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La victoire inespérée du Sinn Fein en république d’Eire

Même les dirigeants du Sinn Fein, hier encore vitrine légale de l’IRA, n’y croyaient pas ...
Même les dirigeants du Sinn Fein, hier encore vitrine légale de l’IRA, n’y croyaient pas : ce parti héraut d’une réunification de l’Irlande, est devenu la deuxième force au Parlement irlandais après avoir remporté le vote populaire aux élections du 8 février 2020. Il compte désormais 37 sièges sur les 160 du Dail, la chambre basse du Parlement irlandais et met en grande difficulté le Fianna Fail, parti de centre droit, le Fine Gael, l’autre grand parti de centre droit, dont est membre le premier ministre sortant Leo Varadkar. Ces beaux résultats semblent être tout à la fois une conséquence du Brexit qui rend l’unité irlandaise possible et d’un programme de gauche qui prend en compte les plus démunis des Irlandais.

« Tiocfaidh ár lá », le slogan nationaliste qui veut dire « Notre jour viendra »


Il revient à Gerry Adams, dirigeant clandestin de l’IRA et leader du Sinn Fein de 1983 à 2018, d’avoir compris que la violence clandestine menait à une impasse et renforçait en définitive la mainmise britannique sur le nord de l’Irlande. En 1986, il a réussi à convaincre le mouvement nationaliste de renoncer à sa politique d’abstention en république d’Eire pour briguer et occuper des sièges au Parlement, le Dáil Éireann. Les premiers résultats furent proprement catastrophiques et traduisaient le rejet absolu de l’IRA les Irlandais du sud. Aux législatives de 1987, le Sinn Fein récoltait 1,9 % des voix de première préférence. En 1992, 1,6 %, les électeurs irlandais refusant de voter pour des personnes qu’ils désignaient comme les « Semtex » (l’explosif utilisé lors des attentats) et à une partie des assassinats perpétrés dans les rues des villes du Nord. Ça n’est qu’après le cessez-le-feu de l’IRA en 1994 et les négociations qui ont débouché sur l’accord du Vendredi saint en 1998 que le score remonte très légèrement : en 1997, le Sinn Fein remporte 2,6 % des voix et son premier poste de député. Dix ans plus tard, le programme de gauche du Sinn Fein commence à faire son effet avec 6,9 % des suffrages. La crise de 2008 provoque une récession économique et, en 2016, le Sinn Fein atteint 13,6 % et gagne de 23 sièges, une représentation moitié moins importante que celles du Fianna Fáil et du Fine Gael. Mais l’unité de l’Irlande apparaît toujours secondaire en comparaison des luttes sociales menées par les militants réunionistes. À tel point que l’image même de Gerry Adams, par ailleurs devenu un riche promoteur, devenait une entrave. l’an dernier, le Sinn Fein avait essuyé de lourdes pertes lors des Européennes et des municipales. C’est Mary Lou McDonald, une Dublinoise, qui remplace Adams, mais sans grand succès puisque le Sinn Fein connaît des échecs aux Européennes et aux municipales. C’est en raison de ces défaites que le parti a préféré n’aligner que 42 candidats pour les 160 sièges du Dáil, afin de limiter les dégâts électoraux, financiers et psychologiques.

Les raisons d'une victoire


La première des raisons de cette victoire (qui n'est cependant pas un triomphe dans l'absolu) est économique. La reprise a profité aux grandes sociétés étrangères et aux Irlandais les plus riches. La politique d'austérité s'est traduite par une augmentation substantielle du coût de la vie, de l'immobilier et par voie de conséquence d'un éloignement dramatique des lieux de travail largement concentrés dans les zones urbaines. La gestion du premier ministre Varadkar n'a par ailleurs guère permis d'améliorer les services publics. La deuxième raison est le Brexit. La décision du Royaume-Uni de quitter l'Europe a donné des couleurs à l'hypothèse d'une réunion des deux Irlandes même si cela n'a pas été au cœur de la campagne du Sinn Fein.

L'une des conséquences de ces deux facteurs a été le vote jeune en faveur du Sinn Fein qui est le seul parti à s'être préoccupé de la question sociale. Les jeunes ont fait irruption sur la scène politique lors des consultations sur le mariage pour tous en 2015 et sur l’avortement en 2018. Ce sont eux qui ont bousculé le vieux pays dominé par une église rétrograde et répressive. Et parmi les jeunes les femmes ont été en pointe. Cette fois-ci ils ont clamé leur refus d'être complices d'une politique qui donne beaucoup aux multinationales et aux citoyens les plus huppés mais abandonnent les plus démunis. Ils ont donc voté pour le Sinn Fein non par nationalisme mais par un désir affirmé de plus de justice sociale.
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