La malédiction corse encore et toujours
À l’heure du bouclage du Journal de la Corse il est impossible de connaître le verdict du Comité stratégique sur la Corse se réunit au soir du 22 juillet 2025 à Paris dans un contexte particulièrement tendu
La malédiction corse encore et toujours
À l’heure du bouclage du Journal de la Corse il est impossible de connaître le verdict du Comité stratégique sur la Corse se réunit au soir du 22 juillet 2025 à Paris dans un contexte particulièrement tendu. Et pour la première fois depuis le début des discussions institutionnelles, la droite républicaine a décidé de ne pas y participer, dénonçant un processus biaisé, à ses yeux dominé par les thèses nationalistes et vidé de tout ancrage constitutionnel. Une absence qui fragilise encore davantage un exécutif confronté à un dilemme à très haut risque.
Passer outre le Conseil d’État : vers une crise ministérielle ?
La question qui divise profondément les ministères et les chancelleries porte sur la prise en compte — ou non — des observations du Conseil d’État, saisi en amont de la présentation du futur statut de la Corse. Si François Rebsamen, ministre des Relations territoriales, choisit de les ignorer, comme cela semble probable, le gouvernement risque d’entrer dans une crise ouverte.
Bruno Retailleau, ministre de l’Intérieur, a déjà exprimé sa totale opposition au compromis passé en mars dernier avec les dirigeants nationalistes corses qui vient s’ajouter au texte de compromis passé entre partenaires néo-calédoniens et stigmatisé par la droite et l’extrême droite heurtés par l’idée d’un état calédonien logé au sein de l’état français. Une adoption en l’état du projet corse, sans filtre ni adaptation juridique, pourrait donc provoquer sa démission ou tout du moins un refus d’assumer publiquement un texte qu’il juge contraire à la Constitution et porteur de dangers mortels pour l’unité indivisible de la République.
Tenir compte du droit ou tenir parole ?
À l’inverse, si le ministre Rebsamen choisit de se conformer aux remarques du Conseil d’État, en les intégrant partiellement ou totalement, il prendrait le risque d’une rupture politique majeure avec les élus corses dont la majorité a déjà expliqué qu’elle refusait toute transformation du texte initial. Mais cela reviendrait également à désavouer la parole du Président de la République, qui s’était engagé devant l’Assemblée de Corse à respecter la philosophie du texte initial et à l’amener devant députés et sénateurs.
Dans ce cas, le processus serait quasi enterré et la dynamique institutionnelle rompue. À six mois des élections présidentielles, un tel scénario apparaîtrait comme un aveu d’échec cuisant de la stratégie d’Emmanuel Macron en matière de dialogue territorial.
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Un calendrier explosif
Mais le gouvernement semble avoir choisi une fuite en avant qui délivrerait le Président de sa parole. Il apparaît de plus en plus vraisemblable que le texte sera présenté tel quel, sans modification, au mois d’octobre devant l’Assemblée nationale, en dépit des alertes juridiques. Or ce choix s’effectuerait au pire moment : le projet de loi serait débattu en même temps que le budget, dont chacun sait qu’il ne dispose pas, à l’heure actuelle, d’une majorité absolue pour être adopté.
S’y ajouterait la très controversée réforme institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, déjà condamnée par la droite et l’extrême droite. L’exécutif se retrouverait alors encerclé par trois fronts brûlants : budgétaire, corse et calédonien.
Une République de plus en plus arbitrée par le droit aux dépens de la politique
Dans ce contexte, les organes juridiques jouent un rôle croissant d’arbitre politique. Conseil d’État, Conseil constitutionnel, et même la pétition citoyenne contre la loi Duplomb récemment enregistrée sur la plateforme officielle, témoignent d’un glissement de la souveraineté politique vers les corps juridico-légaux. Le Parlement, privé de majorité stable, voit sa capacité de pilotage s’effriter au fil des arbitrages rendus depuis l’extérieur de l’enceinte démocratique.
Quand l’histoire semble se répéter
L’histoire, une fois de plus, semble se répéter. Le 29 août 2000, Jean-Pierre Chevènement démissionnait de son poste de ministre de l’Intérieur pour s’opposer frontalement au plan Jospin sur la Corse, que l’on baptisera les Accords de Matignon. Trois ans plus tard, le référendum local de 2003 sur la collectivité unique échouait de quelques milliers de voix, avant que la réforme ne soit tout de même appliquée en 2018, après une décennie de contournements.
Force est de constater que la Corse n’a jamais porté chance à aucun gouvernement prétendant “résoudre” sa singularité. L’affaire semble maudite, ou du moins rendue inextricable par le poids de l’histoire, des symboles et des rapports de force insulaires. Ce soir, c’est une partie de la stabilité gouvernementale qui se joue sur un îlot de Méditerranée. Et elle pourrait bien s’y échouer.
GXC
illustration : GXC