascistes français. Cet irrédentiste corse semble cependant oublier le fondement même du racisme : la hiérarchie des catégories. Or le nazisme exprime le plus profond mépris pour les Italiens et Mussolini avait déclaré en parlant de la Corse vouloir « la cage sans les oiseaux », la terre sans ses habitants.

Le mythe d’une race corse pure

L’irrédentiste Santu Casanova, poète et créateur de la Tramuntana en 1896, était un thuriféraire du Duce qui lui offrit à Livourne une maison où il mourut en 1936. Il a écrit un petit poème qui en dit long sur l’idéologie des Muvristes. Pour lui, les « pinzutti » (les « Gaulois » diraient aujourd’hui nos racistes locaux) sont de la race et du sang de Caïn ceux qui tuent leurs frères par-derrière, des bâtards (terme qui signifie aussi en corse les salauds). Il réclame la race corse tout entière protégée par son enveloppe. Il fait allusion au « luxe » des Français associés à la vérole (u malfrancese), qui doit être refusé par les Corses.
En 1934, Dumenicu Carlotti, un prêtre qui se fait également appeler Martinu Appinzapalu (et plus tard Ghjuvan Filetta) écrit dans la Muvra :« La race corse ne peut se séparer de la descendance italienne. C’est un rameau de l’Arbre, une étincelle de la grande lignée qui immobilisa le Monde et le cœur de la civilisation moderne et de la foi antique. Race particulière ? Oui, étant donné l’insularité qui préserva ce groupe d’habitants de séries de mélanges, conservant un noyau très pur de race latine.
La nature, la géographie, l’histoire ont fait cœur, au sein du peuple corse, le souffle latin. »Le délateur Yvia Croce, soupçonné d’avoir donné en 1943 le héros Jean Nicoli à la G stapo italienne, déclare en 1932 : « Je dirai mieux : les plus terribles pestes de la Corse sont celles morales, attachées à la fameuse “ ssimilation”, de laquelle certains renégats se glorifient d’être des acquéreurs de premier ordre ! Qui peut recueillir les confessions de nos vieux qui assistent affligés et écœurés à la décadence spirituelle de la race, il resterait plus que le stupide, constatant les dégâts extraordinaires commis dans les âmes et consciences corses. »On trouve dans le numéro d’a Muvra d’octobre 1938 quand Hitler annexa les Sudètes : « “ e mamme corse chi hanu vistu sacrificà, da u 14 a u 18, 20,000 giovani, a so’ ricca prole, fiore di a nostra razza, per quella formula buggiarda di u Drittu e di a Civilizzazione, invenzione giudeo-massonica, dumandemu s’elle volenu vede assassinà i so’ figlioli – tutti i so’ figlioli ! – per permette a 7 milioni di Cechi d’opprime e di calpestà 5 milioni di Tedeschi, di Polacchi e d’Ungheresi.” J’ai conservé la graphie de l’époque, mais je traduis : “aux mamans corses qui ont vu sacrifier, de 14 à 18, 20 000 jeunes, fleur de notre race, par cette formule mensongère du Droit et de la Civilisation, invention judéomaçonnique, nous demandons si elles veulent voir assassiner leurs fils — tous leurs fils ! – pour permettre à 7 millions de Tchèques d’opprimer et de piétiner 5 millions d’Allemands, de Polonais et de Hongrois.”

Les raisons d’un tel rappel

Pour éviter tout faux procès, je ne pense absolument pas que les nationalistes modernes soient les héritiers idéologiques des autonomistes de l’entre-deux-guerres. Je crois, par contre que tout mouvement politique porte en lui une forme d’ambiguïté, les nationalistes comme les socialistes, comme les communistes, etc.
Une bonne partie de la Collaboration venait des rangs de la SFIO et même du Parti communiste français. Je ne citerai que Marcel Déat ou Jacques Doriot. Simon Sabiani, héros de la Grande Guerre et militant communiste, termina partisan affirmé du nazisme. Il n’existe pas d’autres garde-fous que la conscience individuelle qui défend l’idée que l’humanité est une et indivisible.
En Corse, l’assemblée territoriale vota en octobre 1988, une motion proposée par les nationalistes définissant le peuple corse comme une communauté de destin. Depuis une minorité d’extrême droite remet en cause ce socle. Là réside le danger dans une île où l’assistanat et une démographie en berne provoquent des relents de ressentiment raciste.

