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Autonomie : un feuilleton interminable devenu inaudible

Le dernier comité stratégique tenu à Paris n’aura pas suffi à rallumer la flamme.

Autonomie : un feuilleton interminable devenu inaudible

Le dernier comité stratégique tenu à Paris n’aura pas suffi à rallumer la flamme. Alors que le ministre de la Décentralisation, François Rebsamen, a annoncé qu’il présenterait en Conseil des ministres le 30 juillet un projet de loi fidèle aux accords de Beauvau, les Corses, eux, regardent ailleurs.

Dans l’île, ce long feuilleton de la constitutionnalisation semble désormais hors-sol. La lassitude s’est installée, alimentée par une durée excessive des discussions, le caractère technique des débats, mais surtout par un sentiment profond : cette réforme n’aboutira jamais. Et le plus étrange n’est pas l’indifférence croissante de la population, mais bien l’attitude des leaders nationalistes, incapables de reconnaître cette évidence.


Des promesses ambitieuses... aux renoncements programmés


Depuis deux ans, les discussions sur le statut de la Corse ont été menées tambour battant, à coups de grands mots et de promesses solennelles, mais sans que jamais on ne sache vraiment ce que chacun mettait derrière ce concept revendiqué par la droite, la gauche, les autonomistes et les indépendantistes. Autonomie « de plein droit et de plein exercice », ancrage constitutionnel, pouvoir normatif renforcé : le discours se voulait ambitieux, voire historique. Mais dans l’ombre des communiqués enthousiastes, l’édifice s’effritait. Le Conseil d’État vient de porter le coup de grâce avec un avis très restrictif : refus de reconnaître une spécificité organique corse, encadrement étroit du pouvoir législatif, et surtout, recentralisation de l’esprit du projet.


Un refus obstiné de regarder la réalité en face


Malgré ce signal, les principaux élus indépendantistes ou autonomistes persistent. Gilles Simeoni y voit une alerte sérieuse, mais veut encore croire à une issue favorable. Paul-Félix Benedetti se dit « à moitié satisfait », mais suspend sa confiance à la version finale du texte. Jean-Christophe Angelini admet la difficulté, mais continue d’espérer. Tous espèrent encore, avec la foi du charbonnier, refusant d’envisager l’échec. Pourtant, cet échec semble écrit d’avance.

Car une fois le projet entre les mains du Parlement, il faudra convaincre les sénateurs pour arriver devant le Congrès avec un texte strictement identique. Puis devant le Congrès, il faudra emmener les trois cinquièmes des parlementaires. Et c’est là que l’affaire se complique. Au Sénat, les réticences ne sont pas anecdotiques. Le rejet est massif, et dépasse les clivages partisans. En pleine instabilité politique nationale, ce n’est pas un risque que la majorité sénatoriale est prête à courir.


L’absence de plan B : un pari perdant


Face à cette impasse, le silence stratégique des nationalistes interroge. Depuis 2022, ils ont tout misé sur la révision constitutionnelle, concentrant leur énergie sur ce seul levier. Aucun plan B n’a été envisagé ni préparé. Que restera-t-il une fois l’hypothèse constitutionnelle enterrée ? Une grande désillusion. Un immense vide. Et une perte de crédibilité.

Cette absence d’alternative inquiète autant qu’elle déroute. Comment comprendre que les principaux acteurs du mouvement national refusent d’anticiper un échec pourtant mathématiquement prévisible ? Comment expliquer qu’aucune piste parallèle, qu’elle soit institutionnelle, économique ou culturelle, n’ait été creusée ? Le pragmatisme a déserté les rangs. La croyance dans un aboutissement heureux, envers et contre tout, tient aujourd’hui davantage du réflexe pavlovien que d’une stratégie politique lucide.


Une population désengagée, un texte voué à l’oubli


En attendant, l’opinion publique corse s’éloigne. L’autonomie, jadis mot d’ordre galvanisant, n’est plus qu’un refrain technocratique. Rares sont ceux qui croient encore en sa mise en œuvre prochaine. Pire, la majorité des Corses semble s’en désintéresser totalement. Les citoyens ne se reconnaissent plus dans cette démarche institutionnelle opaque, pilotée depuis Paris, minée par les renoncements successifs et les incompréhensions réciproques.

Dans ce contexte, la présentation du texte en Conseil des ministres le 30 juillet apparaît moins comme un tournant que comme un épilogue. Une formalité avant le grand crash parlementaire. Et s’il fallait une ultime preuve du désenchantement général, c’est peut-être celle-là : l’autonomie de la Corse, longtemps portée comme un horizon collectif, s’apprête à échouer dans une indifférence quasi générale. Reste à en tirer les leçons pour avancer tant bien que mal face à un état français de plus en plus crispé sur ses fondamentaux centralisateurs et apprendre à avancer en se privant des béquilles parisiennes.


GXC
ILLUSTRATIONS :GXC
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