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Municipales de Bastia et Porto-Vecchio : mères de toutes les batailles

Etat au cœur d’enjeux vitaux, les municipales de Bastia et Porto-Vecchio apparaissent comme étant les mères de toutes les batailles.
Depuis quelques semaines, des milliers de candidats répartis entre plusieurs centaines de listes et nous promettant tous le meilleur sont en campagne. Pour la plupart, les 360 communes que compte la Corse sont le théâtre de batailles plus ou moins féroces mais toujours acharnées, pour la conservation ou la conquête du mandat de maire. A ceux qui voudraient relativiser l’importance qu’attachent les élus et les électeurs à ces confrontations et à leurs résultats, il suffit d’opposer trois constats. Le premier est que des dizaines de milliers de Corses ne sont pas électeurs dans la commune insulaire ou continentale où est située leur résidence principale. Même s’ils n’y séjournent que quelques semaines par an, beaucoup d’entre nous préfèrent « voter au village ». Le deuxième constat est que, depuis le début des années 2010, le nombre de communes insulaires est resté inchangé alors qu’à l’échelle nationale, il a diminué : plus de 2500 communes ont opté pour le regroupement et donner lieu à la création de 794 communes nouvelles ; dès le 1er janvier 2019, la France ne comptait plus que 34 970 communes soit 5 % de moins qu’au 1er janvier 2010. Il apparaît donc que l’attachement au mandat municipal et la volonté de préserver l’existence de communes aussi petites soient-elles, l’emportent toujours malgré les difficultés de la gestion municipale invoquées par les maires sortants et nonobstant les incitations (bonification de 5 % de la Dotation Globale de Fonctionnement accordée communes nouvelles). Enfin la participation est chez nous largement supérieure à la moyenne nationale. Au premier tour des élections municipales de mars 2014, elle a largement dépassé les 70 % alors qu’elle était d’environ 63,5 % à l’échelle de l’Hexagone. Il importe par ailleurs de rappeler que les résultats des élections municipales détermineront en grande partie la carte des intercommunalités. Ce qui est loin d’être négligeable si l’on considère que les communautés d’agglomération et les communautés de communes du fait des compétences dont elles disposent, sont les principales et incontournables interlocutrices locales de la Collectivité de Corse dans la plupart des domaines d’intervention : aménagement des territoires, développement économique, cohésion sociale, protection de l’environnement ...Il est toutefois deux scrutins qui ressortent du lot : ceux de Bastia et Porto-Vecchio. Et tant au cœur d’enjeux vitaux, ils apparaissent comme étant les mères de toutes les batailles. Les candidats qui portent encore les couleurs de la classe politique du siècle passé jouent leur survie. Les leaders qui prétendent pouvoir renouveler la vie politique corse sans passer par la case du nationalisme sont dans l’obligation de faire leurs preuves. Les nationalistes doivent prouver qu’ils sont capables de s’ancrer ou vaincre sans être portés par une vague dégagiste. Deux visions de l’évolution du nationalisme dit « modéré », en présence et en situation de concurrence, vont pouvoir mesurer l’attractivité de leur démarche.


Le 22 mars, on en saura plus


Des candidats que LREM (La République En Marche) classerait dans « l’Ancien Monde » si ce parti n’avait pas chez nous opté pour l’anonymat ou l’infiltration, jouent leur va-tout. A Bastia, Jean Zuccarelli et ses alliés communistes doivent impérativement réaliser un score de premier tour qui, lors des tractations de l’entre-deux tours, fera d’eux le fer de lance de l’opposition ou les rendra incontournables. S’ils ne sont pas jugés indispensables pour constituer une coalition de deuxième tour, le zuccarellisme et le communisme perdront ce qui leur reste d’influence politique. A Porto-Vecchio, si le sortant Divers droite Georges Mela est défait par le nationaliste Jean-Christophe Angelini, la page ouverte par les Rocca Serra sera complètement tournée. A Bastia, il se joue aussi l’avenir de trois démarches qui prétendent renouveler le paysage politique en dehors du nationalisme. Jean-Sébastien de Casalta qui ne dispose d’aucune structure militante doit impérativement gagner sinon il n’aura été qu’un météore. Jean-Martin Mondoloni pour ne pas perdre toute crédibilité à droite, est tenu, au premier tour, de faire au moins aussi mal que l’addition des suffrages de Jean-Louis Milani (1649 voix, 9,73 %) et Sylvain Fanti (509 voix, 3%) en mars 2014. Enfin, pour rester un acteur de la vie politique, Julien Morganti qui affiche la volonté de rouler seul et de « changer les pratiques et les visages », est dans l’obligation de réaliser 10 % au premier tour afin de prétendre obtenir des élus (il avait atteint plus de 12 % à Bastia lors du premier tour des Législatives en juin 2017). Aussi à Bastia, il va pouvoir être vérifié la capacité du nationalisme de s’ancrer à partir d’une reconnaissance de son aptitude à gérer. Si elle l’emporte, la liste Pierre Savelli démontrera avoir apporté des réponses satisfaisantes aux Bastiaises et aux Bastiais, et devoir sa victoire non pas à un « rejet du clan » mais à un bon bilan et à un projet mobilisateur. Si elle est battue, l’élan du nationalisme sera brisé et celui-ci aura du mal à rétablir la situation avant les élections territoriales de mars 2021. Enfin, c’est à partir des résultats de Bastia et Porto-Vecchio que les deux visions du nationalisme dit « modéré » vont pouvoir mesurer l’attractivité de leurs démarches respectives et en tirer des enseignements. Si Pierre Savelli (Femu a Corsica) et ses alliés (droite modérée, Parti Socialiste) conservent Bastia et si Jean-Christophe Angelini l’emporte à Porto-Vecchio avec l’étiquette Pà a Corsica (Partitu di a Nazione Corsa, Corsica Libera), cela suggèrera qu’il y a place pour deux stratégies au sein du nationalisme dit « modéré » : l’une privilégiant une ouverture totale à des forces politiques traditionnelles ; l’autre restant attachée à s’élargir à partir d’un noyau dur associant partisans de l’autonomie, de l’autodétermination et de l’indépendance. Si Pierre Savelli est battu ou si Jean-Christophe Angelini ne s’impose pas, un débat sans fin risque de s’ouvrir. Les uns considèreront qu’en le diluant et d’ailleurs aussi en le séparant de l’indépendantisme, Femu a Corsica aura gravement fragilisé le nationalisme. Les autres estimeront qu’en privilégiant l’option visant à conserver un noyau dur, Jean-Christophe Angelini se sera coupé de forces vives ne souhaitant pas s’associer à la mouvance indépendantiste. D’évidence, pour beaucoup de monde, attendre les résultats bastiais et porto-vecchiais va sembler long et même très long …
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