Le refus de l’essentialisation

Le racisme plus que la xénophobie est assise sur l’essentialisation de l’autre. On ne parle plus d’une société aux comportements pluriels, mais des Corses, des Français, des Arabes, des Juifs. On peut tout à la fois demander la reconnaissance d’une réalité, le peuple corse, et refuser qu’il soit traité comme un bloc homogène. Le slogan “ francesi fora” était un slogan à consonance raciste (comme l’ont été durant la lutte anti colonialiste la plupart des déclarations du FLN algérien ou même celle du FLN v etnamien). À l’inverse, celui de A Francia fora (auquel je n’adhère pas me sentant pleinement français) ne l’est pas puisqu’il synthétise une opinion politique visant à l’indépendance. L’attitude des autorités françaises vis-à-vis de la Corse est souvent remplie d’une condescendance et d’un mépris odieux, mais qui n’ont rien à voir avec du racisme. C’est le fruit d’une bêtise politique appliquée par un pouvoir central à ses périphéries et qui, dans le contexte de crise actuelle, a produit les Gilets jaunes et le vote massif en faveur de Marine Le Pen que je distingue d’un vote de proximité en faveur du Rassemblement national.

En Corse même

Le retournement de l’électorat antillais d’abord favorable à Mélenchon puis à Marine Le Pen démontre à quel point les élections sont devenues un moyen de protester plutôt que de choisir. En Corse, les vieux clans ont disparu parce que l’État qui les nourrissait est en train de disparaître. La Ve République est moribonde et ce sont les extrémités qui périssent d’abord comme un corps atteint de gangrène. Dans ce contexte d’incertitudes et de crise sociale inédite, les périphéries hurlent comme elles le peuvent leur désarroi et parfois leur désespoir. Le président Macron a brisé la révolte des Gilets jaunes avec cruauté et férocité.
Mais le mal-être est toujours présent. Il aurait été logique qu’en Corse, les voix se portent sur Mélenchon qui était le seul candidat à proposer sans ambiguïté un statut d’autonomie. Elles sont allées à Marine Le Pen pour les raisons exposées plus haut : la Corse est un pays de droite. Loin de la légende de l’île des Justes, on oublie que notre île connut le triste record de 20 000 Corses organisés dans la Légion f ançaise des Combattants de Darnand c’est-à-dire 40 % des hommes entre 21 et 60 ans. 30 000 Corses furent adhérents à des mouvements ou partis collaborationnistes irrédentistes, ou fascistes et antisémites comme le PPF.

C’est beaucoup.
La période est évidemment différente. Mais il ne faut pas sous-estimer les risques de dérives extrémistes. Lucien Alfonsi, nazi convaincu et réfugié à Siegmarigen avec les collabos les plus menacés en 1945, fut un des créateurs de l’ARC à côté, il faut le préciser, d’hommes qui ne partageaient pas ses opinions. Mais il était là et il imposa un hymne écrit par le muvriste fasciste Petru Rocca au mouvement autonomiste naissant, hymne abandonné quelques années plus tard au profit du Dio vi salve. Je n’écris pas que le nationalisme actuel est sur cette voie. Je dis seulement qu’il faut être prudent. Pour l’heure les responsables nationalistes ont toujours dénoncé les tendances racistes qui ont pu affleurer au cours des dernières années dans les rangs de leur nébuleuse. Faisons en sorte que ça dure.

GXC
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